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Déclaration et débat sur la situation en Syrie

La parole est à M. André Chassaigne, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le 21 août dernier, une attaque chimique de grande ampleur a été perpétrée à la Goutha, en Syrie. Depuis la diffusion des vidéos insoutenables de ce massacre, les canons américains et français sont braqués sur la Syrie et n’attendent que le feu vert des États-Unis pour se faire entendre.
En ce moment d’histoire, les députés du Front de gauche, fidèles à leurs convictions, se veulent les porte-voix de la paix face aux pulsions guerrières et aux passions vengeresses. Porte-voix aussi de la raison, qui commande, dans le conflit qui déchire la Syrie, la recherche d’une solution politique et non militaire. Or, notre chef de l’État, mû en chef de guerre, tient un discours qui fleure bon l’expédition punitive : discours d’un autre temps, discours synonyme d’impasse et d’échec.
M. Yves Fromion. Eh oui !
M. André Chassaigne. Les leçons du passé n’ont pas été tirées. Cette posture isole notre pays et son président. Elle n’est partagée ni par la grande majorité de la communauté internationale, ni par la communauté nationale. Ce double isolement devrait inciter le Président de la République et son gouvernement à plus de considération pour les arguments développés contre une intervention militaire en Syrie et pour sortir le peuple syrien de la tragédie dont il est victime.
M. Jean-Luc Laurent. Exact !
M. André Chassaigne. D’abord, une telle intervention serait illégale – car injustifiée et infondée – sur le plan du droit international. Faut-il rappeler qu’il existe un principe de non-intervention qui interdit à un État de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État souverain ? Faut-il rappeler que seul le Conseil de sécurité des Nations unies peut lever cette obligation de non-ingérence, en vertu du chapitre VII de la charte qui gouverne son action, en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression ? Faut-il rappeler que la décision de recours à la force, autorisée sous certaines conditions seulement, nécessite l’accord d’au moins neuf de ses quinze membres et l’absence de veto d’un de ses membres permanents ? Aucun des scénarios prévus par le chapitre VII de la Charte de l’ONU, consacré à l’emploi de la force, ne s’apparente à celui de la Syrie : il ne s’agit ni d’une agression entre États, ni de légitime défense. Enfin, aujourd’hui, toute tentative de valider une intervention militaire en Syrie par une simple résolution du Conseil de sécurité se heurte, de facto, au veto inévitable de la Russie et de la Chine
Dans ces conditions, comment imaginer que la France serait prête à lancer une attaque militaire illégale et violer ainsi ses propres engagements et ses valeurs ? Je le dis avec gravité : la France est-elle prête à violer la Charte des Nations unies, qui nous lie à la communauté internationale ?
Au-delà du caractère illégal d’une telle intervention, c’est sa justification et sa légitimité mêmes qui sont en cause. L’option militaire n’offre nulle solution de règlement du conflit, nulle perspective de paix pour le peuple syrien. Le chef de l’État s’entête dans une logique militaire, ignorant la situation d’urgence humanitaire et écartant les options alternatives. Il veut engager notre pays dans une entreprise aventureuse et illusoire conduite par les États-Unis.
M. Yves Fromion. Eh oui !
M. André Chassaigne. A moins de renier notre attachement à l’indépendance nationale, un feu vert du Congrès américain ou de la Maison Blanche ne saurait remplacer un mandat international, ni commander notre propre conduite, notre propre politique étrangère. Monsieur le Premier ministre, alors que les chancelleries occidentales ont, les unes après les autres, abandonné l’option militaire, l’entêtement du Gouvernement à s’isoler sur la scène européenne et internationale et à s’isoler de son peuple est troublant.
M. Yves Fromion. Très bien !
M. André Chassaigne. Pourtant, la manipulation et la propagande médiatico-politiques qui ont ouvert la voie à la guerre contre l’Irak, en 2003, demeurent dans toutes les mémoires et ont largement entaché la crédibilité de ses instigateurs. Le credo néo-conservateur de « la guerre au nom de la démocratie » a semé la mort et le chaos en Irak. Et c’est encore en son nom que le Président de la République et le Gouvernement veulent nous convaincre de mener une expédition punitive meurtrière en Syrie. Le règlement du conflit interne syrien ne sera pas résolu par quelques missiles. L’histoire des conflits, au Moyen-Orient ou ailleurs, prouve que jamais – j’insiste sur ce mot – des bombardements n’ont permis d’installer la démocratie ou de pacifier un pays.
Sans même attendre les conclusions des inspecteurs de l’ONU, des preuves que les attaques chimiques auraient été commises par le régime de Bachar al-Assad sont brandies pour justifier la guerre. Ces preuves seraient prétendument irréfutables, selon notre gouvernement, tout comme l’étaient les preuves brandies par Colin Powell devant le Conseil de sécurité de l’ONU, en février 2003, sur la possession d’armes chimiques par le gouvernement irakien. Même si ces preuves étaient déclarées irréfutables – et nous ne doutons pas que Bachar al-Assad est capable du pire – comment lancer une guerre sans en fixer les objectifs précis, si ce n’est la seule volonté de punir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Guy Geoffroy. Il a raison !
M. André Chassaigne. Pas plus tard qu’hier soir, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a mis en garde contre les risques d’une « action punitive » en Syrie. Il nous a demandé de considérer « l’impact qu’aurait une telle action sur les efforts pour empêcher d’autres effusions de sang et faciliter un règlement politique du conflit ».
M. Yves Fromion. Il est très bon !
M. André Chassaigne. Comment, en effet, lancer une guerre sans en évaluer les conséquences, sauf à dire explicitement que cette guerre est menée pour asseoir la domination des grandes puissances occidentales, pour satisfaire leurs intérêts géostratégiques et économiques ou ceux d’autres puissances régionales ?
La population syrienne est aujourd’hui prise en otage entre un dictateur cynique et sanguinaire et une opposition désunie, dont certains membres ont perpétré des exactions parmi les plus effrayantes. C’est d’ailleurs pourquoi les minorités religieuses syriennes sont paniquées à la perspective de la victoire de certains rebelles syriens.
Une intervention militaire aujourd’hui ne mettrait pas fin à l’escalade de la barbarie et risquerait de plonger un peu plus la région du Moyen-Orient dans le chaos généralisé. Tirons les leçons des expériences passées de l’Afghanistan et de la Libye. Gardons en mémoire le fiasco irakien et les centaines de personnes qui meurent chaque mois, depuis, dans des attentats meurtriers. Pensons également aux pays voisins qui paieront en vies humaines la moindre déflagration. Une société riche et fragile comme le Liban n’est-elle pas déjà la proie des confrontations communautaires qui nourrissent le conflit syrien ?
Certes, la France a la responsabilité d’agir. Mais dans le seul intérêt des peuples ! Le chaos de la guerre n’est pas dans l’intérêt des peuples. Il est dans celui des djihadistes (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)Quant au peuple de France, il ne veut pas de cette guerre. Écoutons-le ! Entendons-le ! C’est notre devoir de démocrates.
Si, malgré cela, le Gouvernement s’entête à entrer dans cette guerre illégale, un vote de la représentation nationale s’impose, à moins que le parti socialiste n’adhère définitivement à la pratique présidentialiste de la Ve république, jadis critiquée et combattue ?
M. André Schneider. Eh oui !
M. André Chassaigne. Ce vote, l’esprit démocratique et le sens des responsabilités politiques l’exigent.
Le Gouvernement avance l’argument constitutionnel parce qu’il craint le camouflet infligé au Premier ministre britannique. Il se cache derrière l’article 35 de la Constitution pour justifier ce déni de démocratie. Or, si le Président de la République le décide, il peut laisser les parlementaires se prononcer demain, sans se justifier, et rompre ainsi avec les pratiques qu’il dénonçait lui-même, en 2008, au nom de la dignité de notre démocratie !
M. Éric Straumann. Ce ne serait pas sa première contradiction !
M. André Chassaigne. Par ailleurs, comme le rappellent de nombreux constitutionnalistes, l’article 49 alinéa 1 permet ce vote : c’est d’ailleurs la solution qui avait été retenue par le gouvernement Rocard au moment de la guerre du Golfe. Le Gouvernement peut aussi s’appuyer sur le nouvel article 50-1 de notre Constitution. Le Président Barack Obama a, lui-même, demandé le vote du Congrès alors que la Constitution ne l’y obligeait pas.
En France, l’absence de vote témoignerait de la volonté de cantonner les parlementaires français dans une position de simples spectateurs, réduits à palabrer et non amenés à décider. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)Notre attachement à la paix ne nous fait pas renoncer à notre sens des responsabilités. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) C’est en cela que s’exprime notre solidarité avec le peuple syrien. La prudence que nous préconisons n’est pas synonyme d’inaction. Il faut réagir et apporter une solution au drame vécu par le peuple syrien, qui a eu le courage de se lever contre le régime dictatorial de Bachar al-Assad
Notre « responsabilité de protéger les populations civiles », notre solidarité envers le peuple syrien doit d’abord se traduire par un renforcement significatif de l’aide humanitaire. Une telle action, qui relève de l’urgence, doit elle-même être prolongée par la recherche d’une solution politique, qui suppose un engagement plus volontariste de notre diplomatie. La France doit ainsi peser de tout son poids diplomatique et symbolique pour obtenir la réunion d’un sommet réunissant les belligérants et les principales puissances impliquées, afin de mettre fin à l’escalade de l’horreur.
Pour conclure, je le dis et le redis avec gravité : ne cédons pas à la tentation de la guerre et de l’aventure militaire ! Empruntons la voie politique qui, aussi étroite et difficile fût-elle, reste la meilleure qui soit pour le peuple syrien et la sécurité internationale. C’est aussi la voie la plus digne pour notre pays, qui en sortirait grandi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, et sur quelques bancs des groupes écologiste, RRDP et UMP.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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