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Déclaration sur la situation de la Grèce

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, nous vivons un moment historique : la politique et la démocratie sont de retour en Europe !
Le courage et la dignité du peuple grec face au chantage et à l’injustice sont un message de résistance et d’espoir pour toute l’Europe.
Les Grecs ont dit non aux diktats de la Troïka ; non à l’Europe de l’austérité aveugle, générale et absolue ; non à l’Europe des financiers, principaux responsables de la crise qui frappe l’Europe des peuples. La Grèce a dit non aux humiliations. Elle a refusé de courber l’échine et elle a relevé la tête.
Le peuple grec a signifié, en notre nom, qu’il est insupportable de voir M. Juncker, organisateur de la fraude et de l’évasion fiscales lorsqu’il était le Premier ministre du Luxembourg, jouer les pères-la-vertu…
M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Jean Lassalle. Bravo !
M. André Chassaigne. … ; qu’il était insupportable de voir M. Draghi et la BCE se montrer inflexibles, alors même que l’actuel président de la BCE, en tant que responsable de Goldman Sachs en 2006, a contribué à falsifier les comptes de l’État grec pour favoriser son entrée dans l’euro ; qu’il était encore plus insupportable de voir Mme Lagarde se montrer aussi intransigeante pour 1,6 milliard d’euros dus au FMI…
M. Jean Glavany. Il faut la comprendre, elle est en campagne électorale !
M. André Chassaigne. …alors qu’elle était bien moins sévère à l’égard de Bernard Tapie quand elle était ministre de M. Sarkozy.
M. François Loncle. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Le dogmatisme n’est pas du côté de Tsipras, comme certains voudraient le faire croire. Il est celui d’une troïka qui impose un cadre austéritaire et rigoriste sans possibilité de négociation.
À l’inverse, le gouvernement grec ne cesse de chercher la voie du dialogue et du compromis. Alexis Tsipras n’est ni radical, ni irresponsable. Il n’est pas pour le statu quo. Son programme prévoit des réformes fiscales et économiques d’importance. Il propose des mesures fortes de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Il entend faire tomber les cartels et rétablir la justice sociale, dans un pays où 10 % de la population détient 56 % de la richesse nationale. Il ne demande pas l’effacement de la dette mais son rééchelonnement. Il ne parle pas de quitter la zone euro, mais souhaite clairement continuer à négocier avec les créanciers de la Grèce.
Son sens des responsabilités et son volontarisme se heurtent aux ultimatums successifs de l’Eurogroupe et à une intolérable opération de diabolisation. Faut-il le dire ? Notre ministre de l’économie en a fourni une illustration en comparant Syriza au Front national. Quel manque de culture, historique et politique !
Mme Marie-George Buffet. Très bien !
M. André Chassaigne. Le référendum de dimanche dernier a révélé la vraie nature de la crise européenne. Elle n’est pas qu’économique et financière : elle est surtout idéologique et politique.
Ce que craignent les dirigeants européens, c’est une contagion politique qui, après le référendum de dimanche, verrait les peuples reprendre le pouvoir pour mettre fin aux politiques d’austérité. Le processus est pourtant enclenché. Après la Grèce, le mouvement Podemos, en Espagne, prend le relais et montre la voie en remportant des victoires significatives à Madrid et Barcelone.
Le résultat de ce référendum populaire permet au gouvernement grec de revenir à la table des négociations fort d’une légitimité renouvelée. Néanmoins, l’hypothèse d’une sortie de la zone euro – qui n’a jamais, au grand jamais, été évoquée par les Grecs ! – est un spectre que certains, l’Allemagne en particulier, aiment agiter.
Il revient effectivement à la France, monsieur le Premier ministre, de se faire entendre et j’ai bien écouté ce que vous avez dit sur le rôle propre de la France. Angela Merkel ne peut pas se comporter comme si la zone euro était son domaine réservé.
En se montrant aussi rigide sur le remboursement de la dette grecque, n’est-elle pas dans l’oubli de l’histoire récente de son propre pays ? Faut-il rappeler que notre voisin a pu bénéficier de la restructuration de sa dette, ce qui lui a permis de remettre son économie sur les rails ? Comme l’a souligné fort justement l’économiste Thomas Piketty, l’Allemagne est « le meilleur exemple d’un pays qui, au cours de l’histoire, n’a jamais remboursé sa dette extérieure, ni après la Première, ni après la Seconde guerre mondiale. […] L’Allemagne est le pays qui n’a jamais remboursé ses dettes. Elle n’est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations. » Pourquoi ce qui a été fait hier pour l’Allemagne, pour le peuple allemand ne pourrait pas aujourd’hui être fait pour la Grèce et pour le peuple grec ?
Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit, la sortie de la Grèce de la zone euro n’est pas la solution. Il faut donc dès à présent ouvrir le dossier de la restructuration de la dette grecque, sans laquelle aucune solution durable ne pourra être trouvée.
Mais cela ne saurait suffire. Il faut aussi que notre pays obtienne l’inscription à l’agenda européen d’une grande conférence européenne sur la dette, réunissant décideurs politiques et acteurs de la société civile, pour restructurer durablement une dette publique européenne qui sert de prétexte à la mise sous séquestre des droits des peuples. Ce n’est pas seulement le problème du peuple grec, c’est le problème de tous les peuples d’Europe !
Mme Isabelle Attard et Mme Marie-George Buffet. Bravo !
M. André Chassaigne. Oui, il est aujourd’hui indispensable de convertir la dette grecque, d’en allonger l’échéance, afin de libérer l’économie grecque du poids des intérêts et des remboursements qui bloquent son redressement. Mais il faut aussi cesser de privilégier le remboursement des créanciers au détriment de la relance de l’économie grecque. Cela passe par des investissements opérationnels, la construction d’une administration et d’un système fiscal modernes, la remise en état de marche du système de santé, la relance de l’éducation.
L’Europe en a les moyens, la BCE en a les moyens. Depuis le 22 janvier, elle crée chaque mois 60 milliards d’euros dans le cadre de son nouveau programme de quantitative easing, avec l’objectif d’aller jusqu’à 1 140 milliards. Au lieu de les injecter dans les marchés financiers, l’Europe devrait mobiliser son formidable pouvoir de création monétaire pour mettre en place un fonds de développement économique, social et écologique européen.
Si la BCE, le FMI et les chefs de gouvernement européens s’y refusent, c’est au fond qu’ils ont terriblement peur que Syriza démontre qu’une autre politique est possible en Europe. Ils semblent même prêts, pour l’en empêcher, à pousser la Grèce hors de l’euro.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Allons !
M. André Chassaigne. Pour la droite européenne, à laquelle les sociaux-libéraux emboîtent le pas – chacun se reconnaîtra – il semble même plus facile d’éjecter la Grèce hors de l’Europe que de gérer son maintien dans la zone euro.
Peu importe que le gouvernement grec ait déjà renoncé à une grande partie de son programme. Les dirigeants européens se montrent inflexibles et se rangent derrière l’Allemagne pour ne pas prendre le risque d’affaiblir Angela Merkel qui a prisdevant les Allemands l’engagement démagogique qu’il n’y aurait pas un euro de plus pour la Grèce. Pour éviter de déstabiliser la coalition au pouvoir en Allemagne, il faut absolument, comme le remarquait Romaric Godin dans La Tribune « accabler la Grèce, en affirmant qu’elle est seule responsable de ses maux, qu’elle est irréformable et que son gouvernement est aux mains d’extrémistes démagogues ».
La France, vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, ne peut se permettre d’être passive. J’ajouterai qu’elle ne doit pas manquer d’ambition dans les actes, comme ce fut le cas, en 2012, quand on a renoncé à exiger une renégociation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG.
Nous avons pris acte de votre volontarisme, monsieur le Premier ministre. La France, deuxième puissance du continent, peut jouer un rôle majeur dans les négociations. Elle ne peut se résigner à voir le projet européen devenir la propriété des fanatiques de l’orthodoxie, qu’ils soient d’outre-Rhin ou d’ailleurs. En France comme en Europe, les politiques budgétaires restrictives n’ont pas produit les effets attendus : nombre de nos concitoyens ont vu leurs impôts augmenter, les prestations dont ils bénéficient diminuer, leur salaire stagner, un chômage de masse endémique s’installer.
Les inégalités ne cessent de se creuser partout en Europe, l’Allemagne connaissant un taux de pauvreté inégalé et les riches devenant de plus en plus riches. Alors que la dette française a été multipliée par huit en trente ans, le patrimoine des 1 % les plus riches a été multiplié par dix, l’une et l’autre s’établissant à un peu plus de 2 000 milliards d’euros.
Monsieur le Premier ministre, en ces moments de crise, la France doit être à la hauteur et ne peut rester spectatrice de la tragédie grecque.
M. Pascal Popelin. Elle agit !
M. André Chassaigne. Nous regrettons bien évidemment que le débat auquel nous sommes conviés aujourd’hui ne soit pas sanctionné par un vote. Certes, vous avez dit que nous serions consultés sur le résultat des négociations, et nous nous en réjouissons. Mais il appartenait aussi à l’Assemblée nationale de confier un mandat de négociation clair à l’exécutif.
Il revient en effet au Gouvernement, ainsi qu’au Président de la République de faire entendre une autre voix, une voix claire et forte, pour rompre avec la logique folle de l’orthodoxie financière.
Il lui revient, et il vous revient, de faire respecter le choix du peuple grec et de rappeler avec gravité que la France n’hésitera pas à opposer son veto à toute tentative d’exclusion de la Grèce de la zone euro. Nous l’affirmons et nous sommes sans doute nombreux ici à refuser le « Grexit ». Non au « Grexit » : il y va de l’honneur de la France ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

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