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Décote domaine privé de l’Etat

M. Coquerel l’a dit avant moi : qu’il s’agisse ou non d’un hasard du calendrier, la proposition de résolution tend à prolonger la loi ELAN débattue dans cet hémicycle, il y a quelques jours. Ce texte m’inspire quelques doutes.
Souvenons-nous de ce qui avait motivé la loi de 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement. Il s’agissait d’abord de produire du logement, notre pays étant alors en proie à une crise, notamment du logement abordable, plus particulièrement dans les zones tendues. Il s’agissait en second lieu d’assurer de la mixité sociale. Le législateur avait ces deux préoccupations en tête : produire du logement et accroître la mixité sociale.
Concrètement, la seconde imposait, d’une part, qu’on réalise plus de logements aidés et de logement HLM là où il n’y en a pas assez – voire pas du tout –, d’autre part, qu’on essaie de construire de l’habitat diversifié là où il y en a déjà beaucoup. Pour ce faire, on ne peut laisser le secteur foncier, à commencer par le foncier de l’État, sans régulation.
La loi visait aussi à ce que l’État propriétaire fasse de la rétention foncière. Il n’était pas question d’un foncier fluide. Aucune véritable politique de cession n’avait été pensée ni voulue. On laissait alors pourrir sur pied des immeubles, des casernes, des hangars ou des usines de la SNCF également vides.
Qui dit mixité sociale dit décote, et celle-ci doit être encadrée. Or la logique veut que, plus on est dans une zone tendue, c’est-à-dire moins les quartiers ou les villes ont de logements sociaux, plus le foncier est cher. Si l’on veut faire du logement social à loyer modéré, il faut que la décote soit proportionnelle. Elle peut donc être très importante dans les quartiers situés dans les zones tendues et disposant de peu de HLM. D’où les exemples parisiens, sans doute discutables, mais qui obéissent à une logique de marché.
Pour comprendre à présent pourquoi le système n’a pas aussi bien fonctionné qu’on l’avait souhaité, il faut l’observer précisément dans le temps. Quand la loi a été votée en 2013, les administrations centrales ou les entreprises publiques concernées ont vite fait de la ranger au fond d’un tiroir devant lequel elles ont tiré une armoire normande, afin de pas discuter des cessions foncières.
Et entre les préfets, qui avaient ordre de faciliter les cessions, et les administrations centrales, qui faisaient tout pour les éviter, on s’est trouvé – parfois pour de « bonnes raisons », tenant à la valorisation financière du patrimoine – face à des injonctions contradictoires. Ce jeu de rôles, aux contradictions insolubles, entre les préfets et les administrations centrales, explique la lenteur d’un certain nombre de cessions et a conduit à la naissance de la Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier – CNAUF –, dont le président a été chargé d’arbitrer les relations entre les administrations centrales et les préfets pour mener à bien les cessions de ces biens fonciers de l’État. Cela a produit des résultats. En 2015, si j’en crois le rapport de Thierry Repentin de début 2016, soixante-dix cessions de terrains ont eu lieu, alors que l’objectif n’était que de soixante. Jusqu’à cette date, les préfets essayaient de se dépatouiller entre des injonctions contradictoires, alors qu’ils ne disposaient que d’une faible autorité sur les administrations centrales. Grâce à l’action de la présidence de la CNAUF et du délégué interministériel à la mixité sociale dans l’habitat, il y a eu enfin un pilote dans l’avion, à même d’arbitrer ces oppositions. C’est ce bilan qu’il faut dresser pour encourager la politique engagée, si tant est que l’on veut le faire – c’est un autre sujet.
À l’instar de Charles de Courson, permettez-moi de citer quelques exemples. Une caserne de gendarmerie a été livrée en 1998, puis abandonnée en 2005 au moment de la répartition des zones de compétence entre police et gendarmerie. Elle est restée vide pendant sept ans, pourrissant sur pied, parce que l’État ne sait pas gérer son patrimoine. Il a fallu négocier pendant trois ans pour obtenir la cession, avec une décote, de cette caserne pour y héberger des femmes victimes de violences. Où étaient-elles hébergées auparavant ? Dans des hôtels payés par l’État à prix d’or à des marchands de sommeil. Si l’on veut dresser un bilan, faisons-le objectivement ! Aujourd’hui, le patrimoine de l’État a été valorisé, sa mission sociale est mieux remplie et on ne nourrit plus les marchands de sommeil.
Éric Coquerel parlait du fort de l’Est, situé aux confins des « 4 000 » de La Courneuve et des Francs-Moisins, deux quartiers emblématiques de la politique de la ville. On voulait faire de l’accession sociale à la propriété, mais il n’y avait pas de marché. Qui peut fixer la valeur foncière d’un bien dans un endroit où le marché n’existe pas ? On a proposé pendant trois ans une série de solutions, qui ont toutes été rejetées avant qu’une issue soit trouvée. Je pourrais aussi citer l’exemple de « cathédrales » SNCF à La Plaine-Saint-Denis, vides et inactives depuis vingt-cinq ans, pourrissant sur pied, qui abritent régulièrement des campements sauvages ou d’autres types d’occupations préjudiciables à l’environnement, et pour lesquelles on ne trouve toujours pas de solution.
J’en viens à mon désaccord avec votre proposition de résolution. Certaines difficultés, qui existaient de longue date, avaient trouvé un début de résolution grâce à la mise en place de la CNAUF et d’un délégué interministériel à la mixité sociale dans l’habitat. Depuis juillet 2017, cette commission n’a plus de président. Par ailleurs, il n’y a plus de délégué interministériel. Ces autorités, qui permettaient de débloquer certaines situations et d’assurer l’application de la loi, n’ont pas été reconduites. Depuis juillet 2017, ce sujet est en suspens.
Je veux bien émettre des propositions, comme je l’avais fait avec le préfet Duport, lorsqu’il présidait RFF – Réseau ferré de France. Pour assurer la cession de terrains SNCF, nous concevions des montages à l’envers ; nous mettions en place un aménagement avec le maire et des opérateurs, puis dressions le bilan à l’envers de l’opération, ce qui nous permettait de fixer un prix équilibré du foncier, garantissant la mixité sociale et le respect de divers impératifs.
Il est possible de constituer des SEM à objet unique, ce qu’on a proposé de faire à la SNCF, par exemple, pour qu’elle puisse être associée à l’aménagement des terrains qu’elle laisse vacants depuis vingt-cinq ans. On peut aussi insérer des clauses de retour à meilleure fortune, s’il existe un doute relatif à la création d’un marché d’accession à la propriété, comme je l’évoquais au sujet des « 4 000 » de La Courneuve ; cela permet de fixer un prix bas pour créer le marché et, s’il fonctionne bien, de faire jouer ces clauses. Il y a pléthore de solutions possibles.
Toutefois, le fond du problème tient à ce que la loi ELAN met à mal le logement social et est inspirée par la conviction que les clés de la résolution de la crise du logement doivent être exclusivement confiées au marché. Par ailleurs, par votre résolution, vous considérez qu’il faut retenir la valorisation foncière du patrimoine de l’État avant sa finalité sociale et son utilité à répondre à la crise du logement. Vous prenez là une très mauvaise direction. Une très bonne idée commençait à être mise en œuvre ; vous allez briser cet élan, qui avait permis de premiers résultats. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

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