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Défense : articles 3, 6 et 9 de la loi sur la lutte contre le terrorisme

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les attentats du 11 septembre ont servi de prétexte pour justifier un nouvel ordre mondial fondé sur la loi du plus fort, la domination et la peur de l’autre. Ils ont également suscité – à juste titre, soulignons-le – une mobilisation sans précédent dans la lutte contre le terrorisme, laquelle a connu une accélération vertigineuse.
Les législations antiterroristes d’exception se sont ainsi répandues comme une traînée de poudre au niveau international, communautaire et national. Désormais, les législations sécuritaires tendent à se pérenniser, et la lutte antiterroriste devient un élément contextuel de tous les systèmes juridiques. Cette proposition de loi en fournit un exemple frappant.
Le terrorisme, sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, ne saurait être justifié. Notre détermination à l’éradiquer ne doit pas être mise en doute. Mais, justement parce que l’enjeu est grave, nous refusons d’envisager les relations internationales sous le seul angle des rapports de force sécuritaires et guerriers.
Cette approche est réductrice et, j’en suis profondément convaincu, contre-productive. Il ne s’agit pas d’angélisme, mais de réalisme ! Voyez l’évolution qu’a connue le terrorisme depuis que ces dispositions ont été adoptées. La menace n’est-elle pas plus importante aujourd’hui ? Je l’ai en tout cas entendu dire de votre côté de l’hémicycle. Or, à mon sens, les stratégies de guerre n’y sont pas étrangères.
Voilà pourquoi nous refusons de cautionner l’effet d’aubaine de la menace terroriste, qui permet de justifier des dispositions sécuritaires souvent fort éloignées des nécessités de la lutte contre le terrorisme. À ce jeu, l’État de droit est de plus en plus menacé par les restrictions qu’il apporte aux droits fondamentaux sur lesquels il repose.
Soyons clairs : il ne s’agit pas de soupçonner chaque mesure antiterroriste de mettre l’État de droit en danger ; nous admettons naturellement que des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Cependant, nous nous méfions de toutes les justifications fondées sur le caractère exceptionnel d’une situation, en raison des risques de dérive vers des pratiques contraires à l’État de droit.
Or c’est au nom de cette logique que la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, ou LAT, prévoyait l’accès facilité aux fichiers, le contrôle des déplacements, le développement de la vidéosurveillance ou l’augmentation des peines de prison. On nous demande aujourd’hui de prolonger l’application de trois de ses articles, pourtant présentés à l’époque comme des mesures exceptionnelles visant à faire face au niveau élevé de la menace terroriste. Ces dispositions, qui interfèrent directement avec l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux, avaient en effet été adoptées à titre temporaire, afin que le législateur puisse en évaluer la pertinence à l’issue d’une période d’expérimentation qui devait prendre fin le 31 décembre 2008. La proposition de loi de M. Haenel tend à prolonger leur application pour quatre années supplémentaires, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2012.
Permettez-moi tout d’abord quelques remarques de forme. Si la clause de rendez-vous fixée au 31 décembre 2008 a été respectée, il est regrettable que le Gouvernement se soit défaussé de sa responsabilité et n’ait pas lui-même pris l’initiative de saisir le Parlement afin de réexaminer et d’évaluer des dispositions aussi fondamentales concernant la sécurité et les libertés publiques. Comment interpréter ce dessaisissement ? Est-il dû au fait que le Gouvernement n’a pas respecté l’obligation de déposer les rapports annuels d’évaluation de la LAT, obligation prévue à l’article 32 ? En effet, nous ne disposons aujourd’hui que d’un rapport d’information, publié le 5 février 2008 par deux députés. Quelles qu’en soient les qualités, il ne saurait suffire à évaluer les résultats de l’expérimentation autorisée par la LAT et l’efficacité de ses dispositifs.
Dès lors, est-il bien sérieux de demander à la représentation nationale de se prononcer sur la prorogation pour quatre années supplémentaires – ce qui n’est pas rien – d’un dispositif exceptionnel qui affecte les libertés publiques, en l’absence d’une évaluation précise de ses effets et de ses résultats ?
Au-delà de ces remarques de forme, on peut s’interroger sur le bien-fondé des mesures exceptionnelles et provisoires adoptées en 2006. En effet, les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 sont loin d’être insignifiants : ils ont trait aux contrôles d’identité sur les lignes ferroviaires internationales, à la communication de données, à l’identification ou à la connexion à des services de communications électroniques, ainsi qu’à l’accès direct à des fichiers.
Ainsi l’article 3 n’a-t-il pas pour unique objet de prévenir ou de réprimer le terrorisme, mais s’inscrit dans le cadre général des contrôles d’identité destinés à compenser la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. Les dispositions qu’il contient servent en fait essentiellement à lutter contre l’immigration clandestine. Depuis avril 2008, 155 des 254 interpellations qui ont eu lieu dans le prolongement de la frontière franco-allemande, soit deux tiers d’entre elles, concernaient des étrangers en situation irrégulière.
Nous refusons par conséquent la prorogation de cet article, fidèle à la tendance à assimiler immigrés et terroristes potentiels. Cet amalgame entre terrorisme et immigration dans les différentes lois relatives à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme est inacceptable et, je le répète, contre-productif.
Nous sommes également opposés à l’article 6, qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire. Vous le savez, il a fait l’objet de réserves de la part de la CNIL. D’autre part, en dépit de l’urgence déclarée par le Gouvernement, force est de constater qu’un décret n’a toujours pas été pris et que la procédure ne fonctionne réellement que depuis moins d’un an et demi.
De même, nous refusons la prorogation de l’article 9, relatif à l’accès des services de police et de gendarmerie aux fichiers administratifs – immatriculations, permis de conduire, cartes nationales d’identité, passeports, données diverses relatives aux ressortissants étrangers. La CNIL a particulièrement attiré notre attention sur l’exigence de traçabilité des consultations, afin d’éviter des utilisations abusives étrangères, et sur la nécessité de veiller à ce que cet accès soit réduit à de simples consultations excluant toute extraction de données. Or cette proposition n’offre aucune de ces garanties.
Nous voterons donc contre cette proposition de loi visant à prolonger, pour quatre années supplémentaires, un dispositif exceptionnel affectant l’exercice des libertés publiques et dont l’efficacité ne nous a nullement été prouvée – ou qui, en tout cas, n’a fait l’objet d’aucun bilan. Inscrite dans la lignée d’un arsenal législatif sécuritaire stigmatisant une catégorie de population, la population immigrée, elle ne constitue absolument pas un remède approprié au fléau mondial du terrorisme, lequel, malgré la multiplication des mesures et des pratiques antiterroristes, ne cesse de se développer.
J’y avais longuement insisté lors de la discussion du texte initial, combattre le terrorisme suppose au fond de combattre ce qui le nourrit : la misère des peuples et leur humiliation par des comportements dominateurs. Les interventions militaires en Afghanistan et en Irak, qui ont contribué à accroître les tensions et à développer l’insécurité ; l’aggravation des inégalités entre pays riches et pauvres, que la crise financière continuera de creuser : tels sont bien les maux qui forment le terreau du terrorisme. Ce sont eux qu’il faut de toute urgence soigner.
 

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Michel
Vaxès

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