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Défense droit de propriété

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, durant les débats parlementaires autour de la loi ELAN déjà, plusieurs amendements visant à modifier la législation de l’occupation sans droit ni titre avaient été déposés par les parlementaires de droite, remettant dangereusement en cause les combats législatifs menés contre le mal-logement. Si nous pouvons nous féliciter que ces amendements aient été rejetés en première lecture par notre chambre, force est de constater que ce courant de pensée est malheureusement tenace puisqu’il est à l’origine de cette discussion sur une proposition de loi tout à fait sidérante.
La crise du logement dans notre pays atteint un point critique. Selon les chiffres de la Fondation Abbé-Pierre – celle-là même qui, avant-hier, épinglait le nouveau coup de rabot sur l’aide personnalisée au logement, l’APL, décidé par le Gouvernement –, ce sont quotidiennement presque 150 000 personnes qui dorment dans les rues. Et en même temps, l’INSEE dénombre près de 3 millions de logements vacants. Cela donne donc un ratio de vingt logements vacants pour chaque sans domicile fixe. La crise du logement que nous connaissons dans de nombreuses villes en France n’est donc rien d’autre qu’une crise de la vacance des logements. Et quand je parle de logements vacants, qu’on me comprenne bien : je ne parle même pas des résidences secondaires ou des logements occasionnels, mais bien des seuls logements vacants, qui représentent aujourd’hui 8,3 % du parc de logements en France.
Pourtant, cette proposition de loi, tout en abordant le mal-logement, ne donne aucun moyen d’en traiter la cause à la racine. De façon tout à fait opportuniste, elle semble au contraire plus encline à imaginer la détresse des propriétaires – pourtant pas toujours parés des meilleures intentions quand ils agissent en marchands de sommeil – plutôt que la misère des squatteurs.
Caricature, monsieur le rapporteur ? La justice vous dira si ce sont des caricatures !
Votre proposition de loi tend, à bien des égards, à renforcer encore un peu plus le droit de propriété, pourtant déjà largement consacré, cela a été dit, par la Déclaration des droits de l’homme et par notre Constitution, parfois au détriment de l’intérêt général et du bien commun. Nous l’avons vu, hélas, pendant la discussion de la loi ELAN, et nous le voyons au quotidien dans les tribunaux devant lesquels les marchands de sommeil sont poursuivis.
En mettant en avant les squatteurs, elle prétend apporter des solutions inédites à un problème que le droit français n’aborderait pas, ou marginalement, alors qu’il existe au contraire un arsenal juridique déjà très fourni en la matière, comme M. le ministre nous l’a rappelé. En somme, elle propose des solutions à rebours des problèmes qu’elle prétend vouloir résoudre.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens d’abord à rappeler que, si la loi DALO était correctement appliquée, nous ne serions certainement pas en train de débattre de ces problèmes de squats et d’occupation illégale de logements. Alors que les commissions de médiation prévues par cette loi ont rendu plus de 243 000 décisions favorables, seules 143 000 demandes ont pu être comblées à ce jour. Il faut absolument réussir, monsieur le ministre, à faire en sorte que ce taux de satisfaction des demandes augmente et tende vers 100 % ; c’est la seule condition pour que le droit au logement devienne réellement un droit opposable. En matière de résorption des squats, peut-être une discussion sur ce sujet aurait-elle été plus efficace pour répondre à la problématique posée. Mais sans doute aurait-elle été politiquement moins porteuse pour séduire un certain électorat très convoité.
Il est d’ailleurs assez regrettable que le groupe qui propose aujourd’hui ce texte soit celui-là même qui a fait voter la loi DALO il y a tout juste dix ans. Une dizaine des cosignataires de la proposition examinée ce soir avaient d’ailleurs voté pour ce texte en 2007. Nous assistons donc à un bien fâcheux revirement de situation.
Nous verrons en ce qui concerne ce texte, je commencerai par partager ma surprise après en avoir lu l’exposé des motifs. Il est déplorable qu’un texte prétendant porter des revendications aussi importantes puisse s’ouvrir sur deux faits divers, dramatiques mais marginaux, pour proposer ensuite des solutions lourdes de conséquence pour des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. La justice doit faire son œuvre.
Faire de la politique à partir de quelques faits divers est déjà une mauvaise chose en soi, mais, le ministre l’a également montré, lorsque ces faits divers sont faussés et tronqués, cela devient totalement irresponsable.
Ainsi, sous prétexte de faits divers mal rapportés, visant à émouvoir l’opinion publique, cette proposition de loi cherche en réalité à servir les plus forts et à enfoncer les plus faibles dans une précarité toujours plus grande, en ne laissant à l’État qu’un rôle de répression. Ce n’est pourtant pas en agitant des chiffons rouges, en laissant croire que les propriétaires risquent l’expropriation à tout moment – ce qui est heureusement totalement faux –, que nous parviendrons à lutter efficacement contre le mal-logement et contre le squat.
Puisqu’il faut restituer les phénomènes dans leurs contextes, permettez-moi de vous rappeler une statistique : en 2015, 1 940 demandes d’expulsion ont été formulées, ce qui représente 0,0054 % de l’ensemble des logements recensés en France en 2017 par l’INSEE. Par ailleurs, une autre vérité est que la grande majorité des squats ne s’établissent pas dans le domicile des personnes mais dans des locaux inutilisés, parfois depuis de nombreuses années.
Mais qu’en est-il de ces 1 940 demandes ? C’est justement là que le bât blesse. Car, à lire l’exposé des motifs de la proposition de loi, il y a de quoi penser avec effarement que le droit est confronté à un véritable vide juridique que cette proposition de loi vise à combler de toute urgence. Pourtant, au risque d’en décevoir certains, le droit encadre justement déjà, et très largement, le phénomène d’occupation sans droit ni titre. Le principe est celui de l’obtention d’une décision de justice, laquelle peut déjà être obtenue par le biais de la procédure du référé.
Il ne s’agit pas ici d’idéaliser quoi que ce soit : il est essentiel de faire respecter le droit des propriétaires, surtout lorsque l’occupation concerne leur résidence principale. Nous appuyons sur le fait qu’il est tout simplement inacceptable que des propriétaires soient privés de la jouissance d’un bien dont ils ont l’utilité. Pour autant, le droit le fait déjà et il n’est nul besoin de légiférer à nouveau.
De plus, la proposition de loi présente également un risque découlant de sa dangerosité car, en supprimant le bénéfice du DALO aux personnes condamnées pour une occupation sans droit ni titre, c’est bien là un autre droit consacré par la Constitution que vous remettez en question sans sourciller. En proposant d’étendre la notion de domicile à l’ensemble des propriétés bâties ou non bâties, vous ne vous embarrassez même plus des acquis de 2007, dont, je vous le rappelle, votre majorité d’alors était dépositaire.
En proposant d’accroître démesurément les marges de manœuvre laissées aux propriétaires, vous participez à une opération de victimisation largement exagérée et vous donnez de nouvelles armes aux marchands de sommeil, contre lesquels vous avez pourtant proposé des solutions intéressantes durant les débats sur le projet de loi ELAN. Vous devriez toujours attendre la fin de ma phrase, monsieur le rapporteur !
Face à une loi à l’évidence déséquilibrée et privée des nombreux fondements avancés dans son exposé des motifs, les députés communistes s’opposeront résolument à l’ensemble de ses dispositions inutiles, rétrogrades et, pour certaines, proches de l’inconstitutionnalité. En cohérence, nous voterons évidemment contre ce texte et espérons, en mémoire de décennies de victoires législatives pour la lutte contre le mal-logement, et en vue de toutes celles qu’il nous reste à mener, que de nombreux parlementaires ne manqueront pas de faire de même. Peut-être pourrons-nous, ensuite, nous attaquer plus sérieusement aux causes du mal-logement, dont j’ai décrit certaines.
Monsieur le ministre, vous avez dit qu’il faut améliorer l’exécution des décisions de justice. Vous plaidez donc pour le renforcement des moyens de la justice, c’est-à-dire par l’ajout de postes de fonctionnaires de justice. En effet, vous partagez certainement avec nous l’idée que les fonctionnaires de police et de gendarmerie sont en nombre insuffisant au regard des missions qui leur sont confiées pour assurer la sécurité de notre population. Il suffira donc de renforcer les moyens de police et de gendarmerie afin de mettre en œuvre les décisions de justice prises dans notre pays et de faire valoir le droit. Par conséquent, il n’était guère nécessaire d’ajouter un tel texte.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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