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Défense : gendarmerie nationale

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au sujet, je voudrais, une fois de plus, déplorer, au nom de l’ensemble des députés de mon groupe, ce qui est un déni de démocratie singulier et affligeant : la commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale, ne comptait aucun député du groupe GDR. L’avis du troisième groupe de l’Assemblée nationale n’a, semble-t-il, aucun poids, aucune importance. Ce groupe n’a aucun droit d’expression dans la fabrication du texte commun. Cela n’est pas acceptable.
Tout au plus, sommes-nous convoqués pour sanctionner d’un vote le texte que les autres députés, de tous les autres groupes, ont confectionné. Les députés communistes sont pourtant des élus de terrain qui ont toute légitimité pour légiférer sur les forces de sécurité intérieure. Le mépris dont ils sont l’objet est particulièrement regrettable et injuste.
À la lecture du texte de compromis qui a donc été fabriqué sans nous, nous constatons que les modifications apportées sont totalement secondaires. Les problèmes de fond posés par ce texte ont été soigneusement écartés des débats en CMP ; ils demeurent donc dans sa version finale.
Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur a été entériné en vue d’une fusion future, comme l’atteste le dernier article du texte issu de la CMP. Il s’agit de viser « l’obtention d’une parité globale entre les personnels des deux forces. »
Cela signifie que ce rattachement au ministère de l’intérieur aura pour conséquence, à plus ou moins long terme, l’abandon du statut militaire pour les 100 000 gendarmes que compte notre pays. Il est évident que les contraintes du statut militaire empêchent toute « parité globale » avec le statut des fonctionnaires de police.
Le texte de la CMP est donc très clair sur ce point. En dépit des dénégations répétées des ministres – et encore à l’instant –, l’objectif à terme est la fusion des deux forces de sécurité intérieure.
Nous y sommes fermement opposés, comme nous l’avons dit tout au long des débats, aussi bien au Sénat que dans cet hémicycle.
Si, comme le répète le Gouvernement, il n’est pas question de revenir sur le statut militaire de la gendarmerie, pourquoi rapprocher les deux forces ? Les gendarmes ne manqueront pas de faire remarquer qu’ils n’ont que les désagréments du statut militaire et aucun de ses avantages.
Quoi qu’il en soit, la mutualisation des moyens et le rapprochement institutionnel ne peuvent que créer des conflits entre les deux institutions. Les moyens dont a bénéficié la gendarmerie dans le cadre de la dernière loi d’orientation ont été de 20 % inférieurs à la prévision, alors que ceux de la police nationale étaient très supérieurs. Le rattachement risque donc de tourner à la mise en concurrence des deux forces.
Le projet de loi relatif à la gendarmerie nationale nous inquiétait sur deux points principaux, les articles 2 et 3, qui suppriment la procédure de réquisition légale et qui placent les responsables régionaux de la gendarmerie sous l’autorité du préfet.
La rédaction issue de la CMP des articles 2 et 2 bis, qui restaure les garde-fous concernant la suppression de la procédure de réquisition légale et l’utilisation de moyens militaires spécifiques par les forces de sécurité intérieure, nous paraît préférable à celle du texte de l’Assemblée. Ces garde-fous sont indispensables, et il est nécessaire d’encadrer l’utilisation de moyens militaires spécifiques par un décret en Conseil d’État, et non par un décret simple.
Le statut militaire de la gendarmerie, à l’article 3, est fragilisé par la mise sous la tutelle préfectorale des responsables départementaux de la gendarmerie. Le statut militaire se caractérise en effet par l’existence d’une chaîne hiérarchique. Or l’autorité préfectorale entre manifestement en contradiction avec celle-ci.
Le Gouvernement prétend que l’autorité préfectorale entérine la suprématie de l’autorité administrative et civile sur l’autorité militaire, mais pourtant il supprime la procédure de réquisition légale qui est justement la procédure formelle par laquelle se matérialise cette suprématie.
Aussi, la nouvelle rédaction des articles 2 et 3 n’a pas levé nos inquiétudes de fond, notamment quant à une nécessaire traçabilité des ordres donnés aux gendarmes. Pour le reste, l’économie générale du texte n’est pas remise en cause.
C’est l’occasion pour nous de rappeler notre opposition à cette réforme que personne ne souhaitait : ni les policiers, ni les gendarmes. Chacune de ces deux forces souhaitait en effet surtout conserver son budget, ses effectifs et son périmètre de missions. Avec ce texte, ce ne sera pas le cas.
Ce ne sont pas non plus les élus locaux qui ont réclamé ce projet de loi. En effet, ils ne peuvent que redouter que la révision générale des politiques publiques prive les collectivités territoriales d’effectifs. Or c’est la conséquence principale de ce texte.
Comme nous l’avons déjà remarqué lors de l’examen du texte, aucune directive européenne, à notre connaissance, ne nous exhorte à placer nos deux forces de sécurité sous la tutelle d’un seul ministère, ni même à les faire entrer dans le jeu de « concurrence libre et non faussée. »
Aucun dysfonctionnement de la gendarmerie ne peut non plus justifier cette ardeur réformatrice et la procédure d’urgence déclarée. Alors pourquoi faire adopter en catastrophe cet arsenal juridique ?
Pour ce gouvernement, il ne peut s’agir que d’ouvrir des brèches dans le statut des gendarmes, en vue de futures restructurations et, nous en avons désormais la confirmation par la nouvelle rédaction de l’article 11 du texte, d’une fusion de la gendarmerie et de la police.
Les restructurations sont déjà en cours. Ce projet s’inscrit dans la volonté d’appliquer la fameuse RGPP aux forces de maintien de l’ordre. Dans ce cadre, je rappelle les chiffres : 3 500 postes de gendarme seront supprimés d’ici à 2012 ; le plan social devrait entraîner la suppression de sept ou huit escadrons de gendarmerie mobile ; et selon Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, il est programmé que la police nationale perde 4 829 équivalents temps plein sur les trois ans à venir, soit la quasi-totalité des postes créés par la LOPSI.
Dans le même temps, la police aux frontières doit prendre en charge les centres de rétention administrative, jusqu’alors gérés par la gendarmerie, ce qui représente un effort de 600 équivalents temps plein. La création d’une centaine d’unités territoriales de quartier et de compagnies de sécurisation nécessite quant à elle le redéploiement de 4 000 équivalents temps plein.
Le chef de la police a posé lui-même la question : « Comment faire pour trouver tous ces fonctionnaires ? » Cette question a toute sa pertinence après le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 – 54 000 postes supprimés – et eu égard au dogme néolibéral de non-remplacement d’un poste de fonctionnaire sur deux.
D’ailleurs, le projet de loi sur la mobilité des fonctionnaires n’est pas de nature à nous rassurer sur ce point. En effet, selon l’article 3, issu de la CMP sur ce texte, « tous les corps militaires sont accessibles, par la voie du détachement suivi, le cas échéant, d’une intégration, aux fonctionnaires. » Cette disposition est typiquement dans la logique d’une recherche de « parité globale » entre la police et la gendarmerie, ainsi que je le montrais tout à l’heure. Elle semble être taillée sur mesure pour détruire toujours plus de postes pérennes à statut militaire, et répondre aux exigences de la RGPP.
À écouter le Gouvernement, ce projet de loi ne serait qu’une réforme de simplification ou d’une mise en cohérence. Nous y voyons plutôt une complexification d’institutions qui fonctionnent parfaitement, le tout dans l’objectif de favoriser, à terme, la fusion des deux forces.
D’une façon générale, tout est fait pour que les gendarmes n’aient plus que les inconvénients du statut militaire, sans en avoir les avantages. De cette façon, le Gouvernement espère que ce sont eux qui en viendront à revendiquer l’harmonisation statutaire. C’est la logique néolibérale, la vôtre : détricoter la cohérence des services publics pour les rendre moins efficaces et ainsi légitimer leur suppression ou leur restructuration.
La stratégie qui consiste à rapprocher deux institutions pour « faire des synergies », « des économies d’échelle » ou « supprimer les doublons » est totalement inefficace et sème la pagaille plutôt qu’autre chose. À titre d’exemple, le naufrage de la fusion entre les ASSEDIC et l’ANPE est éloquent.
Réformer le statut et l’outil de travail de 100 000 hommes et femmes ne se fait pas à la légère. Cela pose de multiples questions en termes d’organisation du travail, de temps de travail, de rémunération, autant de problématiques que ce projet de loi, placé en procédure d’urgence, n’aborde pas.
Partout où ce Gouvernement néolibéral veut faire des simplifications, partout cela installe la confusion et la pagaille. Il y aura désormais des compétences croisées entre les ministères de la défense et de l’intérieur. S’agissant de la gendarmerie, le ministère de la défense conservera ses prérogatives en matière disciplinaire et pour les opérations militaires proprement dites.
Plutôt que d’une simplification, on voit bien qu’il s’agit tout au contraire d’une complexification. Les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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