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Défense : loi de programmation militaire 2009 -2014

Madame la présidente, monsieur le ministre, cher président Teissier,…
Je vais vous dire pourquoi, monsieur le ministre : nous respectons notre président de commission. Certains respectent le Président de la République ; pour ma part, je respecte le président Teissier, et plus que le Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Tout à l’heure, notre collègue Grouard proposait de donner le nom de Jeanne d’Arc à un deuxième porte-avions. Moi, spontanément, je l’appellerais volontiers le Guy Teissier… (Sourires.) Mais trêve de plaisanteries.
Chers collègues, ce projet de loi de programmation militaire, tant retardé, décline les principes de la politique de défense et les moyens qui lui seront consacrés jusqu’en 2014. Cette LPM aurait dû constituer la première étape de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale définie par le Livre blanc. Or ce ne sera pas le cas puisque le budget 2009, qui correspond au début de la programmation, a été voté avant même la LPM.
Cela dit, il me semble que le retard accumulé a été un motif de soulagement pour beaucoup. Contrairement à ce que l’on entend, ce projet n’est pas aussi attendu que cela, bien au contraire ! L’hostilité des personnels du ministère et des sociétés nationales de défense est réelle : on a pu la mesurer par diverses manifestations et mobilisations. Des pétitions circulent, et j’en ai apportées avec moi. Des milliers de salariés disent non à la casse de notre outil de défense et non à la privatisation des industries de défense ! Toutes les fédérations dénoncent la programmation de 54 000 suppressions de postes, chiffre qui s’élève à 210 000 avec les emplois induits. La composante civile est lourdement touchée alors que, en l’espace de douze ans, ses effectifs étaient déjà passés de 145 000 à 72 000. Les personnels refusent la logique comptable de cette LPM, le démantèlement progressif d’un ministère pourtant régalien, les évolutions technocratiques et autoritaires, la nouvelle carte militaire et le recours accru à la sous-traitance et aux externalisations.
Essentiel au ministère, le personnel civil devrait avoir droit à une perspective de carrière et de rémunération au sein de la fonction publique. Or c’est tout le contraire qui lui est proposé, avec l’individualisation des rémunérations, la casse du statut et la privatisation des missions de soutien. Ces dégraissages sont sans précédent. Mais, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ils sont le résultat de la RGPP, et non celui de nouvelles données stratégiques. Mutualisation, rationalisation, réorganisation, meilleure gouvernance… Autant de prétextes faciles !
Avec de telles orientations, la préoccupation principale est de reconvertir les personnels. Les civils des sites transférés ou dissous vont connaître un véritable bouleversement. En cas de refus de mobilité, ils se heurteront aux pires difficultés pour retrouver du travail dans leur bassin d’emploi, la RGPP étant appliquée à toutes les fonctions publiques. Au-delà des mesures financières, il n’existe aucune mesure de reclassement cohérent. Le Gouvernement réussit donc le tour de force de se mettre à dos l’ensemble des personnels, et ce malgré des crédits en forte hausse : 377 milliards seront consacrés à la mission « Défense » sur douze ans ; 186 milliards sont prévus pour la LPM jusqu’en 2014. Alors que les caisses de l’État sont déclarées vides quand il s’agit de financer l’hôpital ou l’éducation nationale, les Français doivent savoir qu’ils auront à payer, sur six ans, la facture astronomique de 102 milliards pour l’équipement de nos forces.
Certes, la France gardera son rang, mais je m’interroge : à quel prix, et surtout pour quoi faire ? On peut douter du raisonnement selon lequel il faudrait absolument faire des économies sur le soutien et l’administration. Comme le prouve l’exemple britannique, le recours accru au privé risque bien de coûter plus cher qu’initialement.
En outre, on peut douter de la finalité de l’achat faramineux de matériels de guerre. Comme nous l’avions évoqué lors de l’examen du Livre blanc, se pose la question de la mission des armées. Si le but proclamé est d’assurer une meilleure sécurité des Français et de nos ressortissants, pourra-t-on réellement réussir avec des objectifs comme la dynamisation des exportations, le gonflement des programmes d’armement et la relance de la vente d’armes dans le monde ? Bien sûr que non ! Il résultera de ces orientations une dissémination des risques, au grand bonheur du lobby des armes.
Le plan de relance de l’économie va aggraver cette course folle à l’armement, à travers toute une panoplie dont l’essentiel va servir pour l’intervention de nos forces à l’étranger.
J’estime qu’un processus vraiment démocratique aurait associé nos concitoyens à trois décisions prises quasi unilatéralement, à savoir : la place de la dissuasion nucléaire, les missions de sécurité des armées et leur cadre international.
La dissuasion nucléaire, clef de voûte de notre stratégie de défense, représente un gouffre financier de plus de vingt milliards d’euros, soit un quart du budget d’équipement. L’arme nucléaire nous coûte environ onze millions d’euros par jour… Pourtant, on sait bien qu’elle n’est pas une assurance-vie. Le nucléaire est inadapté à la réalité actuelle des conflits. La diminution prévue d’un tiers des moyens de la force nucléaire aéroportée conforte d’ailleurs mon analyse.
Outre son coût financier, le nucléaire participe aussi de la dangerosité du monde à travers la prolifération. Nous sommes donc très mal placés pour faire la leçon à la Corée du Nord et à l’Iran !
C’est pourquoi je veux réaffirmer sans détour la nécessité d’un désarmement nucléaire multilatéral. La France devrait œuvrer à la dissolution des blocs militaires et à la dénucléarisation progressive, contrôlée et universelle, tout en mettant en place un système global de sécurité collective dans le cadre d’un règlement politique des conflits.
Quant au nouveau concept de sécurité globale, il s’agit d’une paranoïa soigneusement entretenue. Comme nous n’avons de cesse de le dénoncer, les changements institutionnels et de doctrine mélangent les concepts de défense et de sécurité nationale, installant un climat de guerre larvée. Il s’agit d’une vision purement militaire de la sécurité qui ouvre la voie à l’intervention de l’armée dans les missions d’ordre public. Cela est particulièrement dangereux pour les libertés publiques, tout comme le sont les réformes prévues du code de procédure pénale.
Le droit de chaque citoyen d’être informé s’accommode mal avec la réforme de la protection du secret défense. Celle-ci va dans le sens d’une restriction des marges de manœuvres des magistrats instructeurs, surplombés dans leur action par la commission consultative du secret défense, dont les prérogatives seront renforcées.
Le code pénal élargirait le périmètre des atteintes au secret défense et les peines encourues seraient aggravées. La LPM contient aussi la création de l’appellation « lieux classifiés », échappant au droit commun. Ces changements sont inacceptables et largement dénoncés par les professionnels du droit. Même la commission des lois s’oppose au projet en l’état !
En revanche, le Président de la République s’arroge le droit de tout savoir. La création, en cas de crise, d’une fonction de coordination du renseignement auprès de lui, le conseil national du renseignement, dénote une dérive outrancière : même aux États-Unis, le Président n’a pas directement la main sur le renseignement ! En outre, la codification des attributions des membres du Gouvernement est réalisée dans l’obsession de la menace permanente de risques divers, réels ou supposés, et d’atteintes aux intérêts de la nation, à même de justifier une frénésie sécuritaire.
Pour couronner le tout, suite à la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, l’esprit guerrier atlantiste est érigé en doctrine officielle. On peut lire avec effroi que « le risque d’implication de notre pays et des pays européens ou alliés dans une guerre interétatique ne peut être exclu à l’horizon de quinze ans. » Attention, le gâchis humain n’a jamais été aussi proche !
Notre intégration dans l’OTAN va non seulement nuire à notre souveraineté, mais aussi augmenter « les sollicitations sur les théâtres extérieurs » – c’est écrit noir sur blanc, et on pense, en premier lieu, à l’Afghanistan. Actuellement, le président américain Obama déclare vouloir intensifier la guerre dans ce pays où massacres et les bavures se poursuivent à un rythme effréné. Le régime afghan a introduit la charia dans la Constitution et a légalisé le viol des femmes par leurs maris… Un grand bond en avant, décidément !
En fait, la République islamique d’Afghanistan, dont le sous-sol regorge de ressources naturelles, est devenue un eldorado prisé des investisseurs. Au-delà, le but réel de l’occupation est d’encercler la Russie et la Chine pour préparer un possible conflit, tout en contrôlant les routes du pétrole et du gaz de l’Asie centrale ex-soviétique. Voilà les vraies raisons de notre présence en Afghanistan, que la LPM entend conforter. Nous reprenons à bon compte les visées hégémoniques des États-Unis, au motif que la population serait exposée au terrorisme d’inspiration djihadiste.
Nicolas Sarkozy, pour sa part, aurait bien voulu participer à la guerre impérialiste en Irak. À présent, il enjoint aux entreprises françaises de venir investir dans ce pays comme des vautours !
La France a aussi franchi un cap stratégique en inaugurant la base militaire d’Abou Dhabi, face à l’Iran, souscrivant ainsi officiellement au rôle de sous-traitante des États-Unis dans la défense occidentale du golfe arabo-persique. Il s’agit de la première base française créée à l’étranger depuis la fin de l’ère coloniale, dans les années soixante.
Il faut redouter que cette installation, dans un endroit stratégique car hautement pétrolifère, préfigure une participation à des frappes américaines ou israéliennes que la France soutiendrait. Ce positionnement est un recul historique qui confirme l’orientation hégémonique de la politique française au service des intérêts privés.
Conscients qu’il faut à la fois renforcer le lien défense-nation et faire face à un contexte budgétaire tendu, nous avançons plusieurs propositions.
Il nous faut d’abord réfléchir à la fermeture de nos bases militaires permanentes à l’étranger.
Ensuite, nous proposons de créer un pôle public national qui regrouperait les industries de défense qui, actuellement, s’occupent uniquement de rentabilité financière. Une maîtrise publique permettrait d’éviter que la course au profit ne conduise à la course à l’armement. Elle permettrait que la conception, la fabrication et la vente d’armes ne soient pas banalisées. Malheureusement, cette proposition va à l’exact opposé de ce que préconise cette loi qui s’inscrit pleinement dans la conception d’un marché européen toujours plus libéral. Du reste, un Livre vert publié en 2004 par la Commission européenne ne dessine-t-il pas l’ébauche d’un « marché européen pour les équipements de la défense, plus transparent et plus ouvert, à même de renforcer la position concurrentielle des industries de la défense européenne » ? Au nom de l’intégration dans l’Europe capitaliste, on abandonne des pans entiers de maîtrise publique sur les secteurs des missions de soutien, et sur le secteur de la production industrielle et du maintien en conditions opérationnelles, on prépare la privatisation de nos fleurons nationaux DCNS et SNPE, et on accroît le recours aux partenariats public-privé ! Ainsi, l’Europe, présentée par les hauts stratèges comme la solution à tous les problèmes, n’est en réalité bonne que pour nous absorber.
Toute sa philosophie consiste à désengager les États de leur propre outil de défense, ouvrant la porte à des alliances industrielles mondiales pour satisfaire l’appétit des actionnaires.
Avec cette LPM, la guerre se privatise. Les questions auxquelles nous devons répondre sont les suivantes : sommes-nous prêts à sacrifier notre souveraineté aux visées hégémoniques du capital ? Sommes-nous prêts à abandonner au privé l’organisation de pans entiers de nos armées ?
Pour leur part, les députés communistes, républicains et du Parti de Gauche estiment que l’organisation et les objectifs de notre défense nationale ne devraient pas relever du secteur privé. Au cours des discussions sur le Livre blanc, nous avons eu l’occasion d’exprimer notre vision d’une politique de sécurité alternative, basée sur la réponse aux besoins sociaux, sur des rapports internationaux de coopération et de dialogue, dans le cadre du droit international, et sur la maîtrise démocratique du recours à la force.
C’est aussi dans le cadre de la réappropriation par le peuple de son armée qu’il faudrait réfléchir à la reprise d’un service national de conscription tant il devient évident que les évolutions libérales et technocratiques actuelles éloignent de plus en plus nos concitoyens de leur armée.
En matière de défense, la rupture sarkozyste, c’est surtout la rupture de l’État avec son armée, la rupture entre la nation et sa défense, la rupture entre les personnels civils et leur ministère, la rupture avec les citoyens et avec la paix ! Bref, c’est la rupture ultralibérale, sur le modèle américain.
Par refus de ce cynisme, des logiques du profit et de guerre, les députés communistes, républicains et du Parti de Gauche, vous n’en serez pas étonnés, voteront contre ce projet de LPM. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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