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Défense : lutte contre la piraterie et exercice des pouvoirs de police en mer

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il y a deux ans, l’activité de pirates au large de la Somalie avait fait irruption dans notre paysage médiatique et avait suscité l’émotion de l’opinion publique.
La capture du Ponant, navire de croisière avec à son bord une vingtaine de nos compatriotes, avait révélé l’importance de l’enjeu de la lutte contre la piraterie dans cette région. Ensuite, les attaques d’autres navires de plaisance ou de commerce ont alimenté l’actualité au fil des mois. Ce phénomène n’est pas récent. Au début des années 2000, les pirates sévissaient en mer de Chine et dans le détroit de Malacca, sans pour autant attirer l’attention de l’Occident.
Aujourd’hui même, alors que tous les projecteurs sont braqués sur le golfe d’Aden, une piraterie bien plus dangereuse et violente touche les installations pétrolières du golfe de Guinée et les eaux nigérianes. La croissance des actes de piraterie est extrêmement rapide depuis 2007, alors que cette activité n’était encore que marginale en 2006.
Cela a conduit le Programme alimentaire mondial à lancer un appel international pour la protection de ses navires convoyant l’aide humanitaire indispensable à la survie de près de deux millions de Somaliens.
D’où aussi la participation française à l’opération navale militaire de l’Union européenne « Atalante », lancée en 2008 dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense. Menée avec plus d’une vingtaine de bâtiments, des avions et 1 800 militaires de neuf pays, cette opération d’envergure vise à dissuader les pirates, à protéger les navires et, le cas échéant, à réprimer.
Entre 2008 et 2009, 315 pirates ont été retenus ou appréhendés et plus de la moitié des actes de piraterie ont eu pour théâtre le golfe d’Aden et le large des côtes somaliennes, avec 47 navires détournés et 867 membres d’équipages pris en otage.
Dans cette zone géographique où transitent près de 25 000 navires par an et 20 % du commerce mondial, outre les atteintes à la sécurité des personnes difficilement tolérables, ces actes font peser une très sérieuse menace sur la liberté de navigation.
Tous ces éléments légitiment l’existence de ce projet de loi. Celui-ci définit un cadre juridique spécifique pour lutter contre la piraterie et adapte notre législation pénale aux conventions internationales. Cependant, il faut bien avoir conscience que ce texte ne règle pas tous les problèmes. Je pense, en particulier, qu’il faut agir sur les effets, mais aussi plus fortement sur les causes. La répression ne suffit pas. En effet, les problèmes de fond que pose la piraterie ne se régleront ni seulement en mer, ni uniquement par la répression. C’est principalement à terre qu’il faut chercher des solutions, par le biais du développement des pays.
Nous le savons, le phénomène de piraterie au large de la Somalie a pour cause principale la situation de ce pays. Ses habitants vivent dans une misère noire et les structures de l’État sont très fragiles. Ce pays est ravagé depuis dix-huit ans par une guerre civile. La moitié de ses habitants dépendent de l’aide humanitaire.
En Somalie, un pêcheur gagne un dollar par jour pour nourrir sa famille. La population somalienne souffre d’une telle pauvreté que tout lui est bon pour obtenir de l’argent. Alors, oui, je le pense, on ne devient sûrement pas pirate par plaisir.
Face à cette réalité incontestable, une autre réalité implacable : l’aide publique au développement apportée par la France va baisser de 5 % par rapport à l’année dernière. Les ONG alertent en permanence sur les conséquences du risque de réduction de l’aide publique aux pays pauvres. Il faudrait un développement partagé, une répartition équitable des richesses mondiales. Ce n’est pas ce qui est prévu dans le projet de loi de finances pour 2011.
Alors, je le dis, il faudrait que les pays riches prennent réellement leurs responsabilités, sans se contenter d’envoyer leur armada militaire ! Qu’on me comprenne bien : la violence s’explique, mais elle ne se justifie pas.
Mercredi dernier, encore, la frégate De Grasse a intercepté une embarcation pirate dans le golfe d’Aden. Les marins français ont saisi des lance-roquettes, un fusil-mitrailleur et des munitions, autant d’armes de guerre. Malgré tout, les sept hommes interceptés sont repartis libres, sur leur embarcation, après confiscation des armes. Comme il n’y avait pas assez de preuve pour lancer des poursuites judiciaires, le matériel de piraterie a été confisqué et les pirates présumés ont été renvoyés en Somalie.
C’est un problème. Si cette interception a évité de très probables attaques sur des navires, selon l’état-major de l’opération Atalante, laisser libres ces individus n’est pas satisfaisant. D’ailleurs, comme le souligne le rapport du groupe de contrôle sur la Somalie, remis le 10 mars dernier au Conseil de sécurité de l’ONU, ces pirates ne sont que le dernier maillon d’une chaîne bien organisée sur laquelle prospèrent des groupes aux mains de véritables hommes d’affaires qui, eux, ne prennent pas de risques et ne sont nullement inquiétés.
À ce propos, je comprends, comme le prévoit le texte amendé, la démarche qui consiste à adopter un régime de compétence quasi universelle afin de privilégier le traitement judiciaire des actes de piraterie par deux pays de la région, le Kenya et les Seychelles. Son efficacité est néanmoins très limitée.
Du reste, les pays de l’Union européenne, qui assurent le fonctionnement de ce système par le biais du programme anti-piraterie de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, risquent d’être bientôt de nouveau seuls face à ce problème : le Kenya a récusé les accords qu’il avait signés dans ce domaine, parce que ses prisons sont surpeuplées et ses tribunaux débordés. Pour éviter une telle situation, l’Union européenne a même proposé d’accroître son soutien au Kenya et aux Seychelles afin que ces États puissent continuer de juger et d’emprisonner les pirates somaliens.
Également conscient de cette difficulté, le Conseil de sécurité de l’ONU a, pour sa part, adopté à l’unanimité une résolution appelant tous les États à durcir leurs législations nationales et les pays riverains à s’impliquer davantage dans cette lutte.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a le mérite de clarifier la situation et de combler un vide juridique. Il détermine les infractions pénales constitutives d’actes de piraterie, les modalités de leur recherche et les agents habilités à poursuivre leurs auteurs. Je ne m’attarderai pas sur ce volet, qui répond à la nécessité de rendre plus efficace la lutte contre les actes de piraterie commis en mer en renforçant les mesures de prévention et de répression dont dispose l’État.
Par ailleurs, afin de tenir compte de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, ce texte vise à assurer la sécurité juridique des mesures de coercition prises à l’encontre de personnes appréhendées lors d’une opération de police de l’État en mer. Sur ce point, je ne suis pas persuadé que le dispositif retenu nous mette entièrement à l’abri d’autres contentieux, à l’initiative d’associations ou de particuliers, qui entraîneraient de nouvelles condamnations par la Cour.
En effet, dans le dispositif proposé, c’est le juge des libertés et de la détention qui est saisi par le procureur de la République, quarante-huit heures après que celui-ci a été informé que des mesures de restriction ou de privation de liberté ont été prises. Il faudrait donc que le statut du procureur de la République satisfasse les critères de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui ferait de lui une autorité judiciaire. En d’autres termes, il faut mettre un terme à la tutelle hiérarchique de l’exécutif sur les procureurs.
Surtout, je déplore qu’un texte portant sur la piraterie maritime propose de rendre applicables à l’immigration illégale les dispositions de rétention à bord. Car, à mes yeux, l’immigration illégale n’est en rien comparable aux actes de piraterie ou au trafic de stupéfiants. Il s’agit donc d’un mélange des genres.
De fait, l’ancien ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire avait annoncé la création d’un dispositif de lutte contre le trafic des migrants par mer qui prévoyait notamment la surveillance en Méditerranée et l’interception des navires dans ses eaux.
Or, si je comprends la nécessité de développer la coopération internationale pour faire face à cette forme de délinquance, on peut craindre qu’ajouté au nouveau dispositif prévu, ce texte sur la répression de la piraterie maritime ne donne un fondement légal à la possibilité de retenir sur des bâtiments de la marine nationale des immigrants dont les embarcations auraient été interceptées par la police en mer. Autrement dit, je redoute que ce texte ne légalise indirectement la création, sur des bâtiments de la marine nationale, de centres de rétention administrative qui seraient soumis à un régime moins protecteur que le régime actuel.
Pour toutes ces raisons, si nous voulons éradiquer véritablement ce fléau, il est impératif de ne pas s’en tenir à une solution uniquement juridique. L’engagement militaire de notre pays et l’amélioration de nos moyens juridiques ne sont qu’un élément de réponse.
Il faut trouver une solution politique à la crise dramatique que connaît la Somalie, et qui exerce un effet déstabilisateur sur toute la région. Nous devrions donc, avec nos partenaires européens, faire davantage pour soutenir l’Union africaine et le gouvernement fédéral somalien de transition.
Certes, ces questions excèdent la portée du projet de loi qui nous est présenté mais, compte tenu des réserves que m’inspire la possibilité d’en appliquer certaines dispositions à la lutte contre l’immigration illégale, notre groupe s’abstiendra.
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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