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Défense : réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français

Vous commencez bien ! Je n’en avais pas l’intention, mais, dans ces conditions, je vais parler longtemps. J’ai toute la soirée, je ne partirai pour Amiens que demain matin !
Madame la présidente, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur le projet de loi présenté par le rapporteur de la commission mixte paritaire relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Je veux d’abord saluer tous les vétérans qui, même si nous sommes à la veille des fêtes, sont venus se rendre compte de la façon dont ils allaient être reconnus et indemnisés. Il y a des années, le groupe communiste avait déposé une proposition de loi de reconnaissance et d’indemnisation des essais nucléaires, comme il l’a fait notamment pour les victimes de l’amiante. Certains de ces vétérans ont donné leur vie, d’autres leur santé, pour avoir dû participer à cette mission que leur ont fixée l’État et la République française.
Pour que l’État français, qui ne leur a pas demandé leur avis avant de les envoyer là-bas, daigne leur accorder cette reconnaissance, qui est loin d’être totale, et une indemnisation encore contestée, ils ont dû pendant des années s’organiser en associations, se battre, encore se battre, toujours se battre. Avouons que c’est peu glorieux pour ceux qui, au cours des décennies précédentes, ont tenu les manettes du pouvoir. Les gouvernements se sont succédé et, quelle que soit leur couleur, ils avaient jusqu’à ce jour refusé cette reconnaissance.
Enfin, cela est fait, et il convient de s’en réjouir. Comme l’indique le titre de la loi, nous devons leur rendre cet hommage en rétablissant la vérité historique et en tirant toutes les conséquences humaines, matérielles et environnementales pour l’ensemble des territoires et des populations concernés.
Cela dit, comment peut-on vouloir réduire par tous les moyens une réalité aussi massive, aussi tragique et dangereuse pour le devenir de la planète ? C’est pourtant, monsieur le ministre, ce que font toujours cette loi et son décret d’application. Ce texte contient des avancées, c’est incontestable, mais aussi des dispositions qui peuvent être utilisées pour réduire reconnaissance et indemnisation accordées par les tribunaux aujourd’hui.
Puisqu’il y a une loi, c’est de toute façon un pas en avant, dit-on, mais, dans les tribunaux, de nombreux jugements ont donné raison aux vétérans. Or, après le vote de la loi, ce sont les dispositions qu’elle contient qui s’appliqueront, et il ne faudrait pas qu’une loi qui marque un progrès dans la reconnaissance soit une régression pour l’indemnisation en particulier. C’est ce que notent les principales associations comme l’AVEN, l’ANVEN, Mururoa e tatou.
Ce n’est pas digne de la France de tergiverser à l’égard de toutes les victimes directes et indirectes, pas plus que pour les conséquences environnementales immédiates et d’avenir. Je le dis comme je le pense, à l’accoutumée, car vous savez que c’est une loi attendue depuis trente ans par les vétérans malades, les veuves et les orphelins.
C’est donc la fin de décennies de cécité, de mutisme et d’ingratitude de la part des plus hautes autorités de l’État, mais nous sommes encore loin du compte, loin des mesures à la hauteur du drame humain et écologique qui a eu lieu.
Votre loi, monsieur le ministre, est malheureusement entachée de plusieurs graves insuffisances et de votre entêtement à refuser les propositions fondamentales auxquelles les associations sont particulièrement attachées. Je veux en noter quelques-unes pour que cela ne reste pas une affirmation gratuite.
Il y a tout d’abord ce refus obstiné de créer un fonds d’indemnisation comme pour l’amiante et autres maladies professionnelles. Nous avons créé un fonds pour l’amiante. Pourquoi les radiations nucléaires seraient-elles moins graves ? Pourquoi prendre sur les crédits du budget de la défense ? C’est le ministre qui décidera en dernier recours. Ce n’est pas vous que je mets en cause, monsieur le ministre. Les gouvernements passent, les ministres sont remplacés par d’autres. Le nouveau ministre peut dire qu’il n’a pris aucun engagement, que ce n’est pas dans la loi, qu’il n’a pas les moyens, et on repart à zéro.
Il y a ensuite le refus de faire bénéficier de la loi les ayants droit, veuves, enfants, concubins, des victimes concernant leurs préjudices « propres » : souffrance physique, perte de revenus, vie gâchée par la maladie. Les ayants droit ne peuvent recevoir une indemnisation que pour le décès de la victime.
Il y a aussi, à l’article 2, la révision dans le projet de décret de zones géographiques exposées pour l’espace polynésien, en dépit de la réalité des 203 retombées radioactives constatées entre 1966 et 1974 et reconnues par le ministère de la défense dans son ouvrage La dimension radiologique des essais nucléaires de décembre 2006, page 362 à 448, et pour le Sahara, alors que le rapport n° 3571 du 5 février 2002 de l’office parlementaire reconnaît, page 26, des retombées jusqu’à 200 kilomètres à Adrar, en Algérie, à Abidjan, 2 600 kilomètres, et à Khartoum, 3 200 kilomètres. La liste est longue et montre bien combien il est stupide – je ne traite personne de stupide, contrairement à ce qu’a fait un ministre à l’égard d’un député – d’inventer des rideaux invisibles de non-prolifération des retombées radioactives. Vous vous souvenez de Tchernobyl, le nuage avait longé notre frontière, il n’était pas venu chez nous. On connaît bien l’absurdité d’une telle thèse.
À l’article 4, il y a le refus d’associer les associations au comité d’indemnisation dont la décision finale est du ressort du seul ministre. L’État qui a organisé les 210 essais nucléaires est celui qui décide ou non d’indemniser les victimes. Ce n’est pas vous qui êtes en cause, monsieur Morin, vous le savez bien, nous en avons déjà parlé, mais le ministre est donc juge et partie. On sait ce que cela veut dire : ça ne peut pas marcher.
Pour refuser la participation des associations, on avance précisément que celles-ci seraient juges et parties et on explique que les victimes ne peuvent décider de leur indemnisation. Dans ce cas, appliquons la règle à tout le monde. C’est l’État français qui a décidé des essais nucléaires, il ne peut donc pas non plus être juge et partie. Si c’est le ministre qui décide, il faut que l’autre partie soit là elle aussi. Ce ne sont pas les demandeurs qui siègent dans le comité pour décider de l’indemnisation. Pourquoi avance-t-on cet argument pour les essais nucléaires, alors que, pour les victimes de l’amiante par exemple, les associations et les syndicats participent ? Comment, dans ce comité, les victimes pourront-elles défendre et faire défendre leurs dossiers face à des experts soumis à la fois au secret médical et au secret défense et qui, de plus, n’ont aucune expérience des conditions de déroulement des essais, aucun vécu direct ?
À l’article 4 toujours, il y a le refus d’une inscription claire et explicite du principe de présomption d’origine pour les maladies radio-induites alors que, dans le II, il est prévu que « l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque puisse être considéré comme négligeable ».
On introduit dans la loi des éléments contraires au principe de présomption de causalité. C’est pourquoi, sans doute, on ne veut pas de représentants des associations, et on introduit la possibilité de nier ce principe de causalité.
À l’article 7, l’absence de désignation explicite dans la loi des deux associations représentatives des victimes, l’AVEN et Mururoa e tatou, comme membres de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires n’a absolument aucune justification.
Ne sont pas prises en compte les conséquences environnementales des essais nucléaires qui devraient faire partie explicitement de la feuille de route. Vous le savez, vous avez reçu tout un dossier de la Polynésie avec des études sur les graves conséquences pour aujourd’hui et pour demain,…
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur Gremetz.
Je termine si on me laisse terminer. Si on ne me laisse pas, je terminerai quand même, mais un peu plus tard. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je termine. À notre sens, la commission de suivi ne devrait pas être seulement consultative, mais décisionnelle. La présence enfin admise d’associations serait donc si nuisible ? Et pour qui ?
Moi, je veux bien, mais si vous agissez ainsi, nous allons perdre du temps !
Lorsque l’on parle, que l’on puisse au moins être entendu !
C’est encore, dans le projet de décret, le refus de prendre en considération toutes les maladies cancéreuses – notamment le myélome et le lymphome, ainsi que le cancer de la thyroïde, quel que soit l’âge de la personne concernée – et non cancéreuses telles que les maladies cardio-vasculaires, dont souffre un vétéran sur cinq – de la commission UNSCEAR de l’ONU en 2006.
Monsieur le ministre, c’est pour toutes ces raisons que nous voterons contre ce projet, comme nous l’avons fait au Sénat. Contrairement à ce que l’on a dit, ce texte nous revient du Sénat, après la commission mixte paritaire, exactement comme il y était entré : rien n’a été modifié.
Il y a désormais une représentation, une reconnaissance. Mais nous allons continuer à nous battre avec les associations pour qu’un véritable droit à réparation soit reconnu.
Je vous salue, madame la présidente. Les orateurs qui vont maintenant s’exprimer vont avoir beaucoup de mal ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
 

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Maxime
Gremetz

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