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Discussions générales

Délimitation des régions et modification du calendrier électoral

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme en première lecture, l’essentiel de la discussion de ce projet de loi reste focalisé sur la question des périmètres régionaux. Comme en première lecture, notre groupe restera délibérément à l’écart des tractations et marchandages de la carte régionale, car les véritables enjeux sont ailleurs.
Je veux cependant redire avec force que la démocratie exigerait qu’il n’y ait pas de regroupement ou de fusion sans débat public, pas de regroupement ou de fusion sans consultation des habitants !
M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !
M. Marc Dolez. Un mot, monsieur le ministre, sur le calendrier électoral, puisque, depuis la première lecture, vous avez renoncé au report des élections départementales, craignant une probable censure du Conseil constitutionnel – risque que, par ailleurs, le Gouvernement aurait dû entrevoir avant. Même si les élections départementales se tiennent comme prévu en mars, cela n’évitera pas une certaine confusion : on ne sait pas dans quels départements et sous quelle forme les conseils départementaux seront maintenus, et le texte sur la répartition des compétences n’est pas encore examiné.
Pour nous, les enjeux sont ailleurs ! Car la réforme territoriale en cours bouleversera l’organisation territoriale de notre pays pour plusieurs décennies, balayant les grandes avancées républicaines qui ont jalonné notre histoire.
Derrière ce redécoupage des régions se profile un séisme institutionnel. De grandes régions disposant de compétences élargies, grâce à d’importants transferts de l’État, lequel irait jusqu’à leur confier un pouvoir réglementaire…
Mme Arlette Grosskost. Il vaudrait mieux !
M. Marc Dolez. …tout cela porte le germe d’une organisation fédéraliste, en lieu et place de notre République une et indivisible.
Plusieurs députés du groupe UMP. Il a raison !
M. Marc Dolez. Face à un tel risque, il aurait été légitime d’engager un grand débat national, car rien de sérieux et de durable ne peut se construire sans y associer étroitement les citoyens et leurs élus, les partenaires économiques et sociaux ainsi que les personnels territoriaux.
Mais le Gouvernement s’y est refusé, préférant précipiter l’examen d’un texte élaboré sans concertation, sans étude d’impact sérieuse, et surtout sans vision stratégique. La logique aurait également voulu que nous examinions en priorité les fonctions et les compétences des régions, pour déterminer l’espace qu’elles devraient occuper. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Reitzer. Vous avez pris le problème à l’envers !
M. Marc Dolez. Avant de réfléchir aux périmètres des régions, il fallait aussi s’interroger sur les moyens financiers et humains dont elles pourront disposer pour exercer leurs nouvelles compétences.
Dès lors, il n’est pas étonnant que le manque de visibilité et l’absence d’écriture précise de la future organisation territoriale suscite l’inquiétude légitime de la plupart des élus locaux, comme le confirmera, à l’évidence, le congrès des maires de France, la semaine prochaine.
Sans surprise, la commission des lois a rétabli le découpage en treize régions adopté par notre assemblée en première lecture. Un découpage souvent sans lien avec la réalité des bassins de vie et qui pourrait se résumer en trois mots : arbitraire, gigantisme et austérité.
À l’instar des super-métropoles, il s’agit ici de créer des super-régions qui, nous dit-on, pourront rivaliser avec d’autres régions européennes, allemandes notamment, et dans le même temps, réaliser des économies.
M. Jean-Luc Reitzer. Un problème de taille !
M. Marc Dolez. Or, comme l’a souligné Philippe Subra, professeur à l’Université de Paris VIII, lors d’une table ronde au Sénat le 24 juin : « La constante référence au modèle allemand n’est pas justifiée. Les Länder sont de taille très variable, issus d’un découpage opéré au lendemain de la guerre pour organiser l’occupation du territoire allemand. La France ne peut s’identifier à un modèle fédéral qui ne correspond ni à son histoire ni au projet proposé. »
Le choix d’une « länderisation » de nos institutions ne correspond effectivement pas à notre histoire. Au fédéralisme, nous opposons la décentralisation et le rôle de l’État, garant de l’égalité républicaine.
De plus, comme le rappelle le géographe Gérard François Dumont, aucun pays démocratique n’envisage de réduire d’un tiers le nombre de ses régions, et la taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. La comparaison devrait nous amener à souligner la force de frappe financière des Länder, le budget d’un Land représentant huit fois celui d’une région française. C’est pourquoi nous réfutons l’idée que la grandeur du territoire soit un critère d’attractivité ou d’efficacité économique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, contrairement à ce qui est martelé, il est loin d’être acquis que cette structuration en grandes entités soit source d’économies. Au contraire, elle engendrera inévitablement des surcoûts, dus à la réorganisation des services, aux transferts de compétences envisagés ou à la refonte de toute la communication institutionnelle.
L’expérience montre que les coûts croissent avec la taille. Même les agences de notation prévoient que cette réforme entraînera des dépenses supplémentaires pendant cinq à dix ans !
En réalité, personne n’est dupe. Les économies promises sont irréalistes, elles engendreront avant tout des restrictions budgétaires sur les services à la population. La baisse de la dépense ne se fera qu’au prix de coupes brutales dans les services publics, objectif inavoué et non assumé de la réforme.
Oui, l’objectif de la réforme territoriale est bien de faire diminuer la dépense publique. Pour cela, le Gouvernement impose aux collectivités une double contrainte : la baisse des recettes par la diminution constante des dotations de l’État et la réduction de leur champ d’action avec la disparition de la clause de compétence générale.
Un véritable plan d’austérité s’applique aujourd’hui aux collectivités locales : une ponction de 11 milliards d’euros, d’ici 2017, soit une baisse cumulée, chiffrée par l’association des maires de France, de 28 milliards pour la période 2014-2017, une amputation de 30 %. Du jamais vu ! Ce plan d’austérité se traduira inéluctablement par la réduction et la dégradation des services publics essentiels rendus aux populations. Il portera aussi un coup très dur à la capacité d’investissement des collectivités locales, et donc à l’emploi, à la croissance et au développement économique.
Cette baisse des investissements pourrait atteindre 10 % dès cette année et, par exemple, menacer directement près de 10 000 emplois en Île-de-France à très court terme et des milliers d’emplois dans une région comme le Nord Pas-de-Calais. Est-il besoin de rappeler que les collectivités locales réalisent près des trois quarts de l’investissement public ? Asphyxier les collectivités locales revient à paralyser l’investissement.
Comment, dès lors, s’étonner que 13 000 conseils municipaux, de tous horizons politiques, aient voté une motion de soutien à l’action de l’Association des maires de France, demandant de faire cesser l’hémorragie. Pour notre part, nous considérons que la décentralisation ne peut pas, ne doit pas s’envisager à l’aune de la rigueur financière.
Or c’est bien l’austérité qui est inscrite au cœur de cette réforme territoriale, menée au pas de charge : super-régions loin des besoins des citoyens, métropoles aspirant les collectivités, communes et départements vidés de leur substance, intercommunalités géantes d’au moins 20 000 habitants, et en prime, le chamboulement de dix à quinze années de travail de coopération volontaire entre communes, au profit de territoires sans projets.
Est-il besoin de préciser que cette « reconcentration » des pouvoirs au profit de ces super-structures est contraire à l’esprit même de la décentralisation engagée par les lois de 1982 et 1983 ? Trente ans plus tard, c’est la démocratie locale qui est menacée, au prix d’un inévitable renforcement de la technocratie et de la bureaucratie. Personne ne peut croire que l’on pourra renforcer la démocratie dans notre pays et répondre à la grave crise de la représentation en réduisant le nombre d’assemblées élues et le nombre d’élus locaux de proximité, et en éloignant toujours plus les citoyens des lieux de décision et de pouvoir. Pour prendre cet exemple parmi d’autres, qui peut croire que la gestion des routes départementales ou des collèges de la Lozère sera mieux assurée depuis Toulouse ?
Comme le souligne Nelly Ferreira, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, « le fait que toute cette reconstruction se fasse de manière concomitante sans qu’il n’y ait d’anticipation quant aux effets, ne peut laisser d’inquiéter : comment gérer dans le même temps le regroupement de grandes régions, l’instauration d’intercommunalités éloignées, auxquels pourrait s’ajouter la suppression des départements ? […] la réforme qui consiste, après plusieurs années d’immobilisme, à tout vouloir faire en même temps, apparaît contre-productive. »
Enfin, et ce n’est pas la moindre des conséquences, cette nouvelle carte territoriale qui se dessine aggravera encore la fracture entre nos territoires, alors même que plusieurs études, dont celle publiée le 3 juin par l’INSEE, montrent que les inégalités territoriales ont atteint un niveau record. L’essentiel des richesses sera concentré au cœur des métropoles, et soutenu par la puissance publique régionale, tandis que le reste des territoires sera voué aux reculs économiques et sociaux et, de fait, condamné à une mort lente.
Comment ne pas être interpellé par l’implacable diagnostic délivré par Christophe Guilluy, dans La France périphérique, essai publié récemment : « La théorie de la « main invisible », d’après l’expression d’Adam Smith, défend l’idée que l’intérêt privé des individus conduit mécaniquement à des effets bénéfiques pour la société tout entière. Appliquée au marché, elle revient à considérer que le libre-échange, le commerce bénéficient en dernier ressort à l’ensemble de la société, y compris aux plus faibles. Le concept de métropolisation repose sur la même logique : on considère que, in fine, tous les territoires bénéficieront du dynamisme métropolitain, y compris les plus fragiles socialement et économiquement. Nous en sommes loin. Une récente note de l’Insee montre que la crise a accentué les inégalités entre les métropoles et les territoires de la France périphérique. Les villes petites et moyennes ont ainsi enregistré une forte augmentation de leur taux de chômage.
En réalité, le vrai débat n’est pas de savoir si le modèle métropolitain est pertinent économiquement. Il est de savoir s’il fait ou non société. S’il permet de tirer vers le haut les autres territoires et d’intégrer économiquement les catégories modestes qui vivent à l’écart des métropoles ou si le rôle des métropoles se limite à redistribuer un minimum de ressources vers des territoires condamnés et des populations inutiles. »
Face à une compétition toujours plus féroce entre les territoires, la question essentielle est bien celle de l’aménagement du territoire. Je reprendrai une formule qu’affectionne particulièrement le président de notre groupe André Chassaigne : alors qu’il conviendrait de faciliter l’irrigation de tout le territoire pour permettre son développement, votre réforme reviendra à drainer l’eau vers un point central.
Le bouleversement de l’édifice républicain que vous nous proposez est-il de nature à répondre au défi de l’aménagement du territoire ? À l’évidence non, puisque ce big bang territorial s’inscrit dans une vision économique libérale et une mise en concurrence conforme aux dogmes de l’Union européenne, rappelés avec précision dans les recommandations que la Commission a adressées à la France les 29 juin 2013 et 3 juin 2014. Parce que nous refusons la dégradation à tous les niveaux de l’action publique, parce que nous refusons la mise en concurrence des territoires et l’éloignement des lieux de décision, nous combattons avec détermination et conviction la réforme territoriale en cours.
Nous ne sommes pas pour autant opposés à toute évolution sur la base d’un vrai bilan de l’application des lois de décentralisation. Encore faudrait-il associer l’ensemble des forces sociales intéressées, organiser un véritable débat national et le faire trancher par le peuple, par référendum. Pour notre part, nous restons attachés aux trois niveaux de collectivité, commune, département et région, l’État restant bien sûr le garant de la cohésion et de la solidarité nationales.
Une fois rappelées les principales vocations de chacun de ces échelons, nous préconisons de nouvelles avancées pour en démocratiser le fonctionnement, améliorer les services publics locaux, développer tous les partenariats possibles et monter des projets communs entre les collectivités territoriales dans le respect de toutes les parties prenantes, afin de renforcer l’efficacité de l’action publique et toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population.
À cette fin, les collectivités devraient disposer d’assemblées élues à la proportionnelle, de la clause de compétence générale et de ressources fiscales propres. Rappelons l’urgente nécessité d’une réforme fiscale d’envergure qui rétablirait notamment un impôt économique territorial assis sur le capital des entreprises et taxant les actifs financiers. Notre attachement aux trois niveaux de collectivités ne s’oppose pas, bien entendu, à une intercommunalité de projets sur une base coopérative et volontaire, organisée autour de compétences partagées et dotée de ressources propres nécessaires. À tous les niveaux, nous voulons promouvoir la coopération plutôt que la concurrence. C’est dans cet esprit que les députés du Front de gauche préconisent une véritable réforme des institutions dans le cadre de la nécessaire VIe République qu’ils appellent de leurs vœux. C’est aussi pour toutes ces raisons que, comme en première lecture, ils s’opposeront résolument à ce projet de loi.

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