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Dette sociale et autonomie (MRP)

Tous les sujets, pour le Gouvernement, n’appellent pas la même précipitation. Mais, pour charger la « dette covid » sur le dos de la sécurité sociale, le Gouvernement s’empresse et, suivant une fâcheuse habitude, il a de surcroît recours à la procédure accélérée. Il contraint ainsi le Parlement, qui siège déjà dans les conditions imposées par l’état d’urgence sanitaire. Le débat aurait pu avoir lieu dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui aurait permis une vision globale. Or le virus n’est pas tout à fait parti et la dette n’est pas encore agrégée qu’elle est déjà sur le baudet.

Retour vers le futur : nous voici en train de recréer le trou de la sécurité sociale, cette construction en trompe-l’œil qui a justifié un discours de compression des droits pendant des années. Ainsi, pour solde de tout compte, 136 milliards d’euros seront transférés à la CADES, qui avait quasiment achevé son œuvre d’apurement. Cette décision clôt le débat sur le financement de la crise.

Que recouvre cette dette ? Comment la payer ? Qui doit la payer ? Durant combien de temps ? Les aides exceptionnelles à une partie de la jeunesse n’étaient pas encore versées que nous examinions déjà un texte tout ficelé en commission. Or une discussion est nécessaire. La situation nouvelle remet en cause certains choix fiscaux et en matière de cotisations sociales que vous avez effectués dans la période récente. La contribution des plus fortunés et des grandes entreprises, notamment financières – par exemple les assurances – mériterait d’être mise à l’étude. Vous préférez courir vous réfugier sous le porche de la CADES. De plus, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire et sans autre forme de discussion, le Gouvernement a pris des décisions dont il fait désormais supporter les conséquences à d’autres.

L’État doit assumer sa gestion de la crise. Il le doit d’autant plus qu’il n’est pas exempt de choix qui ont conduit au dénuement de l’hôpital public, donc au confinement généralisé. Retranché derrière l’ONDAM, le Gouvernement a asséché les ressources de la sécurité sociale à chaque budget ; il lui transfère maintenant sa dette. L’effet ciseaux est déjà bien engagé.

Par ailleurs, un tel mode de financement révèle une certaine confusion, qui demeure la ligne de force de la philosophie macronienne de l’action publique. Ce grand mélange des budgets et des dettes ne sert pas la clarté de notre organisation sociale. Ainsi, après avoir donné dans la non-compensation, vous ne voyez pas pourquoi l’on sépare les deux budgets, ce qui vous autorise à charger les comptes sociaux sans afficher l’intention d’en augmenter les recettes.

Enfin, du point de vue de la gestion financière pure, le choix de la CADES est un mauvais calcul, car la CADES rembourse capital et intérêts tandis que la dette publique roule. Il s’agit donc bien, au lieu d’une gestion de long terme, d’imposer une gestion de moyen terme qui va peser sur les citoyennes et citoyens de ce pays, pour le plus grand bénéfice de la finance.

La période récente a de nouveau montré le besoin d’une protection sociale de haut niveau. Son financement dépendra de la robustesse de l’économie, c’est-à-dire de la préservation de l’emploi et des salaires ; de l’économie réelle, axée sur la réponse aux besoins et soucieuse d’être durable, et sur le respect du bien-être au travail et au cours de toute la vie, car c’est la meilleure façon de ne pas fabriquer une dette à venir. Le signal, pourtant, est clair : avec ces 136 milliards, vous dites : « ceinture ».

Mais, vous le savez, vous n’échapperez pas au débat sur le droit à l’autonomie, d’autant plus que la situation des EHPAD est devenue plus visible pendant la crise. Alors le projet de loi comporte aussi une partie « bretelles ». Vous deviez rassurer ceux qui avaient imaginé financer un plan en faveur de l’autonomie grâce aux lignes de crédits dont la CADES n’aurait plus besoin pour rembourser la dette, et vous avez décidé de le faire dans le style inimitable du faux-semblant, que vous affectionnez tant.

Vous allez créer une nouvelle branche de la sécurité sociale ; une décision, dites-vous, comparable à celle prise en 1945. Rien que ça ! La modestie ne vous étouffe pas. Pour cela, vous demandez notre onction et vous avez besoin de notre sceau, car chacun sait que, lorsque les communistes s’engagent, et bien qu’ils n’en soient pas les seuls garants, il n’y a pas de doute : c’est une avancée sociale.

En l’occurrence, la certitude est que le grand chamboule-tout de la protection sociale continue, et que les slogans publicitaires tapageurs qui l’accompagnent ne suffisent pas à masquer une politique délétère. Nous avons si souvent été trompés, nous avons entendu tant de mots contraires aux actes, vous avez tant usé de votre boîte à magie et à illusions !

Alors, de quoi s’agit-il ? La sécurité sociale repose sur le principe : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. » Cette mutualisation permet d’assurer chacune et chacun contre les aléas de l’existence. La sécurité sociale est assise sur le travail et procède d’une gestion par les assurés eux-mêmes. Elle a évolué, d’abord avec le paritarisme, ensuite par des formes d’étatisation.

La sécurité sociale repose sur quatre branches : l’assurance maladie, qui garantit le droit à la santé ; l’assurance vieillesse, qui garantit le droit à la retraite ; l’assurance maladie professionnelle et accidents du travail, qui garantit le droit de ne pas perdre sa santé au travail ; et la branche famille, qui garantit des droits aux enfants, aux parents, aux familles. Ce dispositif est complété par l’assurance chômage, qui constitue une institution à part.

Certains estiment qu’il faut désormais couvrir un nouveau risque, celui de la dépendance. De quoi parle-t-on ? Nous pouvons tous, à un moment ou un autre de notre existence, de façon temporaire ou durable, voir notre autonomie réduite. Je dis bien « autonomie » et non « indépendance » : l’indépendance signifierait que l’on n’a pas besoin des autres. Or nous sommes des êtres d’interaction, de relation, de solidarité, nous avons toutes et tous besoin des autres pour vivre au quotidien. (Mme Caroline Fiat applaudit.) Quand on est seul, tant de choses sont impossibles. Le mot de « dépendance » dénote d’ailleurs un état de passivité. Il s’agit donc bien d’autonomie, de cette faculté à être le capitaine de sa vie.

Cette capacité peut être amoindrie ou entravée par les aléas de l’existence, et ne pas survenir seulement au gré de l’avancée dans l’âge. Or la République doit être là pour garantir l’égalité des droits tout au long de la vie. Il faut donc défendre le droit à l’autonomie et maintenir chacune et chacun, tout au long de son existence, au meilleur niveau d’autonomie possible. « Tout au long de la vie » : c’est là aussi que se niche l’universalité. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut distribuer à la découpe. Une fois encore, c’est bien là la philosophie de la sécurité sociale, qui établit des droits.

Quel constat peut-on dresser ? Que la réalité de la perte d’autonomie n’est pas nouvelle ; qu’elle connaît déjà des formes de prise en charge ; et que ces formes sont très insuffisantes. Cela a pour conséquence de faire reposer sur les familles une charge parfois insoutenable, comme en témoignent nombre de personnes aidantes – qui sont très majoritairement des femmes –, ou bien de laisser des hommes et des femmes dans la difficulté, quand ce n’est pas la déchéance. C’est indigne de la République. Il faut donc agir pour maintenir l’autonomie, c’est-à-dire ne pas se résoudre à en rabattre, mais toujours accompagner chaque personne humaine vers le meilleur d’elle-même, et ne jamais renoncer au mouvement d’émancipation humaine.

L’on ne saurait cependant se contenter d’un constat à plat. Pourquoi sommes-nous plongés dans un état social si dramatique ? Parce que, depuis des décennies, alors que le monde changeait et que la famille se transformait – et l’on sait que la structure familiale joue un rôle décisif dans l’organisation des rapports sociaux –, le choix a été fait de s’enfoncer toujours davantage dans les voies du néolibéralisme. Les structures du mouvement populaire qui avait émergé pour répondre à ces besoins dans la seconde partie du XXe siècle se sont alors trouvées à la peine.

De quoi avons-nous besoin ? De réinvestir deux dimensions essentielles : la prise en charge solidaire et le service public de l’autonomie, qui reste à inventer. C’est un chantier immense et urgent qui appelle un véritable plan.

Le maintien de l’autonomie entraîne des dépenses de soins, d’accompagnement et d’hébergement. Les soins relèvent de l’assurance maladie au titre du droit à la santé et ils représentent une part importante des frais liés à l’autonomie, selon les chiffres du rapport Libault. Mais ils renvoient à une conception réduite du soin et de la santé.

En réalité, ni la compression des dépenses de santé à travers les déremboursements et le rétrécissement du périmètre de la prise en charge, ni l’allongement de la durée de travail ne correspondent à la promotion d’« un état de complet bien-être physique, mental et social », qui est pourtant la définition de la santé selon l’OMS – Organisation mondiale de la santé. Les politiques sociales et publiques se concentrent bien trop sur la dimension curative de la politique sanitaire, qui rabat l’ambition de la sécurité sociale. L’ensemble des soins devraient être pris en charge à 100 %, dans une acception non restrictive. Aujourd’hui, le reste à charge réel des assurés est considérable.

L’accompagnement humain fait partie du soin et il constitue une dimension essentielle du maintien de l’autonomie. Il répond aussi à l’aspiration du maintien à domicile que l’on a pu constater durant la crise. Quant à l’hébergement, quand il advient, il n’est pas un luxe : il répond à la nécessité d’un environnement plus sécurisé.

Certes, la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie a constitué un véritable progrès en 2002, mais que s’est-il passé depuis ? La PCH – prestation de compensation du handicap – doit, elle aussi, être améliorée. En réalité les aides humaines sont dispensées au compte-gouttes et, dans de nombreux cas, ne permettent pas de garantir un droit plein et entier à l’autonomie et le déploiement d’une démarche de soins et de prévention offensive.

Quant à l’hébergement collectif, il présente un coût élevé avec un reste à charge moyen de 1 800 euros par mois pour les familles. Déjà, un marché a commencé à s’ouvrir, incitant les personnes à s’assurer individuellement dans une logique de viager contre ce qu’il est convenu d’appeler le risque « dépendance » : c’est une voie sans issue, inégalitaire et gaspilleuse.

Ce besoin de prise en charge s’inscrit bel et bien dans le champ de la sécurité sociale et du droit à la santé. Il est donc incontournable de progresser dans la prise en charge, en n’écrêtant pas l’ambition de la sécurité sociale qui – je le répète – doit s’appliquer tout au long de la vie.

Toutefois, pour relever ce défi, il faut prévoir des outils permettant d’apporter les bonnes réponses, des services d’accompagnement à domicile et des établissements d’hébergement, dotés de personnels dont le métier est pleinement reconnu. Des mutations sont nécessaires pour sortir des logiques de cloisonnement et de mise à l’écart. Des investissements sont indispensables pour garantir des conditions de vie et de travail dignes, des financements sont incontournables pour assurer une présence humaine qualifiée, apte à effectuer ces nobles tâches qui tournent autour du soin. Là encore, des intérêts privés sont sur le coup, afin de capter les cas rentables : la « silver économie », comme on l’appelle, consiste – disons les choses comme elles sont – à se faire du pognon sur le dos des anciens.

Cet argent, qui est capté pour alimenter des actionnaires, fait défaut à toute une partie de la population. Pour se dédouaner de ses responsabilités, la puissance publique accepte que le service du droit à l’autonomie soit réduit à un grand marché, et certains établissements publics sont même mise en vente. Le chantier est tel que, pour répondre aux besoins, il faut prévoir un grand pôle public de l’autonomie garantissant des droits égaux à toutes et à tous. Il reste à construire.

Loin d’envisager cette option, le Gouvernement a décidé de créer une pochette surprise. Il y a tout à craindre de sortir le droit à l’autonomie, composante du droit à la santé, de l’assurance maladie, pour créer une nouvelle branche. Une telle création, au-delà du fait qu’elle doit se fonder sur une philosophie de la protection sociale, que nul n’a énoncée jusqu’à présent, implique trois éléments : un niveau de droits particulier, un mode de financement différent et un mode de gouvernance à part. Or vous ne dites rien sur ces trois éléments. À l’origine, il était prévu de demander au Gouvernement de rendre, dans quelques semaines, un rapport sur l’opportunité d’une telle décision : c’était déjà cousu de fil blanc. Vous avez décidé de franchir le pas avec la gourmandise du petit enfant devant la vitrine du glacier, en choisissant le cornet, parce que vous êtes friands de slogans et que vous avez besoin de vous refaire la cerise, tant la casse sociale a marqué ce quinquennat. Or comment voulez-vous que nous fassions confiance à une majorité qui porte une telle marque de fabrique, qui s’est tellement payée de mots qu’il y en a suffisamment pour écrire un dictionnaire ?

Ainsi, attirés par ce qui brille, vous gravez ce choix dans la loi sans même attendre ce rapport, sans en avoir étudié les tenants et les aboutissants, sans avoir réellement instruit le sujet, vérifié la charpente et les soubassements, prétendant, un nouvelle fois – je l’ai entendu encore à l’instant – accomplir les Écritures, sans vous demander si quelque raison valable n’avait pas conduit à ne pas mettre en œuvre cette idée, qui était dans le paysage.

N’est-ce pas en effet, au bout du compte, une fausse bonne idée ? Le cloisonnement supplémentaire, qui résultera de cette décision, est-il nécessaire ? Est-il besoin de prévoir un éclatement de la branche assurance maladie pour rendre visibles ces enjeux, d’autant qu’ils le sont déjà ? Plus que des mesures visibles, ce sont des mesures sensibles et tangibles qui peuvent et qui doivent être prises. Il faut créer un droit à la prise en charge et prévoir un pôle public décentralisé. Pour quel bénéfice commun confiner ces enjeux dans une branche à part et rendre ainsi bancale l’architecture de la protection sociale ? Pourquoi et comment découper les soins entre l’autonomie et le reste, puisque, finalement, le droit à la santé c’est le droit à l’autonomie ? Pourquoi et comment regrouper l’investissement, le fonctionnement et la prise en charge ? Dans un contexte où, comme en témoigne le transfert de la dette vers la CADES, la sécurité sociale est utilisée comme une variable d’ajustement des politiques publiques, il y a tout à craindre.

Vous ne le dites pas, mais déjà s’inventent des complémentaires santé, particulières à cette branche, le fait d’entrer dans une démarche de solidarité nationale plutôt que de protection sociale pouvant être conçue comme une nouvelle manière d’étatiser la sécurité sociale. Une nouvelle fois, il est à craindre que vous ne mettiez en place un écosystème au service de la marchandisation des services à la personne et de la protection sociale.

Nous ne sommes pas décidés, en la matière, à acheter sur plan, d’autant qu’il n’y a pas de plan, mais juste un nom de domaine. Vous n’êtes donc pas mûrs pour le temps des cerises. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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