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Développement et solidarité internationale

Ce projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale poursuit une ambition légitime. Je pense que, malgré la crise et les appels au repli nationaliste et chauvin, les citoyens français demeurent, pour la plupart d’entre eux, attentifs à la solidarité et au respect des droits humains, ici et ailleurs dans le monde.
La démarche à l’origine de ce projet de loi constitue une novation. C’est, en effet, la première fois en France que les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale sont inscrites dans un texte législatif. Cet acte inédit manifeste une volonté de donner un cadre pérenne à cette politique. Le texte a fait l’objet d’un processus de concertation avec divers acteurs français du développement et de la solidarité internationale : des élus nationaux, locaux et européens, mais aussi des représentants des ONG, des syndicats de salariés et d’employeurs, des établissements de recherche et d’enseignement supérieur, des entreprises et des fondations et enfin des représentants des administrations.
Au-delà de cette méthode louable, le texte lui-même s’imposait, tant la France affiche traditionnellement son ambition internationale sans s’en donner toujours les moyens. Je rappelle que notre pays ne respecte pas les engagements qu’il a pris sur le volume de l’aide au développement et que la crise sert de nouveau prétexte à ce manque de solidarité. Je rappelle aussi que le budget pour 2014 de la mission « Action extérieure de l’État » a été affecté par une baisse de crédits de 20 millions d’euros, affaiblissant notre diplomatie.
Cette loi s’imposait, enfin, pour combler le déficit de lisibilité de notre politique d’aide au développement, qui nuit à sa crédibilité, d’autant que les circuits officiels sont traditionnellement concurrencés par des circuits moins avouables et honorables. Il faut le reconnaître, la politique de développement et de solidarité internationale a parfois tenté de masquer des pratiques dignes du néocolonialisme, symbolisées par la Françafrique !
Les problèmes de gouvernance n’étaient pas les seuls à rendre ce texte nécessaire : nous devions également disposer d’un cadre législatif pour adapter notre politique de développement aux nouvelles réalités, qui structurent un monde multipolaire profondément inégalitaire, où les différences entre les plus riches et les plus pauvres ne cessent de se creuser. Un milliard et demi de personnes continuent de vivre avec moins d’un dollar par jour, et les 85 personnes les plus riches du monde possèdent autant que 3,5 milliards de pauvres sur la planète ! Un monde, disais-je, régi par les dogmes du néolibéralisme et meurtri par ses agents : les banques, les multinationales, le FMI et ses plans d’ajustement structurels, mais aussi les États qui ont décidé de s’y soumettre. La crise financière internationale a eu le mérite de prouver cruellement la fiction de l’autorégulation des marchés. Nous avons besoin d’une autre mondialisation, au service des peuples, pour tenter d’apporter des solutions à des problèmes transnationaux tels que le changement climatique ou les épidémies.
Dans ce contexte, la loi d’orientation et de programmation va dans le bon sens, même si l’impulsion demeure modeste. Nous souscrivons à la promotion des principes et valeurs du développement durable : la promotion de la paix, de la stabilité, des droits de l’homme et de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’équité, la justice sociale et le développement humain et, enfin, un développement économique durable et riche en emplois. Les priorités données aux pays les plus pauvres, bénéficiaires prioritaires de l’aide publique française au développement – je pense en particulier aux pays de l’Afrique subsaharienne et de la rive sud de la Méditerranée – sont tout à fait justifiées.
Jusqu’à présent, notre pays a préféré soutenir des pays en fort développement comme la Chine ou la Turquie, pour stimuler les exportations des grandes entreprises françaises, plutôt que d’aider les populations les plus déshéritées.
M. Jean-Paul Bacquet. Très juste !
M. François Asensi. Le Mali a été l’un des parents pauvres de l’aide au développement. En 2012, l’AFD n’avait accordé que 167 millions d’euros d’aides aux 14 pays du Sahel, une somme dérisoire au regard des 1,2 milliard d’euros versés par l’Agence à l’État.
M. Jean-Paul Bacquet. Tout à fait !
M. François Asensi. L’identification des domaines d’action s’avère également fondée. Une logique d’inspiration humaniste doit nous amener à nous concentrer sur l’éradication de la pauvreté au travers de la lutte contre la faim par la consolidation de l’agriculture vivrière et familiale et le renforcement des actions en matière de santé, de protection sociale et d’éducation. Nous partageons l’idée selon laquelle l’égalité entre les hommes et les femmes est l’une des valeurs que la politique de développement et de solidarité internationale doit contribuer à promouvoir. Nous sommes néanmoins plus circonspects quant à l’attention portée au secteur privé et au secteur financier. Cela ne doit pas être la porte ouverte à ce que les multinationales pillent davantage encore les ressources et la main-d’œuvre des pays du Sud pour engranger encore plus de profits.
Plus largement, le texte présente un certain nombre de lacunes qu’il convient de souligner. Je regrette que le gouvernement français souffle le chaud et le froid sur le projet européen de taxation des transactions financières. Depuis un an, le chantier est à l’arrêt et, par différentes voix, la France semble vouloir le vider de son contenu en limitant les opérations visées et le taux envisagé. Des sommes considérables pourraient pourtant être dégagées pour aider le développement. Le projet de loi ne dit rien, ou presque, sur un point souvent soulevé dans les audits de l’aide française : le manque de clarté dans la répartition des rôles entre les principaux ministères concernés, en particulier le ministère des affaires étrangères et Bercy. Au-delà des relations intra-étatiques, des clarifications méritent d’être apportée sur les modalités de coopération de la France avec les organisations internationales et européennes.
La question s’impose, puisque la coopération dans les pays pauvres et dans les secteurs du développement humain passe essentiellement par les canaux européens et multilatéraux. L’effectivité et la crédibilité de ce dispositif sont remises en question en raison de l’absence de programmation budgétaire, qui concrétiserait les engagements politiques annoncés. Certes, la loi d’orientation et de programmation reconnaît la nécessité de sortir de la logique du guichet et de s’inscrire dans la durée, dans une démarche contractuelle. Cependant, l’exercice trouve rapidement ses limites.
Les montants alloués par la France sont de plus en plus modestes et permettent, au mieux, une présence symbolique. Dans de nombreuses circonstances, elle ne siège pas à la table des grands donateurs où se discutent les politiques d’aide aux pays pauvres et fragiles et où se gèrent les montants représentant environ 10 % de leurs PIB. L’absence de précisions sur les ressources publiques retire tout aspect de programmation au présent texte loi, en dépit de son intitulé. Il y a quarante ans, la France prenait l’engagement devant l’ONU de consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide publique au développement. Cette promesse n’est toujours pas tenue, loin de là puisque notre effort a récemment baissé autour de 0,46 %. Et l’aide est, en réalité, d’un montant bien inférieur encore si l’on retranche certains artifices comptables et des prêts supérieurs aux dons.
La France a évidemment un rôle international très important à jouer, mais il faudrait sanctuariser les moyens pour donner de la crédibilité à son action. Enfin, le projet de loi n’insiste probablement pas assez sur la nécessité de mettre en avant l’intérêt mutuel à coopérer. L’aide au développement n’est pas une démarche caritative, mais de solidarité et de réparation face à un capitalisme financier qui génère de profondes inégalités entre les peuples et au sein des peuples. Notre politique en la matière doit viser à l’envol des pays pauvres, à leur développement propre, et non à les maintenir sous une quelconque tutelle économique ou politique.
Les quelques critiques que je viens d’exposer au nom du groupe GDR me semblent fondées et méritent d’être entendues par le Gouvernement afin d’améliorer encore ce dispositif de bon aloi, auquel les députés du Front de gauche adhèrent. Nous voterons en faveur de votre projet de loi, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRCécologiste.)

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