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Développer le « Fabriqué en France »

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir lu cette proposition de résolution, j’ai tenté de comprendre le sens de la démarche qui a conduit à son dépôt. Naïveté ? Hypocrisie ? Révélation divine ? Schizophrénie ? Ce texte est-il « un brimborion hétéroclite, détail perdu d’un ensemble tronqué », pour citer Alexandre Vialatte ? S’agit-il d’un os à ronger ?
Connaissant le nom des cosignataires, tous membres de la majorité présidentielle, je penche plutôt pour un petit coup politique destiné à tenter de faire passer la pilule de dix années d’abandon industriel. Une industrie laminée par dix ans de laisser-faire, avec, à la clé, plus de 700 000 emplois industriels perdus. Une industrie laissée pendant dix ans à l’appétit insatiable des financiers, sans que jamais le Gouvernement y trouve à redire.
Voilà pourtant que, soudainement, la thématique du « produire français » revient sur le devant de la scène. Soigneusement présentée en bel objet de campagne électorale, elle doit cristalliser toutes les attentes.
Au-delà des intentions qui ont conduit au dépôt de ce texte – et que nous pouvons tous partager –, force est de constater que la nécessité, pour le pays, de restaurer une véritable capacité industrielle a été terriblement compromise par la politique de la majorité. Je me souviens des discours gouvernementaux qui, notamment en 2007, exaltaient le tertiaire et les services, présentés comme les nouveaux secteurs porteurs, et les politiques d’externalisation des grands groupes. Cette politique a, certes, été très efficace en termes de croissance financière et de niches de profit, mais elle a été désastreuse pour l’emploi et le tissu des PME dans nos territoires.
Est-il besoin de rappeler les beaux discours que le Président de la République, lorsqu’il n’était que ministre des finances, a tenus sur la production nationale, à l’intention des salariés d’Alstom, de Facom – qui, depuis, a délocalisé – ou de Sediver, qui a été liquidée ? Quant aux envolées du ministre candidat à Gandrange, en 2007, nous en connaissons tous la conclusion. Remarquable réussite du « Fabriqué en France » !
Et que dire des salariés de Fralib, qui ne souhaitent qu’une chose, pouvoir « produire français », mais qui ne trouvent manifestement pas un appui suffisant auprès du Gouvernement pour faire reculer une transnationale comme Unilever qui, en dépit d’une santé financière florissante, a fait le choix de la délocalisation pour engranger toujours plus de profit.
Que dire d’Arkema, né de la réorganisation de la branche chimie de Total, puis vendu, en novembre 2011, à un aventurier de la finance et qui fait aujourd’hui l’objet d’un plan social déguisé concernant 1 780 salariés en France ?
Que dire des 1 650 licenciements de la Comareg-Hebdoprint ?
Que dire des 305 salariés Merck-Organon, à Eragny-sur-Epte, dont les activités de production d’insuline sont indispensables à l’indépendance de la France en matière de traitement des malades du diabète ?
Que dire de M-Real, seule entreprise de France à produire des ramettes de papier, et de ses 330 salariés dans l’attente d’une solution industrielle ?
Que dire des 114 salariés d’Hélio-Corbeil ? Des 140 salariés de Preciturn, à Thiers, et de tant d’autres ?
Les discours sont une chose, mais les chiffres sont têtus. Chers collègues de la majorité, les mots peuvent nous unir ; les actes nous divisent.
L’industrie ne représente plus en France que 13 % de la création de richesses, contre 18 % au début de la décennie. En trente ans, la France est passée de 5,3 millions d’emplois industriels à 3,4 millions. L’an dernier, 72 000 emplois ont encore été supprimés.
Je vous invite à méditer cette phrase de Bossuet : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences de faits dont ils chérissent les causes. »
La proposition de résolution ne concerne pas uniquement l’industrie ; son exposé des motifs fait également une large place à la question de l’origine des produits agricoles. Là encore, cela prête à sourire. En effet, depuis cinq ans, chaque fois qu’un projet de loi relatif à l’agriculture a été examiné, j’ai défendu, par voie d’amendement, l’obligation de faire figurer leur origine sur l’ensemble des produits alimentaires, y compris les produits transformés ; chaque fois, je me suis heurté au refus de la majorité et du Gouvernement.
Il y a quelques semaines encore, lors de l’examen du projet de loi sur le renforcement des droits, de la protection et de l’information des consommateurs, j’ai défendu cette exigence, précisant que la loi portant modernisation de l’agriculture et de la pêche avait introduit la possibilité de faire figurer l’indication du pays d’origine pour les produits agricoles et alimentaires et pour les produits de la mer, à l’état brut ou transformé, mais que cette disposition facultative n’avait pas trouvé de traduction réglementaire pour l’ensemble des produits concernés. Or cette obligation permettrait aux producteurs français d’être assurés de l’indication de l’origine de leur production ; nous disposerions ainsi d’un levier contre la spéculation sur les produits alimentaires. Las ! le rapporteur et le ministre m’ont répondu que ma proposition « heurtait de plein fouet le principe de libre circulation des marchandises, au cœur du marché unique européen », que « la règle qui prévaut est le principe de non-discrimination et que si nous […] adoptions [cet amendement], nous aurions un texte contraire au droit européen, donc illégal et inapplicable. » Et le rapporteur d’ajouter : « Malheureusement, l’instauration d’une obligation générale est contraire au droit communautaire. »
M. Jacques Myard. C’est pourquoi c’est une proposition de résolution qui a été déposée !
M. André Chassaigne. Aussi, je m’interroge. Quelle peut-être la légitimité d’une proposition de résolution comme celle que vous nous soumettez après un tel massacre industriel et après votre refus constant, tout au long de la législature, de porter le fer quand l’occasion s’en présentait ? (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Toutefois, je ne vous cacherai pas que ce texte m’a procuré un réel plaisir, celui d’avoir eu en quelque sorte raison avant tout le monde. À ce propos, dois-je rappeler que le « Produisons français ! » fut, dès le début des années 1980, un axe majeur des propositions du PCF, qui, fit alors l’objet de procès à répétition en chauvinisme, en xénophobie et en obsessions patriotardes, et qui fut définitivement condamné en tant qu’analphabète de la mondialisation ? Quel retournement de conscience pour tous ceux qui nous raillaient, à l’époque ! Seraient-ils soudainement devenus – quelle horreur ! – plus communistes que les communistes ?
J’ai le même sentiment lorsque je vous entends vous ériger en bons élèves, demandant que la Commission européenne reconnaisse que le marquage de l’origine des produits n’est pas incompatible avec le principe de libre circulation et ne constitue donc pas une entrave aux échanges. Depuis des années, en tant que député de Thiers, j’ai multiplié, à la demande de la fédération française de la coutellerie, les interventions auprès du Gouvernement pour obtenir le marquage d’origine des produits de la coutellerie. Pas une fois nous n’avons eu le sentiment d’être écoutés ni, a fortiori, accompagnés.
Voilà que me reviennent en mémoire les arguments utilisés, en 2005, en faveur du « oui » au référendum sur le traité constitutionnel européen, lequel ne visait qu’à imposer partout, quelles qu’en soient les conséquences pour les activités industrielles et agricoles de nos pays, le respect du sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée. Chers collègues de la majorité, n’étiez-vous pas, à l’époque, d’ardents défenseurs de ce traité ?
M. Jacques Myard. Oh !
M. André Chassaigne. Ne louiez-vous pas les joies et les mérites de la libéralisation et de la déréglementation ? Toujours est-il que, contrairement à nous, vous avez essuyé le refus légitime et éclairé du peuple, dont vous vous êtes empressés, en 2007, de bafouer le vote, en adoptant le traité de Lisbonne aux forceps, dans un superbe exercice de renoncement à nos principes républicains.
Défendre le « produire français », ce n’est pas sauter sur sa chaise comme un cabri, en criant : « produire français ! produire français ! ».
M. Pascal Brindeau. Excellente référence !
M. André Chassaigne. Ce n’est pas non plus se positionner, à coups de bas salaires et de dérégulation, sur des marchés éphémères à haut taux de profit, âprement disputés.
Défendre le « produire français », c’est d’abord reconstituer un véritable appareil productif, un maillage de PME et de grandes entreprises en coopération. Oui : en coopération, plutôt que soumis au diktat de la rentabilité financière imposé par les actionnaires des grands groupes et les exigences des marchés financiers, qui étranglent les entreprises sous-traitantes, comme nous le constatons tous dans nos territoires.
Pour défendre le « produire français », il faut développer et rétablir le potentiel industriel dans l’ensemble de nos territoires. Il nous faut reconstruire un tissu industriel diversifié, parce que notre pays compte encore des savoir-faire nombreux. À cette fin, il est indispensable de revoir fondamentalement la politique de nos institutions bancaires, en imposant aux banques le financement, à des taux d’intérêt faibles, de projets favorables à la création d’emplois, à la formation et aux investissements productifs et novateurs. Je ne compte plus les chefs d’entreprise, de PME ou de TPE, qui me disent qu’ils ne tiennent plus, à cause de taux d’intérêt qui dépassent aujourd’hui 6 %, voire 8 %, et encore : quand les banques veulent bien leur accorder ces prêts !
Nous devons également moduler l’impôt sur les sociétés et le taux des cotisations sociales, afin d’inciter les entreprises à développer la valeur ajoutée, les salaires et l’emploi, en pénalisant les entreprises qui délocalisent, qui développent leurs placements financiers ou prennent prétexte des nouvelles technologies pour supprimer des emplois et dégrader les conditions de travail.
Par ailleurs, nous avons besoin d’une politique ambitieuse en matière de recherche fondamentale et appliquée, qui ait d’autres objectifs que le profit à court terme. Pour ce faire, une politique de formation et de qualification, donc de hausse des salaires, est nécessaire. Bref : le contraire de la politique d’austérité de Nicolas Sarkozy.
Pour produire français et acheter français, il faut du pouvoir d’achat : il faut donc augmenter les salaires.
Ce sont ces propositions indispensables que le Front de gauche avance pour favoriser de façon concrète le redressement industriel dont notre pays a besoin. Mes chers collègues de la majorité, vous comprendrez qu’au regard de votre passif dans ce domaine – et il est lourd – et de l’absence de mesures fortes accompagnant vos louables intentions,…
M. Louis Giscard d’Estaing. Ah !
M. André Chassaigne. …nous préférerons nous abstenir sur cette proposition de résolution.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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