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Droit fondamental à l’IVG

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation, chers collègues, il y a quarante ans, s’ouvrait l’examen d’un projet de loi qui deviendra, le 25 janvier 1975, et pour l’histoire, la « loi Veil ». Ministre de la santé, Mme Veil, à qui je veux ici rendre hommage, commençait son intervention en faisant part de son « profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème, comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises ».
C’est que cette loi mêle l’intime et le droit, ou plutôt, elle fait de ce qui était caché, subi, sanctionné, un droit reconnu par la République : le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Aussi est-ce avec émotion et fierté que nous, députés du Front de gauche, présentons, avec des collègues d’autres groupes, le présent projet de résolution.
Nous le portons comme le fruit du combat des femmes, et comme un appel à une mobilisation pour que ce droit devienne effectif pour chaque femme, ici et de par le monde.
Il y a quarante ans, c’est tout simplement la liberté des femmes que l’Assemblée nationale inscrivait à son ordre du jour.
Il y a quarante ans, il fallait du courage pour s’attaquer à l’une des plus anciennes expressions de la domination patriarcale, celle qui imposait aux femmes un destin biologique, une fatalité de la maternité. Oui, il fallait du courage aux femmes en lutte, et à Mme Simone Veil, pour affirmer l’exigence du droit, pour elles, de choisir.
On se souvient que la loi de 1920 considérait l’avortement comme un crime, lourdement puni : le crime de choisir de ne pas enfanter. N’est-ce pas en vertu de cette conception, qui érigeait l’inégalité des sexes en morale sociale, que le violeur de Marie-Claire avait osé, en 1972, dénoncer cette jeune fille pour avortement, pensant qu’il serait ainsi quitte de ses actes au regard de la loi et de la société ?
Mme Catherine Coutelle. C’est exact.
Mme Marie-George Buffet. Mais ce qui reste dans nos mémoires, c’est le combat des femmes, individuel ou collectif, clandestin ou médiatisé ; les souffrances de l’avortement clandestin, mais aussi la solidarité qui permettait le départ à l’étranger, les manifestations de 1968 et le procès de Bobigny. Ce procès, auquel le nom de Gisèle Halimi reste attaché, sera celui de la loi de 1920 et ouvrira avec fracas le débat en faveur d’une nouvelle législation.
Oui, nous devons nous rappeler cette période où, après l’adoption, en 1967, de la loi Neuwirth autorisant la contraception orale, le mouvement des femmes devint incontournable.
En France, le mouvement féministe s’attaque au poids ancestral des traditions rétrogrades. Le Mouvement de libération des femmes, le MLF, et le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, le MLAC, interpellent toute la société et bousculent les partis politiques, y compris le mien.
En 1974, ce n’est pas sans heurts que la loi fut votée. Le débat fut vif, mais elle a été votée, malgré la réticence de la majorité de l’époque à soutenir la ministre, et avec l’appui de ceux qui étaient alors l’opposition : les députés de gauche, notamment les députés communistes. Ces derniers avaient, quelques mois plus tôt, déposé une proposition de loi-cadre pour la promotion de la femme et de la famille dans laquelle cette exigence figurait.
Un chemin s’ouvrait, et de nouvelles exigences apparurent, comme celle du remboursement de cet acte par la sécurité sociale.
Dès le débat de 1974, les députés communistes, dont Gisèle Moreau – je veux saluer sa présence dans les tribunes, ainsi que celle d’autres anciennes députées, Muguette, Jackie –, demandaient ce remboursement et posaient la question des moyens mis à la disposition des hôpitaux pour rendre ce droit effectif.
Le remboursement s’est fait attendre et les moyens hospitaliers ont, eux aussi, tardé à se déployer. L’accès au droit, après la loi, n’a pas été simple pour les femmes. Des barrières demeuraient : l’application de la clause de conscience ; des mentalités moralisatrices et réactionnaires et les commandos anti-IVG qui en étaient l’expression. Mesurons le traumatisme pour les femmes et pour les médecins de voir leur choix et leur pratique traînés dans la boue alors qu’elles étaient conformes à la loi de la République !
Mais les femmes n’ont pas baissé les bras, et depuis le vote de cette loi, elles agissent, à travers leurs associations, pour défendre sa mise en œuvre. Elles étaient – nous étions – de nouveau dans la rue samedi dernier, pour défendre ce droit.
La vigilance et la mobilisation sont en effet nécessaires. N’a-t-on pas entendu certains, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, évoquer, comme en 1974, le risque d’un IVG de « convenance personnelle » pour contester la proposition de supprimer la condition d’une situation de détresse ?
En fait, ce droit de choisir leur maternité nous permet de mesurer la longue route parcourue par les femmes pour mettre fin à la domination patriarcale. « Un enfant si je veux quand je veux » : tel était le mot d’ordre des féministes dans les années soixante-dix. Il était subversif à l’époque. Mais ne le reste-t-il pas aujourd’hui aux yeux de ceux qui ne voient la place de la femme que dans la famille et dans la filiation par la procréation ? L’anthropologue Françoise Héritier ne me contredirait pas, elle qui fait de la maternité, « cette capacité de produire du différent », une des origines de la hiérarchie des sexes.
Depuis quarante ans, chers collègues, les conquêtes des femmes ont été nombreuses. Aux tristes heures du régime de Vichy, qui avait autorisé les abattements sur les salaires féminins, ont répondu les revendications du droit au travail et à l’égalité professionnelle. Le combat pour dire que la violence faite aux femmes ne relève pas de la sphère privée a débouché sur une loi-cadre contre toutes les violences faites aux femmes. L’exigence démocratique d’être reconnues comme citoyennes et de participer à tous les lieux de décisions a progressé, du droit de vote à la parité. L’école est mixte, et les filles sont aujourd’hui majoritaires parmi les diplômés, même si elles restent encore confinées dans certaines filières.
Les femmes se battent et avancent. Mais les écarts de salaires persistent. Trop de femmes meurent encore sous les coups de leur conjoint. La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel n’a toujours pas été définitivement adoptée. Notre assemblée n’est toujours pas à l’image de l’humanité, même si la République a désormais un visage où le féminin n’est plus absent.
Nous devons rester mobilisés. Les violentes oppositions qui se manifestent contre l’éducation à l’égalité au sein de l’Éducation nationale ou contre l’accès de toutes les femmes à la maternité en témoignent.
S’agissant de l’IVG, sujet qui nous rassemble ce soir, la situation se dégrade. Dans un rapport d’octobre 2009, l’inspection générale des affaires sociales notait que les conditions n’étaient pas réunies pour garantir aux femmes un accès effectif au droit d’avorter. L’enquête réalisée cette année en Seine-Saint-Denis par le planning familial le confirme : elle dénonce les difficultés d’accès aux services d’IVG, la longueur excessive des délais, le défaut d’information des femmes concernées et le défaut d’application de la loi concernant les mineures.
Que ces défaillances soient la conséquence de la politique d’austérité dans le domaine sanitaire n’est plus à démontrer. Ainsi la maternité des Lilas, avec ses 150 salariés, ses cinquante années d’existence, ses 1 700 naissances et ses 1 000 IVG par an, a failli disparaître en raison de la politique de réduction des dépenses de santé ; seule la lutte des personnels, des femmes et des élus a permis de la sauver.
Oui, nous devons rester mobilisés, tant le droit des femmes à maîtriser leur fécondité est loin d’être universel. Le Mouvement pour le planning familial a sonné l’alerte : 222 millions de femmes n’ont aucun accès à la planification familiale. En Europe, la Pologne, l’Irlande et Malte interdisent l’avortement ; d’autres États tentent d’en restreindre l’accès, et seules les luttes ont fait reculer le gouvernement espagnol sur cette voie. Tandis que les « anti-choix » donnent de la voix un peu partout dans le monde, le viol est utilisé comme une arme de guerre, des collégiennes sont enlevées, des femmes lapidées, d’autres n’ont pas le droit d’être vues.
Dans un tel contexte, cette proposition de résolution est aussi un message de résistance à toutes les formes de domination ; elle est un message d’espoir pour celles qui se lèvent pour revendiquer leurs droits.
Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de résolution que nous allons adopter énonce des principes et formule des exigences pour l’accès des femmes au droit à l’interruption volontaire de grossesse, en France et en Europe. Mon souhait, à ce moment du débat, est que ces affirmations aient valeur d’engagement,…
M. Bernard Roman. Très bien !
Mme Marie-George Buffet. …l’engagement de la représentation nationale de donner les moyens à notre système de santé publique de répondre aux besoins des femmes et de leur assurer un droit effectif à l’IVG ; l’engagement du gouvernement français d’agir à l’échelon européen et international pour faire progresser ce droit partout et en toutes circonstances.
En votant ce soir en faveur de cette proposition de résolution, nous donnerons, chers collègues, de la force à ces engagements, et c’est pourquoi je vous appelle à la soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste, RRDP et UMP.)

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