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Economie : développement de la concurrence

Monsieur le Président, mes chers collègues,
Ce projet de loi nous revient du Sénat et il faut bien constater que la Haute Assemblée a fait preuve d’une véritable prouesse : aggraver encore le contenu d’un texte déjà mauvais à bien des points de vue ! La méthode est à cet égard détestable qui consiste à faire adopter en catimini des remises en cause importantes d’acquis sociaux sans aucun débat en commission et sans aucune discussion préalable avec les partenaires sociaux... Chapeau bas Monsieur le Ministre ! Vous êtes très fort quand il s’agit de saigner la France du travail au profit de la France des dividendes.
« Pouvoir d’achat » allez-vous répondre ! Mais vous le savez bien : à la question de la détérioration du pouvoir d’achat, la seule réponse valable est de revaloriser les salaires, de maîtriser les loyers, de réduire les prix de l’énergie, de remettre en cause les rentes de situation des compagnies des eaux, de mettre un terme aux pratiques bancaires abusives... Tournant le dos à une telle politique audacieuse, vous laissez croire au contraire que libéraliser et dérèglementer apporteront une solution à ce grave problème. Ce projet de loi et les amendements adoptés au Sénat s’inscrivent dans cette logique.
Il en est ainsi du travail le dimanche. Le repos dominical ! Vous vous attaquez au repos dominical ! A savoir un acquis social qui s’enracine dans une tradition séculaire, je dirais même millénaire, qui veut que tout créateur (et travailleur !) se repose après une semaine de dur labeur, pour méditer religieusement pour certains, pour se réunir au sein de la famille, échanger avec les enfants, mais aussi plus largement pour maintenir ces liens sociaux si nécessaires à l’équilibre de tout individu,
En remettant en cause ce repos commun, par une nouvelle brèche, et de taille, avec les magasins d’ameublement, vous contribuez au fond à renforcer l’atomisation au sein de notre société ; vous la déstructurez encore un peu plus en vouant les loisirs à la seule consommation individuelle.
En réalité, cette dérogation supplémentaire au principe du repos dominical prépare la dérèglementation généralisée des horaires hebdomadaires qui permettra la remise en question de l’ensemble des durées légales. C’est au fond toujours la même méthode : comme la remise en cause des régimes spéciaux de retraite prépare une dégradation globale du régime général, la remise en cause du repos dominical prépare la refonte du Code du travail dans son entier inspirée par le MEDEF.
Mais je dois reconnaître une chose : cet amendement adopté au Sénat est pleinement cohérent avec le reste du projet de loi. La vocation est en effet la même : doper au maximum les profits de la grande distribution ! D’un côté, vous lui offrez un cadeau indécent en permettant l’ouverture le dimanche, alors que la véritable réforme serait de remédier à la faiblesse des rémunérations de leurs salariés qui travaillent le plus souvent à temps partiel dans des conditions très dégradées. De l’autre, vous institutionnalisez à la fois la concurrence déloyale des grandes surfaces vis-à-vis du petit commerce et le racket de la grande distribution envers des petits producteurs. Je voudrais revenir à ce propos sur une disposition qui est au cœur de ce projet de loi.
La loi Galland de 1996 n’était pas parfaite, mais elle avait le mérite de protéger le petit commerce en mettant un terme à la pratique de prix d’appel abusivement bas, même si par ailleurs elle a été dévoyée par le développement des marges arrières.
Mais, le gouvernement, en proposant sous l’influence de la grande distribution d’intégrer la totalité des marges arrière dans le calcul du seuil de revente à perte, veut en réalité revenir à cette pratique des prix d’appel prédateurs. Par cette disposition, le seuil de revente à perte va baisser de manière dramatique, avec en parallèle une chute brutale des prix d’achat aux fournisseurs qui aura des conséquences très graves sur les PME et producteurs agricoles. Mais aussi sur les conditions de travail dans la distribution. La guerre des prix risque de conduire à la disparition du petit commerce de proximité qui ne pourra évidemment pas faire face aux prix d’appel. Le présent projet de loi est proposé à notre adoption comme une première étape dans un contexte où est en préparation la fin des restrictions à l’implantation de grandes surfaces préconisée par le rapport ATTALI.
Rappelons à ce propos que l’artisanat et le commerce alimentaire de proximité, qui représente 25% de parts de marché du secteur alimentaire, emploient encore 428 000 personnes contre 636 000 pour la grande distribution. Et que si la grande distribution a créé 1 200 emplois nets en 2006, le plus souvent à temps partiel et sous-qualifiés, dans le même temps l’artisanat et le commerce alimentaire de proximité en ont crées 3 600, selon les chiffres de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Rappelons aussi que le petit commerce contribue à l’aménagement du territoire et à la sociabilité rurale et urbaine, alors que le développement des zones commerciales accompagne la « rurbanisation » et l’artificialisation des terres, mais aussi l’atomisation de la société que je dénonçais en début d’intervention.
A terme, quand elle sera seule sur le marché, la grande distribution pourra alors ré-augmenter ses prix de vente et le pourra d’autant plus facilement qu’aucune concurrence réelle n’existe entre ces distributeurs sur les zones d’achalandise. Les grands réseaux de distribution, de plus en plus concentrés, disposent d’un monopole de fait dans chaque zone. Aussi, le consommateur ne retirera à terme aucun des bénéfices qu’il aura pu hypothétiquement obtenir dans un premier temps. D’une part, il paiera le même prix qu’auparavant, voire plus cher. D’autre part, il sera obligé d’utiliser sa voiture pour faire ses courses à plusieurs kilomètres, au prix d’une augmentation de ses dépenses d’essence et d’une pollution accrue, en contradiction avec les affirmations tenues lors du « Grenelle de l’environnement ». Mais je pense aussi alors aux difficultés des personnes âgées pour s’approvisionner loin de chez elles et dans des grandes surfaces labyrinthiques.
Et pendant ce temps, les marges arrière viendront à nouveau gonfler les bénéfices des grandes centrales d’achat dont je rappellerai le résultat pour 2006 : CARREFOUR, 1857 millions d’euros ; CASINO, 600 millions d’euros !
Mais le dispositif mis en place nuit également aux fournisseurs. Déjà aujourd’hui, la baisse des prix à la vente est inégalement partagée entre distributeurs et fournisseurs, compte-tenu du rapport de force défavorable pour les fournisseurs. Cinq centrales d’achat gèrent plus de 86% des achats de la grande distribution et s’approvisionnent par exemple, directement ou non, auprès de 590 000 exploitations agricoles. Dans ces conditions, ce sont les centrales d’achat qui fixent les prix de leurs fournisseurs malgré les gros efforts d’organisation des professions agricoles. Et les producteurs agricoles arrivent à vendre aux distributeurs en dessous de leurs coûts de production, mettant en cause la survie même de leur exploitation.
Les rémunérations consenties pour la coopération commerciale participent de cette domination économique. Or, la « suppression » des marges arrières telle qu’annoncée par Nicolas SARKOZY est un véritable trompe-l’oeil. Il s’agit en réalité d’un tour de passe-passe, consistant à conserver des rémunérations dépassant parfois la moitié du prix, sans correspondre le plus souvent à une quelconque « coopération commerciale » qui est par ailleurs de moins en moins justifiée. Les marges arrière, qui ont explosé ces dernières années (+ 32,5% en 2005 ; + 33,1% en 2006) sont en quelque sorte « institutionnalisées » alors que la logique voudrait de les supprimer purement et simplement comme une pratique totalement opaque, donnant lieu à une situation d’abus des distributeurs vis-à-vis des fournisseurs. Mais si le fournisseur refuse de payer, il est menacé de se voir « déréférencé » par le distributeur... J’ai eu avant hier sous les yeux les bons de commande d’un ami coutelier qui m’a détaillé le parcours du combattant de la négociation avec un grand distributeur bien connu, au point que la fabrication en Chine deviendrait même aujourd’hui trop cher. C’est à vomir !
Pour vérifier la réalité de ces prestations, nous avions proposé de mentionner en pied de facture les accords de coopération commerciale qui interviennent en contrepartie des rémunérations intégrées dans la facture, mais cet amendement a été repoussé.
Un signe que le gouvernement n’a aucune volonté de remédier à ces abus est le sort qui a été fait à un autre amendement déposé par les députés communistes et républicains. Consommateurs et producteurs reprochent fréquemment à la grande distribution d’une part de répercuter plus facilement les hausses que les baisses de prix à la production et d’autre part de prélever une marge excessive à leur profit. C’est pourquoi nous avions déposé un amendement mettant en place un double affichage du prix de vente au consommateur et du prix d’achat au producteur. Grâce à cet amendement, le consommateur aurait pu vérifier par lui-même les marges obtenues par les distributeurs, amenant ceux-ci à assumer toute leur responsabilité dans les trop grands écarts de prix. Or, cet amendement voté par l’Assemblée nationale mardi 27 novembre dans la soirée a été repoussé par le Sénat sous votre pression, Monsieur le Ministre, et avec mépris pour notre Assemblée puisque vous avez même proposé par dérision un affichage en francs. Quel mépris pour notre assemblée dont les quelques avancées qu’elle propose sont immédiatement battues en brèche sous la pression des lobbys de la grande distribution !
Défendre les plus aisés au détriment des plus modestes : quand allez-vous cesser de mener cette politique de classe ? Pour les raisons que je viens de décrire, les députés communistes et républicains voteront contre ce projet de loi. Et ceci malgré les quelques bonnes dispositions améliorant les droit des consommateurs en matière bancaire et de communications électroniques dont nous étions, avec beaucoup d’autres ici, les porteurs.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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