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Economie : hauts revenus et solidarité

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons avec cette proposition de loi sur les hauts revenus et la solidarité une question essentielle, celle de la croissance sans précédent des inégalités sociales depuis une dizaine d’années.
Ces inégalités se traduisent d’abord dans les écarts de revenus et de patrimoines, qui se sont creusés de façon si vertigineuse qu’aujourd’hui le centième le plus riche détient à lui seul la moitié du patrimoine financier total, tandis que des millions de nos concitoyens – et ils sont de plus en plus nombreux – se voient, a contrario, condamnés à vivre sous le seuil de pauvreté.
La majorité de droite au pouvoir depuis sept ans porte, à cet égard, une lourde responsabilité. La politique économique conduite durant cette période s’est en effet fixée pour principal, sinon pour unique objectif, la satisfaction des exigences des marchés financiers. La création de valeur pour l’actionnaire est, pour ainsi dire, devenue l’unique critère de l’efficacité économique. La crise que nous traversons aujourd’hui agit comme un révélateur de l’impasse à laquelle nous a conduits votre logique, une logique qui porte en elle la ruine de la plupart dans l’intérêt privé de quelques-uns.
Face aux désastres sociaux du libéralisme sauvage, les Français auraient pourtant pu attendre d’hommes politiques responsables qu’ils se ressaisissent et acceptent enfin d’aborder avec sérieux et détermination la question du mode de financement de l’économie et des moyens à mettre en œuvre pour garantir la défense opiniâtre de l’intérêt général contre les logiques socialement ruineuses du déploiement et de l’emprise croissante des marchés financiers. Nos concitoyens auraient pu espérer que la majorité s’attache à garantir un certain rééquilibrage dans la répartition des richesses qui est le fruit du travail de tous. Or, il n’en a rien été.
Face à la crise actuelle du capitalisme financier, le Gouvernement et le chef de l’État ont choisi de se retrancher derrière les enjeux de moralisation du capitalisme – le coup de force de l’UMP auquel nous avons assisté tout à l’heure était l’illustration de ce comportement. Ce n’est qu’une façon habile et quelque peu hypocrite de faire l’impasse sur les vraies questions et qui ne s’est, du reste, traduite dans les faits que par des mesures d’affichage.
En effet, vous avez en réalité décidé d’opter pour l’attentisme, dans l’espoir que les choses se tasseront, sans prétendre modifier de quelque manière que ce soit les règles qui ont pourtant conduit à la situation où nous nous trouvons. Nous en voyons une première preuve dans votre décision de ne rien changer à votre politique fiscale, qui joue pourtant un rôle majeur dans l’aggravation des inégalités – pour ne rien dire de ses effets désastreux sur l’emploi.
Cette politique n’a eu d’autre objectif, depuis des années, que de faire baisser la fiscalité du patrimoine, de diminuer l’impôt des contribuables les plus riches, au prétexte de l’attractivité de la France. Notre pays n’avait pourtant pas besoin de s’engager dans une concurrence fiscale effrénée avec ses voisins dans l’unique objectif d’attirer sur son sol quelques mercenaires financiers sans foi ni loi, prêts à le quitter demain pour s’installer dans le pays le mieux offrant du moment.
L’imposition des hautes tranches du revenu n’a, au demeurant, jamais joué le rôle démesuré que vous lui prêtez, car son attractivité, la France la doit à la qualité de ses infrastructures, de ses services publics, de son régime de protection sociale, ainsi qu’à la haute compétence de ses salariés. Des éléments d’attractivité que vous vous êtes précisément employés à détériorer en asséchant les comptes publics et sociaux, en amputant l’État des marges de manœuvre qui lui font tant défaut aujourd’hui.
Parmi les nombreuses largesses fiscales accordées aux plus riches figure bien entendu le bouclier fiscal, mécanisme unique au monde de plafonnement de l’imposition des plus hautes tranches, qui a permis aux contribuables les plus riches de bénéficier de baisses d’impôts considérables : les 3 506 contribuables les plus riches de notre pays auront ainsi, cette année, reçu un chèque de l’État d’un montant moyen de 116 193 euros !
Comme le rappelle justement notre rapporteur, l’argument que vous nous assenez selon lequel le bouclier fiscal permet d’éviter qu’un contribuable travaille plus d’un jour sur deux pour l’État ne tient pas. C’est un mensonge, je dirai même que l’argument est honteux et grotesque, puisque les revenus visés par le bouclier fiscal ne sont précisément pas des revenus du travail, mais bel et bien des revenus du patrimoine.
Ce sont les seules impositions sur les revenus du patrimoine que vous avez souhaité baisser ces dernières années, et non celles sur les revenus du travail. On ne compte d’ailleurs plus les niches fiscales que votre majorité a votées en sept ans, uniquement en faveur des détenteurs du patrimoine, autrement dit des rentiers, qu’il s’agisse des mesures de défiscalisation des valeurs mobilières, des mesures visant les droits de succession des seuls ménages les plus riches qui n’en étaient pas encore exemptés, ou encore des diverses mesures de baisses de l’imposition sur la fortune.
Ceux qui n’ont d’autre revenus que le fruit de leur travail, qu’ils soient actifs, privés d’emploi ou retraités, n’ont, eux, connu aucune baisse de leur imposition. La réduction du nombre de tranches de l’impôt sur le revenu, voulue par l’actuel président du groupe UMP alors qu’il était ministre du budget, s’est même traduite dans bien des cas par des augmentations d’impôts. Quels bénéfices ces Français ont-ils tirés de votre politique fiscale ?
Vous n’avez pas davantage entendu remédier au problème sérieux que pose aujourd’hui la répartition des revenus au sein des entreprises. Votre stratégie en la matière, une nouvelle fois, a consisté à favoriser les détenteurs de patrimoine, autrement dit les actionnaires.
Vous vous êtes ainsi toujours refusé à revenir sur l’instrument financier que constituent les stock-options, malgré les préventions de la Cour des comptes. Quant à votre prétendue politique en faveur de l’intéressement des salariés et de la participation, elle n’a eu d’autre effet que d’aggraver les inégalités et d’autre objet que d’accompagner la politique de gel des salaires voulue par la BCE.
Ainsi, le constat s’impose : depuis une quinzaine d’années mais plus encore sur les cinq à six dernières années, les salaires des dirigeants et cadres dirigeants des grandes entreprises ont crû de façon exponentielle, au même titre que les dividendes perçus par les actionnaires, tandis que les salariés se sont continuellement serré la ceinture et, pour bon nombre d’entre eux, perdu leur emploi, au nom des exigences de compétitivité, c’est-à-dire de taux de rentabilité garantissant le versement de juteux dividendes. Il est dans ce contexte fondé de dire que les salaires de nombreux patrons du CAC 40 ont été payés par la suppression de centaines voire de milliers d’emplois.
Cette réalité n’échappe d’ailleurs à personne. Du reste, ce n’est pas seulement la démesure des salaires des patrons qui choque tant de nos concitoyens, mais le fait que des entreprises qui licencient tout en réalisant des profits aient encore le cynisme aujourd’hui de verser des bonus somptueux aux patrons, déficients ou non.
Les dérapages qui ont défrayé la chronique au mois de mars et la défraient régulièrement depuis des années sont le symptôme du pillage des richesses qu’organise la promotion de la seule valeur actionnariat au détriment de la valeur travail. Nos concitoyens ont le sentiment, fondé, que les dirigeants des grandes entreprises et les fonds d’investissement spéculatifs s’enrichissent sur leur dos, que notre société est malade du décrochage entre travail et salaire.
Vous qui proclamez votre attachement à la valeur travail, dès lors qu’il s’agit de faire peser sur les salariés des nouvelles contraintes ou de les priver de leurs droits, que faites vous contre ceux qui ne vivent que de leurs rentes et qui vampirisent l’économie ? Rien. Ou pratiquement rien, si on compare votre politique au volontarisme affiché par des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis.
Il aura fallu la pression de l’opinion publique et un légitime mouvement de protestation populaire de plusieurs semaines pour que vous vous décidiez à agir – sans légiférer pour autant : par simple décret, et un décret dont la portée est du reste fort réduite, puisqu’il ne vaut que jusqu’à 2010 et ne concerne que les bonus des seules entreprises aidées par l’État. Au-delà des six banques et des quatre constructeurs automobiles visés par votre mesure, pour les entreprises aidées indirectement par l’État comme Valéo ou pour celles qui recourent massivement au chômage partiel ou au chômage tout court, c’est le statu quo. Vous avez voulu calmer l’opinion publique par un artifice, en adressant dans le même temps aux grands patrons le message suivant : Attendons que la crise se tasse, et tout pourra recommencer comme avant. Cette posture n’est tout simplement pas acceptable !
Le projet de nos collègues socialistes propose de revenir sur le bouclier fiscal et de limiter la rémunération des patrons des grandes entreprises, de façon à le rendre plus conforme à ce qui se passe dans les PME. S’il ne règle pas toutes les questions soulevées par l’accroissement sans précédent de l’injustice fiscale et de l’inégale répartition des richesses au sein des entreprises – comment le pourrait-il d’ailleurs, dans un temps parlementaire aussi restreint ? –, il propose un premier pas en ce sens. C’est pourquoi les députés communistes républicains le voteront sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Roland
Muzeau

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