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Economie : pouvoir d’achat

« Les caisses sont vides » a dit le Président de la République ; le Premier ministre avait, lui, parlé de « la France en faillite » ; avant-hier, le ministre du Budget, a déclaré que les « caisses étaient vides de vides ».
Au même moment, la crise financière démarrée aux Etats-Unis avec la fameuse crise des « subprimes », prend de l’ampleur.
Comme, lors du nuage de Tchernobyl, la ministre actuelle de l’économie répète, jour après jour, que la France est à l’abri et que « ses-fondamentaux-sont-bons ».
En bref, Français, ne vous préoccupez surtout de rien !
Mais les réalités sont plus fortes que les belles paroles et les tentatives d’hypnose gouvernementale. Le moral des ménages a poursuivi sa chute en janvier et atteint son plus basniveau. L’indicateur sur les perspectives d’évolution du niveau de vie en France connaît la chute la plus spectaculaire, avec un record absolu depuis 1987 : 21 points de perte depuis juin, 4 points en moins en un mois. Or, l’économie française repose plus sur la demande intérieure que sur les exportations.
Et pourtant, vous continuez comme si de rien n’était. Et ce projet de loi « pouvoir d’achat » dont nous examinons aujourd’hui la version issue de la Commission mixte paritaire n’a plus grand chose à voir avec la question même du pouvoir d’achat. Ce n’est qu’une usine à gaz de plus sur le régime des heures supplémentaires. Votre objectif est de casser encore plus les droits des salariés, notamment les 35 heures ainsi que le droit au repos compensateur qui suit l’exécution d’heures supplémentaires. En effet, que penser de l’article 1er bis A introduit au Sénat qui prévoit un renoncement aux RTT par le salarié « afin de financer le maintien de la rémunération d’un ou plusieurs autres salariés... pour réaliser une activité désintéressée » ? C’est une justification de la casse sociale à bon compte, sous le couvert de l’action humanitaire d’autres salariés ! En quoi cela entre-t-il dans une loi « pouvoir d’achat » ?
Sur la méthode, cette loi a une nouvelle fois été élaborée dans le mépris du dialogue social en contrevenant à la loi de janvier 2007 faisant obligation à l’Etat de saisir les partenaires sociaux avant toute réforme touchant aux relations du travail. D’amendements en amendements introduits durant la navette parlementaire, le dispositif « renoncement aux RTT », qui devait initialement être expérimental et de courte durée, a petit à petit été allongé jusqu’au 31 décembre 2009, et s’appliquera finalement y compris aux entreprises de moins de 21 employés. Cette même durée de 2 ans est également prévue dans le dispositif de renoncement au repos compensateur. Ainsi, quand ça vous arrange, vous contournez le dialogue social en avançant masqués. Et on se retrouve avec une loi inique, applicable au moins pendant deux ans !
Vous accusez les 35 heures d’avoir plombé le pouvoir d’achat. Vous assénez que « pour gagner plus, il faut travailler plus », sous-entendant par la même que les Français sont des paresseux, ce qui est insultant pour des millions de travailleurs.
Un exemple criant de cette crise du pouvoir d’achat que vous échouez à enrayer, dès lors que le « travailler plus » se conjugue avec la casse sociale : la situation vécue par les salariés de chez Yoplait au Mans... « Il y a cinq ans, on produisait au Mans 100.000 tonnes de produits frais. Aujourd’hui, on en produit 160.000 tonnes avec presque 200 personnes en moins et une rentabilité bien plus importante. », précise un délégué CGT, secrétaire du CCE de Yoplait-France. Les salaires, eux, n’ont guère augmenté : entre 1.400 et 1.500 euros nets par mois pour des employés dont l’âge moyen est de 43 à 45 ans. « Il y a de moins en moins de monde dans l’usine et la charge de travail est de plus en plus élevée. Pendant ce temps, tout augmente, les prix et les bénéfices de l’entreprise, tout sauf nos salaires. », résume un autre employé. 
S’agissant des 35 heures, on ne sait même plus quelle est votre position. Un jour, vous annoncez dans les médias leur suppression pour cette année 2008, voire même la suppression de toute durée légale du travail ; un autre jour, vous faites machine arrière, et pour cause : s’il n’y a plus de durée légale, il n’y a plus d’heures supplémentaire, et donc plus de majoration salariale non plus... et c’est tout votre slogan du « travailler plus » qui s’effondre. Vous êtes coincés entre votre souhait de satisfaire les demandes du Medef et vos promesses électorales.
En effet, depuis des mois, vous ne cessez d’annoncer aux Français une augmentation de leur pouvoir d’achat, mais l’immense majorité de nos concitoyens n’a rien vu venir. Pendant ce temps, les plus riches, eux, n’ont pas à se plaindre de votre politique du « toujours plus pour ceux qui en ont le plus ». Ce n’est pas en travaillant plus que l’on s’enrichit dans la France de Sarkozy. Non ! C’est en profitant de son patrimoine, de ses rentes, de ses relations familiales, de ses amitiés entre mondes de la finance et monde de la politique...
Dans notre pays, les patrons des grandes sociétés sont les mieux payés d’Europe, avec une rémunération annuelle moyenne de près de 6 millions d’euros, dont 1,25 millions constitués par le salaire, le reste venant de stocks-options. Pour eux, il n’est jamais question de remettre en cause leurs augmentations salariales, ni de les rendre responsables lorsque leur entreprise affiche de mauvais résultats. Souvent, ils partent même avec une « retraite-chapeau ».
Les mesures « d’assistanat pour les riches » votées l’été dernier avec la loi TEPA se retournent contre la majorité de nos concitoyens qui doivent payer l’addition, tout en faisant face à la hausse des prix du logement, de l’énergie et des denrées alimentaires. Pendant que certains bénéficient de baisses d’impôts sans précédent avec le « bouclier fiscal », nombre de nos compatriotes souffrent des déremboursements de l’assurance-maladie que vous avez aggravés avec les franchises médicales entrées en vigueur au 1er janvier dernier.
Le prétexte des 35 heures, démenti par les chiffres, ne cachera pas indéfiniment votre incapacité depuis 6 ans à sortir des difficultés sociales et économiques, les salariés, les retraités, les handicapés, et plus largement les ménages aux revenus moyens ou modestes. Si l’on compare la période 1997-2002 et la période 2003-2008, le résultat est sans appel. Sous les gouvernements de gauche, l’augmentation annuelle du pouvoir d’achat s’est maintenue autour de 3% par an en moyenne alors même que se mettaient en place les 35 heures et que le déficit public tendait à se résorber . Depuis 2002, vous n’avez jamais été capable d’en faire autant.
L’augmentation du pouvoir d’achat est même tombé en dessous de 1% en 2003 pour s’effondrer à 0,4% en 2006. Et cela ne représente qu’une moyenne pour l’ensemble des salariés. Dans sa dernière publication, l’INSEE relève que les augmentations de pouvoir d’achat ne concernent que les cadres et professions intermédiaires. Pour les employés, c’est la stagnation. Et pour les ouvriers, c’est une baisse de - 0,2% qui est constatée.
La situation des quelque 1,6 millions de salariés employés par les particuliers, au titre des emplois d’aides à la personne que vous encouragez fiscalement et socialement, n’est guère plus enviable. Il s’agit presque exclusivement, à plus de 90%, de femmes-salariées comme garde d’enfants, aide à domicile, etc... Celles-ci sont obligées de cavaler entre plusieurs employeurs-particuliers en cumulant plusieurs emplois, pour gagner au final des revenus très faibles : entre 6,2 et 9,4 euros nets de l’heure, pour 80% d’entre elles. 10% gagnent moins de 141 euros dans l’année.
Les retraités, notamment ceux qui perçoivent des petites pensions et qui sont directement touchés par les hausses de prix actuelles et la stagnation des aides sociales, sont aussi les grands oubliés de ce texte de loi. Il n’y a là rien d’étonnant, compte tenu de votre aveuglement idéologique qui n’envisage toute augmentation de revenus que dans le culte du « travailler plus ». Les personnes âgées comme les personnes handicapées, sont par essence les premières victimes de votre doctrine du travail.
En décembre dernier, le Gouvernement a attendu la fin de la session parlementaire, pour annoncer, de façon honteuse, que la revalorisation des pensions au 1er janvier de cette année ne serait que de 1,1%, soit en deçà du taux d’inflation du niveau général des prix. L’inflation était en effet de 2,6% en 2007 et elle sera probablement au minimum du même ordre en 2008. Ainsi, au pied du mur, le Gouvernement a explicitement entériné la baisse du pouvoir d’achat des retraités. Mais comme le « 1,1% » est resté en travers de la gorge des retraités, on nous annonce vite-vite un petit coup de pouce en février avant les élections municipales : ce n’est vraiment pas sérieux !
Quant au minimum-vieillesse, il est toujours aussi chichement compté. Rappelons qu’en France, ce sont environ 600.000 personnes âgées qui vivent du minimum vieillesse d’un montant de 628 euros mensuels au 1er janvier 2008 pour une personne seule, et de 1.126 euros mensuels pour un couple. Les beaux discours de la campagne électorale présidentielle qui promettaient d’augmenter les petites retraites à 75% du SMIC net ont été remis au placard. Comment croire les nouvelles promesses du Président de la République qui annonce une augmentation du minimum avant l’été ? Et pourquoi attendre l’été ? L’urgence de cette législature n’était-elle pas de redistribuer la richesse nationale vers ces personnes plutôt que d’offrir avec l’argent public 15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches, en juillet dernier.
Aujourd’hui, vous n’osez plus affirmer que la baisse du pouvoir d’achat est plus un ressenti qu’une réalité. Si l’inflation moyenne reste en deçà de 3%, c’est surtout dû à la baisse de certains produits manufacturés qui ne sont pas vraiment de première nécessité. En revanche, les produits alimentaires et particulièrement les produits frais ont battu des records : plus de 8% en 2007, sans compter le renchérissement du prix de l’énergie (+ 22% pour le gaz de ville). Informatique, téléphonie, appareils photos ne se mettent pas sur la table trois fois par jour et ne permettent ni de se loger ni de se chauffer.
Vous ne proposez rien pour compenser cette inflation qui touche les plus modestes. En matière de logement, depuis 6 ans, vos gouvernements s’en sont tenus à bloquer les APL. La première augmentation depuis 2002 a été faite seulement en 2005, ne rattrapant pas le retard accumulé pendant 3 années précédentes.
Vous vous accrochez désespérément à l’idée que l’enrichissement des plus nantis permet mécaniquement l’enrichissement de ceux qui ne le sont pas. C’est une vieille recette néolibérale qui n’a jamais fonctionné que dans l’esprit obtus des droites les plus conservatrices. Vous les incarnez aujourd’hui à merveille avec la politique menée par l’UMP depuis 6 ans sous la direction du Président Sarkozy. Ces politiques fonctionnent d’autant moins aujourd’hui que les surplus financiers des plus riches alimentent directement la spéculation boursière internationale beaucoup plus rentable que les investissements productifs, ainsi qu’un gaspillage de consommations de luxe, néfastes pour l’environnement et les ressources de notre planète.
Le décalage est énorme entre le luxe ostentatoire exhibé par certains, à commencer par le Président de la République, et le vécu du plus grand nombre de nos compatriotes. Au nom des députés Verts, communistes-et-républicains et des Dom-Tom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, j’appelle à voter contre ce texte.

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Roland
Muzeau

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