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Economie : régulation bancaire et financière

Madame la ministre, vous l’avez dit tout à l’heure : nous avons des convictions, mais pas les mêmes. Une différence entre nous est que je m’intéresse plus aux vôtres que vous aux miennes. Cela tient peut-être à notre culture : j’aime la contradiction et je crois à la valeur de la dialectique, tandis que vous en êtes plutôt à la métaphysique et au principe du tiers exclu du Moyen Âge, c’est-à-dire une sorte de vérité révélée, donnée une fois pour toutes. Je suis dans un autre système, celui du réel. Comme le disait notre grand ancêtre : l’examen concret de la réalité concrète, et non pas les fantasmes dans lesquelles vous vivez.
Nous sommes en effet confrontés à un refus obstiné du Gouvernement, celui de réguler véritablement la finance, comme une forme d’entêtement à préserver coûte que coûte les leviers essentiels de l’économie-casino. Votre devise consiste à dire qu’il faut faire de la crise une opportunité, parce que vous n’arrivez pas à concevoir qu’il puisse exister un autre monde, dans lequel la machine économique n’est pas une finalité en soi, mais est placée au service d’une vision des hommes et des femmes, de leur vie, de leur droit de vivre. Pour nous, l’économie doit dégager les moyens de vivre pour les hommes et les femmes de notre temps, et non pas générer des dividendes pour le bénéfice de quelques actionnaires, qui déstabilisent ensuite notre économie et vivent aux dépens du plus grand nombre.
En dehors du langage de propagande du Gouvernement, il existe bien une théorie – ou plutôt un dogme – qui vous fait croire que la crise pourra, en dernière analyse, accélérer la mise en place des réformes libérales que vous jugez encore aujourd’hui nécessaires. C’est pourtant l’échec. Au nom du contrat social, je vous demande de revenir sur votre dogme et de respecter la légitimité ultime du peuple souverain en vous soumettant à la volonté générale, comme le disait Jean-Jacques Rousseau.
Or, là est bien le problème : plus de deux ans après la faillite du système financier, vous n’avez toujours pas tiré les bonnes leçons de la crise, vous vous obstinez à appliquer des mesures qui reposent sur des théories, ou plutôt sur des recettes, qui ont montré leur incapacité à expliquer le monde actuel, qui n’ont aucune efficience, aucune prise sur le réel et qui n’ont donc plus aucune justification valable. Pire, vous continuez à ne regarder que du côté des privilégiés, qui, eux, ne connaissent pas la crise. Il suffit de regarder l’explosion du nombre de personnes très riches et les résultats des banques.
Cela ne vous intéresse pas, et pourtant, le résultat de votre système, ce sont les milliers de licenciements et les suicides chez France Télécom, car, pour dégager des dividendes, on n’hésite pas à pressurer et faire travailler les personnes dans des conditions insupportables.
Ce qui m’importe, madame la ministre, c’est le sort que vous réservez à l’écrasante majorité de nos concitoyens. Vous dites que la reprise s’amorce, que la croissance est devant la porte. C’est sûrement parce que la porte est encore fermée que vous voyez la croissance s’amorcer. Si elle était ouverte, vous verriez bien que ce n’est pas vrai. Peut-être en Allemagne, mais pas chez nous.
Pour vous répondre, j’aimerais emprunter les mots de Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’École d’économie de Paris, et coauteur du « Manifeste des économistes atterrés », dont vous avez entendu parler.
Dans l’édition du 15 septembre dernier du journal Le Monde, en réponse à la question de savoir si nous allions vers une reprise économique « prolongée et forte », M. Askenazy affirme : « Il n’y a pas d’élément qui permette de le penser, d’autant que tous les facteurs qui ont permis la crise sont encore en place. On n’a fait aucune réforme, aucune réflexion profonde sur une nouvelle politique économique budgétaire ou de régulation. Nous restons donc dans l’interrogation de la survenue possible d’une nouvelle crise majeure. »
Il continue ainsi : « En réalité, à l’heure actuelle, on ne sait pas quelle politique mener et pourtant on nous tient un discours qui présente comme évidentes les politiques de rigueur et des mesures régressives qui se traduisent par un appauvrissement de pans entiers de la population européenne. Dans un sens, c’est quelque chose de nouveau, car, en 1929, on avait cherché, par des politiques keynésiennes, à soutenir les populations qui se trouvaient au chômage. Les politiques des années 1970 étaient des mesures de soutien au revenu.
Aujourd’hui, au contraire, on lève un certain nombre de « filets de sécurité », quitte à augmenter la précarité de la population, à faire baisser le niveau de vie. On va faire souffrir des millions de personnes au nom d’une politique dont les fondements économiques se sont écroulés. »
Les personnes qui nous écoutent ont toutes dans leur environnement des personnes qui sont victimes de votre politique, des jeunes qui ne trouvent pas de travail bien qu’étant formés, ou bien des seniors jetés comme des citrons pressés alors que, dans le même temps, vous reculez l’âge du départ en retraite.
Pourquoi cette longue citation ? Tout simplement parce que j’aimerais rendre hommage aux auteurs de ce manifeste qui a déjà été signé par plus de 1 100 économistes opposés aux agents du capital, à ses thuriféraires, aux Nicolas Baverez et autres Alain Minc. Mais vous refusez de les entendre ! Et pourtant, c’est l’intelligence de notre pays. Mais, suivant en cela l’exemple du Président de la République, vous préférez les bavards et les porteurs de Rolex plutôt que de vous intéresser à ceux qui produisent des idées et qui ont des solutions pour sortir de la crise.
Je cite longuement ce manifeste pour inviter mes collègues de l’UMP et tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à le lire. Je vois que vous m’écoutez avec intérêt, madame Grosskost, et non seulement je vous invite à le lire, mais aussi à le méditer, comme on sait le faire en Alsace, terre de gens sérieux.
Les autres ont des marges de progression, et vous en particulier, mon cher collègue. Dès le matin, il faut avoir des ambitions…
Pour la démocratie, si l’UMP commence à donner des exemples, le pire est assuré.
Mais vous ne tenez pas vos fiches à jour ? Que font les services secrets ? Je ne suis plus membre du parti communiste depuis 1996 ! Mais à la différence de vous, j’ai un idéal et j’y suis fidèle : celui des gens qui travaillent, qui vivent de leur travail et qui combattent les exploiteurs dont vous êtes ici le fondé de pouvoir ne vous en déplaise ! Il fallait que cela fût dit. Puisque vous m’avez cherché, vous m’avez trouvé.
Mais je poursuis, malgré ce collègue de droite qui, faute d’avoir quelque chose de solide à dire, m’interrompt par d’incessantes interjections.
Mais bien sûr ! Vous pouvez faire beaucoup de critiques, mais certainement pas celle-là.
La différence entre nous est que nous ne sommes pas des idolâtres, alors que vous adorez le veau d’or, que vous n’aimez que ce qui brille et qui profite aux privilégiés. Nous, nous sommes du côté de ceux qui travaillent, qui peinent.
Nous défendons ceux que vous opprimez, ne vous en déplaise.
Madame la présidente, je sens que vous allez me rappeler à l’ordre.
Cela m’oblige donc à aller plus rapidement que prévu vers ma conclusion.
En parlant de la domination des marchés financiers, les auteurs de l’appel déclarent qu’une « une autre forme de dictature des marchés s’impose partout, et particulièrement aujourd’hui au Portugal, en Espagne et en Grèce, trois pays qui étaient encore des dictatures au début des années 1970, il y a à peine quarante ans.
Qu’on l’interprète comme le désir de « rassurer les marchés » de la part de gouvernants effrayés, ou bien comme un prétexte pour imposer des choix dictés par l’idéologie, la soumission à cette dictature n’est pas acceptable, tant elle a fait la preuve de son inefficacité économique et de son potentiel destructif au plan politique et social. Un véritable débat démocratique sur les choix de politique économique doit donc être ouvert en France et en Europe. La plupart des économistes qui interviennent dans le débat public le font pour justifier ou rationaliser la soumission des politiques aux exigences des marchés financiers. Certes, les pouvoirs publics ont dû partout improviser des plans de relance keynésiens et même parfois nationaliser temporairement des banques. Mais ils veulent refermer au plus vite cette parenthèse. Le logiciel néolibéral est toujours le seul reconnu comme légitime, malgré ses échecs patents. Fondé sur l’hypothèse d’efficience des marchés financiers, il prône de réduire les dépenses publiques, de privatiser les services publics, de flexibiliser le marché du travail, de libéraliser le commerce, les services financiers et les marchés de capitaux, d’accroître la concurrence en tout temps et en tous lieux. »
Derrière cela, il y a la paupérisation, l’appauvrissement de ceux qui sont le trésor de notre pays, qui ne sont pas ceux que vous soutenez, mais ceux qui travaillent ou qui voudraient bien pouvoir le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Pierre
Brard

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