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Economie : régulation bancaire et financière

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est dommage que Louis Giscard d’Estaing ne soit plus là : l’image qu’il a utilisée tout à l’heure, par laquelle nous pouvions imaginer Nicolas Sarkozy en croupier dans une salle de casino, était tout à fait pertinente !
En achevant de défendre la motion de renvoi en commission, j’observais que l’insuffisance de votre texte ne cachait pas le fait que des marges de manœuvre existent pour mettre un terme à la domination des marchés et rétablir le primat du politique sur les diktats d’une économie spéculative devenue folle. Puisque je ne dispose de guère plus de temps pour détailler ces mesures, je me contenterai de vous présenter celles que vous auriez dû prendre dès l’an dernier.
Madame la ministre, je ne puis m’empêcher de vous demander ce que vous attendez pour interdire les produits financiers dérivés, de type CDS – credit default swap – et les ventes à découvert sur le marché obligataire. Dès septembre 2008, le Président de la République avait vu l’une des sources du problème, sans s’y attaquer, bien entendu. À Toulon, il avait déclaré qu’« il faudra bien aussi se poser des questions qui fâchent comme celle […] des conditions dans lesquelles s’effectuent les ventes à découvert qui permettent de spéculer en vendant des titres que l’on ne possède pas ou celle de la cotation en continu qui permet d’acheter et de vendre à tout moment des actifs et dont on sait le rôle qu’elle joue dans les emballements du marché et les bulles spéculatives ».
Tout cela était fort intéressant mais, en réalité, la question ne fâche pas tant que cela, puisque, pour Sa Majesté, les intentions en sont restées là : rien n’a été réglé, ni en 2008, ni en 2009, ni en 2010.
Qu’attendez-vous, madame la ministre, pour rendre la taxe Tobin effective ? Comme vous le savez, mes chers collègues, si l’on veut mettre un frein aux mouvements spéculatifs, il faut absolument créer un taux de taxation dissuasif sur les transactions financières.
Qu’attendez-vous, madame Lagarde, pour définir les critères d’une progression normale du crédit, en fonction du potentiel de croissance d’une économie ? Comme vous le savez, ce sont en partie les politiques excessives du crédit, d’un mauvais crédit de surcroît, qui nourrissent les bulles spéculatives et provoquent, de plus en plus souvent, des crises systémiques. Quand donc accepterez-vous la nécessaire mise en place d’un contrôle public de la dynamique de distribution des crédits par les banques ?
Enfin, qu’attendez-vous, madame la ministre, pour imposer la transparence aux acteurs de la finance mondiale ? Je vous rappelle, mes chers collègues, que la banque Lehman Brothers, prise dans son ensemble, comptait rien moins que 2 985 entités juridiques différentes. Il faut imposer aux banques de clarifier, dans un document d’ensemble, leur structure capitalistique, afin de permettre un dénouement aisé de toutes les transactions. Si l’on connaissait avec précision l’organisation d’une banque, cela permettrait en effet aux autorités publiques de repérer rapidement quelle partie est essentielle au bon fonctionnement de l’économie, et quelle autre peut être mise en faillite aux frais des actionnaires.
Pourquoi ne le faites-vous pas, madame la ministre ? Tout simplement parce que vous avez choisi les mêmes options idéologiques que les banquiers, à savoir l’aversion profonde contre tout ce qui s’apparente à un impôt, quelle que soit par ailleurs son utilité sociale et économique. Quel est en effet l’intérêt de ces montages financiers complexes, sinon de faire apparaître les profits dans les filiales les moins taxées et, ainsi, d’éviter les impôts ?
Puisque l’on parle d’impôts et de taxes, madame Lagarde, qu’attendez-vous pour agir enfin avec efficacité contre les paradis fiscaux, pour rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu et sur les entreprises, et pour vous attaquer au dumping fiscal et salarial dans l’Union européenne ? Je sais que je touche là à un nerf sensible, au « nerf des batailles », comme disait Rabelais, c’est-à-dire à l’argent. La fiscalité, ou plutôt l’absence de fiscalité, est bien au cœur de votre idéologie économique. La fiscalité et la dette, voilà les deux maîtres-mots de votre dogme et les deux faces de la même médaille.
La dette, parlons-en. Vous avez continué de la creuser en prenant prétexte de la crise financière. J’entends d’ici vos lamentations malhonnêtes, du type : la dette est abyssale, il faut arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, ou, comme le répète M. Woerth, nous sommes en train d’hypothéquer l’avenir de nos enfants. J’entends tout cela, mes chers collègues, et il ne s’agit pas pour nous de nier la gravité de la situation dans laquelle vous avez plongé les finances de notre pays. Ce que nous contestons, ce sont les raisons qui ont provoqué cette situation et, surtout, les pseudo-remèdes que vous cherchez à nous imposer pour en sortir.
Les députés du groupe GDR, eux aussi, savent lire ; ils peuvent comprendre qu’un déficit public de plus de 150 milliards d’euros et une dette publique qui atteint près de 80 % de la richesse produite posent problème. Nous aussi, nous savons que cela est extrêmement grave pour l’avenir du pays et des jeunes générations ; mais nous savons également que cette dette a été savamment creusée par votre gouvernement afin de présenter vos plans d’austérité comme des mesures incontournables.
Oui, nous vous accusons d’avoir consciemment et consciencieusement asséché les finances publiques de notre pays au profit des riches, par exemple avec le bouclier fiscal, afin de rendre ces mêmes riches toujours plus riches : si la santé coûte trop cher, c’est qu’il faut démanteler les soins publics – comme vous êtes en train de le faire à l’hôpital Trousseau – pour permettre aux intérêts privés de s’emparer d’un marché extrêmement juteux ; si les retraites coûtent trop cher, c’est parce que les assurances privées n’y gagnent rien, ou si peu.
L’origine de la dette, mes chers collègues, n’est pas de nature arithmétique, mais de nature politique : elle est le résultat d’un assèchement systématique des finances publiques, conduit par le biais d’allégements fiscaux et sociaux incessants, de baisses de taux d’imposition sur les bénéfices des grands groupes et des grandes fortunes : 112 milliards d’euros. Cet assèchement est le résultat implacable de la multiplication des niches fiscales et de la généralisation du dumping fiscal et salarial au sein du marché commun.
Ce n’est pas la première fois que je vous dis cela, mes chers collègues, mais, comme vous le savez, la pédagogie est l’art de la répétition. Or je ne suis pas sûr d’être au bout de mes peines avec vous, madame Lagarde, car vous faites de la résistance, c’est le moins qu’on puisse dire. (Sourires.)
Selon la Cour des comptes, la baisse des recettes fiscales nettes a représenté 50,9 milliards d’euros en 2009, soit une diminution sans précédent. À périmètre courant, les recettes fiscales nettes ont été d’un montant équivalent à celui de 1979. L’État dispose d’autant – ou plutôt d’aussi peu – de moyens qu’il y a trente ans, alors que le produit intérieur brut a augmenté dans le même temps de 70 %.
Une autre politique est possible. Une autre politique est nécessaire. La Cour des comptes livre quelques pistes pour envisager une autre politique de retour à l’équilibre budgétaire. Le déficit de l’État s’élève cette année à quelque 150 milliards d’euros. Au lieu de faire du déficit un prétexte pour s’en prendre aux services publics et à la sécurité sociale, l’on n’insiste jamais assez sur les coûts de la politique gouvernementale.
Ainsi, les niches fiscales représentent chaque année la bagatelle de 74,8 milliards d’euros. La fraude fiscale prive l’État d’au moins 25 milliards. On a beaucoup parlé du Liechtenstein, de la liste de clients des banques suisses ; on sait moins ce qui arrive aux contrevenants, dont on n’entend plus du tout parler.
Parmi ces mesures, la suppression de la taxe professionnelle coûtera, semble-t-il, au moins 11 milliards d’euros chaque année. Le taux préférentiel de TVA dans la restauration représente un manque à gagner de 2,4 milliards. Chaque année, le bouclier fiscal offre aux plus riches un cadeau de plus de 500 millions d’euros et le grand emprunt s’élève à 35 milliards d’euros. Pour la seule année 2009, le Gouvernement aura donc procédé à des cadeaux fiscaux – sans la moindre preuve d’un effet positif sur l’économie, comme le soulignait Philippe Séguin – d’une valeur d’environ 150 milliards d’euros, soit cinq fois le trou de la sécurité sociale ou l’équivalent du déficit du budget de l’État.
Toute cette politique est faite pour servir les intérêts du capital, au détriment des revenus du travail. D’après la Commission européenne, la part des salaires, au sein de l’Union, a chuté de 8,6 % ces vingt dernières années. En France, ce taux monte jusqu’à 9,3 % du PIB. Concrètement, cela veut dire que 120 à 170 milliards d’euros passent chaque année des poches des salariés dans les coffres-forts des banques, des grands groupes, des actionnaires.
Une autre politique fiscale est possible ; une autre répartition des richesses est nécessaire. Quant à la régulation des marchés financiers, il en va de l’avenir de la démocratie. Nous ne laisserons pas les banques imposer leurs lois à la nation et à ses représentants élus. Mes chers collègues, n’oublions pas que l’argent des banques n’est pas l’argent des banquiers.
Vous aurez compris, mes chers collègues, madame la ministre, que les députés du groupe GDR s’opposeront à un projet de régulation bancaire qui n’a de régulateur que le nom : nous ne le cautionnerons pas. Je fais appel au sens de la responsabilité des uns et des autres pour suivre avec attention le débat qui va suivre et examiner avec sérieux les amendements du groupe auquel j’appartiens. Beaucoup d’entre eux seront en effet très consensuels.
Je termine en relevant les propos de notre excellent collègue Louis Giscard d’Estaing, qui faisait tout à l’heure référence aux travaux sur la crise qu’a réalisés un groupe de vingt-quatre députés et sénateurs.
Dans sa grande bonté, Sa Majesté a consenti à les inviter au palais de l’Élysée, mais sans doute le Président de la République ne croit-il plus à l’utilité de ces rencontres, auxquelles il a mis un terme. J’ai d’ailleurs toujours regretté que vous n’y participiez pas, madame la ministre, car vous auriez pu éclairer les débats de votre expérience, qui est quand même plus large que celle du Président de la République. (Sourires.)
De quoi avons-nous parlé ?
Il a été question de doter la France de sa propre liste de territoires non coopératifs, d’imposer la publication, en annexe du rapport annuel des sociétés cotées, de l’ensemble des activités qu’elles mènent dans des paradis fiscaux et territoires non coopératifs, de restreindre l’accès au marché financier des filiales de sociétés mères établies dans des territoires non coopératifs et qui ne respectent pas des normes prudentielles et comptables minimales, de prévoir la publication d’informations relatives aux avoirs détenus, aux revenus localisés, aux filiales établies et aux activités conduites dans les paradis fiscaux.
Nous avions même proposé que les navires battant pavillon de complaisance enregistrés dans des territoires non coopératifs soient interdits de relâche dans les ports de l’Union européenne.
Aucune de nos propositions n’a été retenue. Elles étaient pourtant modérées. Ceux de nos collègues qui participaient aux travaux de ce groupe se souviennent qu’il avait fallu réfréner les ardeurs de nos collègues sénateurs M. Marini et M. Arthuis, qui, épouvantés par les dégâts de la crise, voulaient tout réglementer partout : le marxiste que je suis sait bien qu’on ne peut pas revenir à l’économie administrée, qui a fait suffisamment de ravages et qui n’était qu’une caricature de la pensée du fondateur. (Sourires.)
 

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Jean-Pierre
Brard

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