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Education : enseignants de médecine générale

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, six ans après la décision d’ériger la médecine générale au rang de spécialité, cette proposition de loi entend enfin donner un statut aux enseignants de médecine générale, et je m’en félicite. Dommage toutefois qu’il ait fallu attendre si longtemps, malgré la mobilisation des omnipraticiens enseignants depuis plusieurs années… Dommage qu’il ait fallu le mouvement de grève des internes pour que le Gouvernement se décide enfin à sortir du discours pour commencer à passer aux actes…
Car les discours, fussent-ils élogieux à l’égard du corps médical, et plus particulièrement des généralistes, ne suffisent pas à régler les problèmes. Il y a urgence à enseigner la médecine générale, au même titre que les autres spécialités, comme il y a urgence à surmonter le déficit démographique de médecins, prévisible depuis longtemps et dont les effets, particulièrement préoccupants dans certaines régions et dans certains quartiers de grandes villes, se font déjà sentir.
Ce déficit concerne toutes les spécialités, mais il touche plus particulièrement la médecine générale. En 2007, 866 postes n’ont pas été pourvus en médecine générale, et plus de 3 000 en quatre ans, soit près d’un tiers des postes. En outre, les internes qui optent pour la médecine générale à l’issue des épreuves classantes nationales, ne l’exerceront pas tous pour autant, comme vient de le rappeler Gérard Bapt. Certains préparent des diplômes d’études spécialisées complémentaires pour se consacrer à un secteur d’activité précis, comme la gériatrie ou les urgences, d’autres s’orientent vers le journalisme spécialisé, l’activité en laboratoire pharmaceutique, ou encore l’administration. Il y a donc bien un problème lié au nombre de médecins formés. Certes, vous avez décidé d’augmenter le numerus clausus en le faisant passer cette année de 7 100 à 7 300 – sans oublier les dentistes, ce qui est une bonne chose – mais ce n’est pas suffisant, et ceci pour plusieurs raisons : d’abord, le prochain départ à la retraite de nombreux médecins formés dans les années soixante-dix. En 1977, sur 9 000 étudiants, 8 736 étaient admis en deuxième année. À cette époque, les étudiants formés étaient beaucoup plus nombreux. Or cette génération va partir à la retraite. L’augmentation du numerus clausus ne suffit pas non plus à combler le retard accumulé, quand on sait que l’on a été jusqu’à ne former en 1993 que 3 500 médecins par an, au prétexte de réduire les dépenses de santé… J’ajoute que les progrès des connaissances scientifiques et techniques appellent davantage de jeunes formés dans tous les domaines, y compris, bien sûr, dans le domaine médical, car l’exercice médical est aujourd’hui extrêmement sophistiqué et exige beaucoup de médecins de haut niveau.
La question de la démographie médicale a, une fois de plus, été abordée lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, mais n’a pas reçu de réponse satisfaisante. Votre collègue Mme Bachelot n’avait alors rien trouvé d’autre à proposer que de sanctionner les médecins qui s’installeraient dans des secteurs suffisamment pourvus. Évidemment, l’ensemble de la profession a réagi, j’oserai même dire qu’elle a « rué dans les brancards », obligeant Mme la ministre à renoncer à cette disposition et à travailler autrement, notamment en convoquant les états généraux de l’organisation de la santé. Néanmoins, le problème demeure et ne pourra être surmonté qu’en travaillant sur les causes, et non en imposant des décisions.
La répartition des professionnels de santé ne peut être envisagée sans prendre en compte la question de l’aménagement du territoire. Peut-on reprocher aux médecins de ne pas vouloir s’installer dans des régions ou des quartiers que la fermeture des services publics, des bureaux de poste, des écoles et des gares a transformés en déserts administratifs, puis en zones économiquement sinistrées ? On ne peut non plus faire l’économie d’une réflexion sur les conditions d’exercice des médecins, et notamment des généralistes, trop souvent isolés, tenus de multiplier les astreintes et n’ayant guère la possibilité de travailler avec des hôpitaux de proximité.
Il y a, enfin, la dévalorisation de la médecine générale, à laquelle cette proposition de loi commence à répondre. Nous considérons en effet que ce texte constitue un pas important, dans la mesure où il crée, pour l’enseignement de la médecine générale, le même cadre de formation que pour les autres spécialités. Il reprend les trois axes – enseignement, recherche, soins – auxquels tiennent à juste titre les médecins généralistes enseignants. Il ouvre également la voie à un mode de rémunération de ces enseignants mieux adapté aux objectifs affichés, dans la mesure où, par-delà le paiement à l’acte, une convention entre les UFR de médecine et la CNAM pourrait être établie afin que les médecins enseignants perçoivent, sous forme de traitement, la part de rémunération correspondant à leur exercice ambulatoire de la médecine. Je m’associe sur ce sujet aux questions posées par notre rapporteur. Si cette proposition de loi constitue une réelle avancée, plusieurs points méritent toutefois d’être clarifiés. Nous nous sommes abstenus, madame la ministre, de présenter des amendements, pour ne pas retarder son adoption définitive. Aussi, nous tenons à ce que les décrets d’application soient publiés rapidement, mais vous avez manifesté le même désir. Vous nous avez dit que vos services avaient déjà commencé à y travailler et nous nous en réjouissons. Vous allez sans doute pouvoir nous éclairer sur quelques points.
Tout d’abord, combien de postes seront créés dans un avenir proche, au-delà des quarante-huit que vous nous avez annoncés ? La filière de médecine générale compte aujourd’hui 131 enseignants associés. À quel rythme seront-ils intégrés ? Vous avez annoncé la création de quarante-huit nouveaux postes d’enseignants en médecine générale. Les syndicats réclament la nomination d’au moins 120 titulaires et 250 enseignants associés pour faire fonctionner correctement cette filière. Leur demande est légitime, au vu des quelque 2 000 étudiants qui, chaque année, choisissent la filière de médecine générale. C’est aussi une demande responsable eu égard aux 5 200 enseignants hospitalo-universitaires que comptent les autres spécialités. Quelle suite allez-vous lui donner, et dans quels délais ? Comment ces postes seront-ils répartis sur le territoire, puisqu’il s’agit de corriger un déséquilibre territorial ? Comment cette filière sera-t-elle organisée ? À terme, il me semble impératif d’y appliquer le format LMD, licence-master-doctorat, avec deux premiers cycles en cinq ans et un troisième cycle en quatre ans, soit le même niveau de formation que les autres spécialités.
Enfin, il faut revoir l’organisation et le financement des stages. Ils sont d’une importance capitale pour déterminer le choix de la spécialité que l’on exercera plus tard, mais également pour envisager son lieu d’exercice. Un premier stage en médecine générale dès le deuxième cycle devrait permettre de faire découvrir cette discipline au moment où se déterminent les goûts et les choix professionnels.
Un troisième cycle de trois ans pourrait être clôturé par un dernier stage d’un an, effectué sous la forme d’un remplacement tutoré dans les zones où l’on manque de médecins généralistes. Mais tout cela exige des moyens importants, et nous attendons donc, madame la ministre, de savoir ce que vous pouvez nous proposer en termes chiffrés et sur le long terme.
Le médecin généraliste est d’abord le médecin de premier recours, celui des soins primaires. En assurant une prise en charge globale des patients, il assure la coordination des soins. Il doit donc se voir reconnaître un rôle central en matière de dépistage, de diagnostic précoce, de soins et d’orientation des patients, ainsi qu’un rôle d’acteur de santé publique, au travers de ses actions d’éducation à la santé.
En conclusion, cette proposition de loi constitue une étape importante vers la revalorisation de la médecine générale. Elle donne de premiers outils pour que soient reconnues les missions et la place du généraliste dans le système français de soins, et c’est pourquoi nous la voterons. Mais comptez sur nous, madame la ministre, pour rester vigilants afin que cette première étape ne soit pas la dernière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
 

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Jacqueline
Fraysse

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