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Education : lutte contre l’absentéisme scolaire

Madame la présidente, mes chers collègues, cette proposition de loi entend couper les allocations familiales versées aux parents dont un enfant serait en situation d’absentéisme.
Une telle mesure constitue un sujet récurrent de communication politique pour la droite. Dès 1959, le principe d’une contravention susceptible d’entraîner la suspension du versement des prestations familiales était institué. En 2006, la majorité réintégrait ce système par l’entremise de Jean-Louis Borloo. Depuis, le dispositif du contrat de responsabilité parentale n’a quasiment pas été utilisé, sauf dans le département de l’auteur de la présente proposition de loi.
On le voit, la suspension des allocations familiales aux parents d’enfants absentéistes est un marqueur politique qui n’a rien de nouveau. Ce dispositif démagogique, de pur affichage, a fait la démonstration de son inefficacité.
Il est vrai que l’efficacité n’est pas votre priorité et cette proposition de loi est surtout un coup de communication. Devant l’échec total de votre politique économique et sociale, vous tentez de réorienter le débat vers vos sujets de prédilection : la sécurité et le contrôle social. Avec ce genre d’initiative, loin d’apporter des réponses aux problèmes sociaux, vous creusez le lit de l’extrême droite.
Pourtant, en 2003, après maintes vicissitudes, un dispositif similaire était abrogé par la majorité UMP au pouvoir. Voici un extrait de l’exposé des motifs de ce qui est devenu la loi n° 2004-l du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, votée alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur : « Le non-respect de l’obligation scolaire est un phénomène complexe. Il est très souvent signe d’un mal-être de l’élève, de souffrances qui peuvent être d’origine scolaire, personnelle ou familiale. Le droit en vigueur en matière d’obligation scolaire se caractérise par un dispositif de suspension et de suppression des prestations familiales, dont l’application s’est révélée inefficace et inéquitable. Parce que l’assiduité scolaire constitue un devoir pour les enfants, une obligation pour les parents et une chance pour les familles, le Gouvernement propose d’abroger le dispositif administratif de suppression ou suspension des prestations familiales. »
L’UMP ne craint pas la contradiction ! À force de moulinets sécuritaires, le chef de l’État oblige ses thuriféraires à chercher dans les cartons pour retrouver des dispositions que la droite elle-même considérait comme injustes et inefficaces. L’omniprésence médiatique de Nicolas Sarkozy et une quantité impressionnante d’annonces, de projets de loi et de discours conduisent à la contradiction et aux répétitions obsessionnelles.
Qu’on en juge : le Président de la République a fait l’annonce qui nous vaut l’examen de ce projet de loi le 25 mai 2010, annonce déjà formulée dans le programme du candidat Sarkozy en 2007, réitérée en septembre 2009 puis en mars 2010. C’est donc la quatrième fois qu’il tente de remobiliser son électorat autour d’un mécanisme qui existe déjà dans les textes. En effet, la loi du 31 mars 2006 instaure un "contrat de responsabilité parentale" à l’initiative du président du conseil général, du maire, du chef d’établissement ou de l’inspecteur d’académie.
Cette proposition de loi repose sur un principe dangereux et contre-productif. Elle agite encore une fois le spectre de la sanction, de la culpabilisation et de la répression. Elle montre l’incapacité radicale de la droite à comprendre les enjeux éducatifs et sociaux.
Des jeunes traînent dans la rue ? L’UMP vote un couvre-feu. Des jeunes s’absentent des cours ? L’UMP vote la suppression des allocations. Des jeunes téléchargent illégalement sur internet ? L’UMP vote la suspension de l’accès à internet. Des femmes portent le voile intégral ? La droite s’apprête à voter son interdiction. Quelle variété dans votre approche des questions de société et quelle subtilité dans vos réponses !
La vérité, c’est que la suppression des allocations familiales ne permettra en rien de responsabiliser les parents. Vous osez parler de cercles vertueux alors qu’elle ne fera que mettre en place des cercles vicieux où les parents en difficulté pourront de moins en moins assurer à leurs enfants des conditions de vie correctes leur permettant d’être intégrés dans la vie scolaire.
Ce texte fait fausse route, et ce sur trois points principaux.
Premièrement, les difficultés des parents à se faire obéir ne sont pas un délit. Instaurer des sanctions pour les parents dépassés par leur enfant est contraire à toute logique.
Deuxièmement, la présence de l’élève en classe ne s’achète pas à coup de primes, d’allocations familiales ou de places de matches de foot. Le mécanisme proposé prévoit pourtant de rétablir le versement des allocations si l’élève revient, ce qui équivaut très concrètement à payer le retour de l’élève en classe.
Troisièmement, l’autorité parentale ne se monnaye pas. Vous prétendez, monsieur le rapporteur, que ce texte « donne une chance aux parents de se remettre en position d’autorité face à leurs enfants », comme si la suspension des allocations puis leur éventuel rétablissement allaient apprendre aux parents l’autorité. Ce n’est pas en punissant l’absence d’autorité des parents que celle-ci se rétablira d’un coup de baguette magique.
Cette mesure populiste, on le voit, repose sur des présupposés qu’on pourrait qualifier de grotesques et ne pourra qu’avoir d’innombrables effets pervers.
L’UMP est habituellement friande de comparaisons internationales, qui lui permettent de justifier la retraite à soixante-sept ans ou le démantèlement des 35 heures. Quelles sont donc les politiques menées à l’étranger en matière d’absentéisme scolaire ? Un dispositif de suspension des allocations et même de contraventions, voire de peines de prison pour les parents d’enfants absentéistes, existe en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Quels en sont les résultats ? En Grande-Bretagne, entre 2002 et 2007, malgré la suspension des allocations, le taux d’absentéisme est passé de 0,7 % à 1 %. Entre 2003 et 2006, pourtant, soixante et onze condamnations à des peines de prison avaient été prononcées à l’encontre des parents concernés. Quelle efficacité pour des mesures de prétendue responsabilisation des parents !
Cette proposition de loi, outre qu’elle constitue un outil de communication politique reposant sur un principe contre-productif, sera, comme les précédentes, totalement inapplicable.
Entrons dans le détail du dispositif proposé.
Le chef d’établissement signale l’élève absentéiste à l’inspecteur d’académie. Celui-ci adresse un avertissement à la famille. Si les absences sont réitérées, il saisit le directeur de la CAF en vue de suspendre le versement des prestations familiales. Entre-temps, le président du conseil général peut proposer la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale à la famille.
Les trois acteurs principaux dans le processus de sanction sont donc l’inspecteur d’académie, le directeur de la CAF et le président du conseil général. Or les trois parties en présence ont toutes fait part de leur opposition au dispositif.
Jean Louis Deroussen, président de la Caisse nationale d’allocations familiales, a lui-même montré l’inanité de cette proposition de loi : "S’il y a un désintérêt de l’école, il faut analyser la situation avant la sanction. Et la démarche d’accompagnement est à privilégier : les caisses sont là pour aider les parents, les allocations ne sont pas des récompenses".
Les inspecteurs d’académie, eux, par la voix du syndicat des inspecteurs d’académie, le SIA, mettent en avant le fait que la mesure existe déjà et qu’elle n’a jamais été appliquée. Je cite son nouveau président : "Depuis la rentrée 2006-2007, nous n’avons relevé aucun cas de suspension des. allocations dans le cadre d’un contrat de responsabilité parentale".
Restent les présidents des conseils généraux. Manque de chance, l’Association des départements de France a également fait savoir son opposition au dispositif, affirmant par ailleurs que « les mesures de protection de l’enfance – jusqu’à dix-huit ans – et les politiques d’accompagnement des familles en difficulté ont prouvé toute leur efficacité. »
Dès lors que les trois acteurs principaux du système se déclarent opposés au mécanisme, nous sommes en mesure d’affirmer que ce texte ne s’appliquera jamais, fort heureusement.
Les parents d’élèves ne sont pas en reste. La FCPE a rappelé avec bon sens : « Le Gouvernement ne réglera pas l’absentéisme scolaire en supprimant les allocations familiales ».
Face à ce texte, notre indignation n’a d’égale que notre colère. En effet pour beaucoup de familles, le versement de ces allocations est vital. Faut-il que vous soyez totalement étrangers à la réalité des quartiers populaires, au quotidien de ces familles touchées de plein fouet par la crise, pour penser un tel dispositif ? Prompts à distribuer des milliards aux banquiers fauteurs de crise, vous faites preuve d’une brutale intransigeance quand il s’agit des plus pauvres.
Les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre ce texte obtus et inapplicable, qui repose sur des principes répressifs et iniques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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