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Education : première année commune aux études de santé

 
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le but affiché par cette proposition de loi est louable eu égard au gâchis que représentent les 80 % d’étudiants recalés à l’issue de la première année de médecine, les moyens, comme d’habitude, ne sont pas au rendez-vous, ce qui explique le caractère très limité des propositions formulées par ce texte.
La première année constitue effectivement un triple gâchis : un gâchis humain pour des jeunes qui ont travaillé dur pendant plus d’un an pour n’obtenir aucun diplôme au bout du compte, un gâchis financier pour l’État qui les forme et un gâchis pour la santé publique en France, alors que s’étendent les zones géographiques où l’on manque de médecins, et plus généralement de personnels soignants.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui en deuxième lecture entend surmonter ces difficultés en créant une première année commune aux étudiants de médecine, pharmacie, dentaire et maïeutique, ce qui devrait permettre par ailleurs de développer une culture commune entre ces futurs acteurs de santé.
Autant d’objectifs que nous pouvons, bien sûr, partager, mais dont la réalisation concrète a appelé de notre part plusieurs remarques, formulées lors de la première lecture de ce texte, en décembre dernier. Où en sommes-nous aujourd’hui, alors que cette proposition de loi vient en deuxième lecture à l’Assemblée ? Autant vous dire que nous sommes déçus. À part le report d’un an de la date de mise en application de cette réforme et la possibilité pour les universités de répartir le nombre d’étudiants admis dans chaque filière à l’issue de la première année entre plusieurs unités de formation et de recherche, rien n’a vraiment bougé.
Heureusement, madame la ministre, avec l’aide de nos collègues sénateurs, vous avez pris conscience de l’impossibilité de tenir les délais fixés. Vous avez réalisé que, depuis le 20 mars, les élèves de terminale ont déjà rempli leur dossier de pré-inscription pour l’année prochaine, sans parler des aménagements nécessaires pour l’accueil et l’enseignement concret de tous ces étudiants. Je m’en réjouis, et ce d’autant plus que, lors du premier examen du texte, vous étiez arc-boutée sur l’idée que cette réforme, déjà évoquée dans un rapport de 2003, devait entrer en vigueur le plus tôt possible, dès la rentrée prochaine, et vous aviez rejeté, de façon péremptoire, en invoquant un prétendu consensus des présidents d’universités, notre amendement qui demandait un simple report d’un an.
Concernant la volonté louable de développer une culture commune entre les différentes professions médicales, il est regrettable que cette L 1 santé ne regroupe que quatre professions. Comme l’ont dit plusieurs de mes collègues, l’absence, notamment, des étudiants masseurs-kinésithérapeutes, dont on sait que 70 % d’entre eux ont préalablement suivi une première année de médecine, est inexplicable. Vous avez précisé que des possibilités de convention seront mises en place, mais le compte n’y est pas.
On peut s’étonner également que les formations paramédicales, et notamment les infirmiers, n’y figurent pas, alors même qu’il en manque cruellement et que leur intégration à cette première année commune aurait permis de revaloriser leur profession en l’intégrant dans le système LMD, demande récurrente de leur part.
Intégrer ces professions non soumises à un numerus clausus aurait permis, pour le coup, de lutter efficacement contre l’échec à l’issue de cette L1 santé en offrant une porte de sortie supplémentaire aux étudiants qui ont échoué aux autres concours.
Concernant la réorientation de certains étudiants en difficulté dès la fin du premier semestre, c’est-à-dire à peine quatre mois après le début des cours, nous avions déjà émis des réserves. Vous avez apporté quelques précisions, mais, pour l’essentiel, nous restons dans le flou. Cette réorientation sera-t-elle proposée ou imposée ? Les autres filières sont-elles prêtes à accueillir ces étudiants ? Si oui, lesquelles, selon quelle procédure et dans quelles conditions ? Ces étudiants seront, en effet, évidemment accueillis en cours d’année.
Par ailleurs, les étudiants réorientés devront-ils s’acquitter de nouveaux frais d’inscription dans la filière qui les accueille en cours d’année ?
Du fait de l’augmentation prévue des frais d’inscription, conséquence de la loi LRU, la question n’est pas anodine. Ce sont autant de questions qui restent aujourd’hui sans réponse.
J’avais également émis quelques doutes sur les passerelles permettant d’intégrer les études de médecine en cours de cursus. Vous introduisez cette disposition au prétexte d’ouvrir ces études à des vocations tardives, à des profils plus humanistes, moins scientifiques, et, même, prétendez-vous, à des jeunes issus de milieux défavorisés qui, au sortir du bac, ne se sentaient pas les épaules assez solides pour entamer des études de médecine. C’est, bien sûr, une préoccupation juste et que, là encore, nous pouvons partager. Mais la réponse traite vraiment le problème par le petit bout de la lorgnette, si je puis me permettre cette expression. La première année de médecine est conçue d’abord pour éliminer les étudiants, telle est la vraie question. C’est la raison pour laquelle les matières scientifiques, notamment la physique, ont une telle importance et c’est également pourquoi les sciences humaines, la philosophie, la littérature et l’éthique n’y ont pas leur place.
Mesurons bien qu’il s’agit non pas de sélectionner des vocations, mais d’écrémer, d’écarter des étudiants jugés trop nombreux. Dans ce domaine aussi, la démarche comptable fait décidément beaucoup de ravages !
J’ajoute que le dispositif proposé est profondément injuste, puisqu’il permet à quelques heureux élus – élus par qui, sur quels critères ? Là aussi la question demeure entière – de contourner l’obstacle des matières scientifiques que tant d’autres étudiants n’auront pas pu surmonter en dépit de beaucoup de travail et le plus souvent un haut niveau, puisque nombre d’entre eux ne sont pas admis bien qu’ayant obtenu des notes très au-dessus de la moyenne. Il serait pourtant simple de corriger cette difficulté en ajoutant d’autres disciplines et en modifiant les coefficients appliqués aux matières scientifiques. Mais vous vous y refusez et vous introduisez une injustice en tentant de nous faire croire que l’on humanisera le corps médical avec l’entrée d’une poignée d’étudiants ayant ce profil.
Vous prétendez, de plus, accompagner les étudiants au cours de leur cursus, mais rien n’est précisé dans ce texte sur l’organisation du tutorat qui permettrait, pourtant, de lutter contre l’échec et d’ouvrir aux catégories populaires des professions médicales accueillant aujourd’hui essentiellement des jeunes issus de milieux favorisés. Vous le savez, en l’absence d’un tutorat véritablement organisé et disposant de moyens suffisants, les étudiants qui réussissent sont avant tout ceux qui peuvent se payer des cours privés.
Mettez-vous au courant ! C’est profondément vrai et ça l’est davantage d’ailleurs qu’à une autre époque, mais je n’insiste pas !
La question des moyens alloués à cette première année commune constitue également un des principaux motifs de réticence des étudiants en pharmacie, dont la majorité des cours sont dispensés sous forme d’études et de travaux dirigés en petits groupes et qui craignent, dans cette nouvelle configuration, de se retrouver assis sur les marches d’amphis bondés.
L’objectif de cette réforme – diminuer le taux d’échec en première année – se heurte de façon imparable au mur du numerus clausus. Si celui-ci n’évolue pas ou évolue peu et que le nombre d’étudiants augmente, ce qui est prévisible, cette première année restera une année de sélection dont le taux d’échec s’accentuera, c’est inévitable. Il serait temps de s’interroger sur la pertinence de ce numerus clausus attaqué de toute part, notamment du fait de l’obligation de reconnaissance des diplômes des autres pays européens. Mais, surtout, le numerus clausus ne permet pas de faire face aux besoins. Il est la première cause responsable de la pénurie de médecins. La liberté d’installation restant totale, il ne permet pas, même régionalisé, de réguler géographiquement la densité médicale. C’est le monde à l’envers ! Pendant que l’on écarte sans appel des centaines de jeunes de notre pays motivés pour suivre des études de médecine, on demande à des médecins étrangers de venir en France ! Pour avoir une chance de devenir médecins, nos étudiants devront-ils aller étudier à Bucarest où la médecine est enseignée en français ?
Mesurez-vous, par ailleurs, que cette hypersélection écarte de facto les jeunes issus de milieux modestes, ce qui, outre l’injustice à leur égard, contribue à la pénurie de médecins dans certains quartiers et certaines régions ? En effet, la mixité sociale est un facteur d’équilibre.
Il s’agit donc, une fois de plus, d’intentions louables, de quelques propositions intéressantes, mais très incomplètes assorties de flou et d’importantes décisions laissées à la voie réglementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jacqueline
Fraysse

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