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Egalité des territoires

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la proposition de résolution pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires issue du groupe socialiste est un chef-d’œuvre en trompe-l’œil.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Parfaitement !
M. Jean-Jacques Candelier. Je parlerai de vous ensuite. (Sourires.)
Qu’on en juge : on lit dans l’exposé des motifs que « les approches managériales et comptables qui ont prévalu sous les précédents gouvernements ont exacerbé les situations de décrochage des territoires les plus meurtris ». Nous partageons le constat, mais en l’étendant à la politique menée actuellement ! En effet, le Gouvernement a maintenu et accentué de telles approches managériales et comptables. D’une part, la RGPP a été transformée en MAP – Modernisation de l’action publique –, qui poursuit exactement les mêmes objectifs de suppression de moyens financiers et humains des administrations.
D’autre part, une saignée budgétaire sans précédent est imposée aux collectivités territoriales. On me permettra de citer un article récemment publié dans Le Monde : « La RGPP mise en œuvre sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy puis la modernisation de l’action publique lancée par l’actuel gouvernement atteignent leurs limites, tant en termes de rendement que de méthodologie. "On a rogné sur tout ce qu’on pouvait ou presque", reconnaît-on à Matignon. "Plus le temps passe, plus la dette publique augmente, plus on est obligés d’afficher des réductions de dépenses publiques importantes." »
Si Matignon admet mener une politique identique à celle de la droite, pourquoi prétendre aujourd’hui dans une proposition de résolution avoir rompu avec la logique ultralibérale ? Je cite à nouveau l’article : « La remise à plat de la fiscalité annoncée par Jean-Marc Ayrault augure d’un serrage de vis sans précédent des collectivités territoriales, bien au-delà de la simple diminution des dotations de fonctionnement de 1,5 milliard d’euros par an pendant trois ans ». Nous savons que la saignée des dépenses publiques atteindra soixante milliards d’euros à la fin du quinquennat.
Ainsi, en matière d’approche comptable exacerbant « les situations de décrochage des territoires les plus meurtris », le Gouvernement obtient une excellente note !
La proposition de résolution s’en prend ensuite à « la dérive des politiques publiques menées depuis vingt ans ». De quoi s’agit-il ? « Une doctrine libérale a été mise en œuvre, qui se caractérise par trois traits principaux : la concentration des financements sur quelques pôles en présupposant leur capacité d’entraînement pour le reste du territoire, la compétition entre les territoires comme moteur de la compétitivité nationale et le retrait de l’État des enjeux de solidarité territoriale ».
Il y a là une description exacte du funeste projet de loi d’affirmation des métropoles que les députés du Front de gauche ont encore combattu la semaine dernière et qui n’est rien d’autre qu’une mise en concurrence des territoires accentuant la cassure entre zones urbaines et rurales, aggravant les disparités territoriales et marquant l’avènement d’une République à la carte, illisible et inégalitaire. L’évaporation des communes et des départements dans l’intercommunalité forcée et les métropoles participe de ce funeste dessein qui provoquera l’assèchement de nos territoires, l’étouffement de la démocratie locale et une re-centralisation brutale et autoritaire du pouvoir de décision.
Dans le projet de loi sur les métropoles, rien n’est prévu pour réduire les fractures terribles qui se creusent dans les grandes concentrations urbaines, rien n’est prévu pour désenclaver les territoires sinistrés, rien pour casser les ghettos, rien pour dynamiser les zones rurales, rien pour préserver tel quartier ou tel bord de mer ! Bref, tous les objectifs que vous prétendez, par le biais de la présente résolution, assigner à une politique des territoires, le Gouvernement et la majorité les oublient dès qu’il s’agit de voter les budgets et la loi ! La droite, du reste, n’a aucune leçon à donner en la matière. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) En effet, elle pratiquait exactement la même politique lorsqu’elle était aux affaires, soit tout de même pendant dix ans.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Venant d’un communiste…
M. Yannick Favennec. Cela ne nous fera pas changer d’avis !
M. Jean-Jacques Candelier. Je poursuis la lecture du texte qui nous réunit aujourd’hui. Il est écrit que « l’État a encouragé la mise en compétition des territoires entre eux avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui, c’est-à-dire une concentration des moyens financiers pour ceux d’entre eux disposant déjà d’une forte ingénierie de projet et de capacités de financement ». Faut-il rappeler que l’article 61 de la loi ALUR, examinée ce jour en commission des affaires économiques en vue de sa seconde lecture, retire le bénéfice de l’ingénierie juridique et technique des services déconcentrés de l’État à toutes les intercommunalités qui comptent entre 10 000 et 20 000 habitants ?
Elles devront désormais financer sur leurs fonds propres tout un pan de leur activité urbanistique et administrative. Il s’agit d’un désengagement en bonne et due forme, comme à la belle époque du sarkozysme. L’objectif de « développement de l’ingénierie territoriale », inscrit dans l’article unique de la présente résolution, est donc déjà foulé aux pieds par un texte de loi, bien réel lui.
Poursuivons. On lit ensuite que « la géographie prioritaire doit être resserrée pour éviter tout saupoudrage ». Il s’agit d’une allusion au projet de loi pour la ville et la cohésion urbaine présenté par M. le ministre François Lamy. Ce qui n’est pas précisé, c’est que la refonte de la géographie prioritaire a malheureusement lieu dans le cadre de l’austérité. La réforme se traduit en effet par la sortie de très nombreux quartiers des dispositifs de politique de la ville : il y aura 1 300 quartiers prioritaires au lieu des 2 500 contrats urbains de cohésion sociale actuels. Ainsi, le nombre de quartiers bénéficiaires des dispositifs d’aide et de financement est divisé par deux ! La liste des quartiers sortants n’a pas été communiquée lors des débats, même si certains élus socialistes semblent en avoir déjà connaissance.
M. Yannick Favennec. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Jacques Candelier. Le projet de loi sur la ville s’appuie donc sur le droit commun, pourtant malmené en période d’austérité budgétaire. En 2012 déjà, le rapport de la Cour des comptes dénonçait « une faible mobilisation du droit commun ». La baisse historique des dépenses publiques de dix milliards d’euros prévue par le projet de loi de finances fait de la mise à contribution du droit commun une coquille vide. S’il ne faut retenir qu’un exemple, les policiers de Seine-Saint-Denis qui partiront à la fin de l’année ne seront pas tous remplacés, selon Le Parisien. C’est inadmissible au regard de la situation du département ! Cela préfigure la métropole du Grand Paris.
En effet, en Île-de-France, la police est d’ores et déjà métropolisée. Il en résulte que Paris a gagné cette année 300 policiers alors que la Seine-Saint-Denis en a perdu 70. Par ailleurs, j’attends toujours une réponse au sujet des renforts en effectifs de policiers pour le département du Nord, madame la ministre. Est-ce bien la « promotion de l’égalité des territoires » que le groupe socialiste appelle de ses vœux ? Si le budget du ministère de l’intérieur, pourtant épargné par les coupes budgétaires, comporte de telles inégalités, qu’en sera-t-il des autres services publics ? Par ailleurs, tous les élus connaissent l’amoindrissement des services dans les villes et les quartiers, sous forme de fermeture de CAF, de centres de Sécurité sociale ou de bureaux de poste.
Rien de tout cela n’empêche la proposition de résolution d’afficher en dépit du bon sens le vœu pieux selon lequel « l’État et les grands opérateurs s’engageront à y maintenir les services publics de base ». Décidément, les principes énumérés dans la résolution sont en contradiction avec la politique territoriale. On perçoit bien la stratégie, qui consiste à mettre en exergue des résolutions non contraignantes et sans valeur juridique afin de masquer les renoncements accumulés par les projets de lois qui se succèdent à une cadence infernale et donner le change. Les députés du Front de gauche ne sont pas dupes d’un tel double langage qui prive la proposition de résolution de toute portée. Nous voulons réellement l’égalité des territoires, c’est pourquoi nous nous abstiendrons de voter le texte.

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