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Egalité et citoyenneté

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté. Ce texte, qui prolonge les mesures issues du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, porte de nobles ambitions.
À la suite des attentats de 2015, cette réforme se voulait la traduction de la « République en actes » pour répondre aux fractures de la société française. Elle se voulait une réponse aux attentes de nos concitoyens en matière de démocratie, de mixité sociale et d’égalité.
Ces objectifs sont partiellement atteints – partiellement seulement. Malgré des avancées et les améliorations apportées par le travail de la commission spéciale, il s’agit d’un projet de loi à budget constant, cela expliquant sans doute un certain manque d’ambition.
S’agissant du premier volet, les réponses apportées par le projet de loi apparaissent en effet globalement en décalage avec les attentes exprimées par la jeunesse et les enjeux de développement de la vie associative.
Nous le savons tous, les préoccupations des jeunes sont claires : il s’agit en premier lieu d’accéder à un emploi stable car ils estiment qu’ils n’ont pas à subir des conditions de travail plus précaires que celles de leurs aînés. Il s’agit également d’accéder plus facilement au logement, aux soins et à la culture. Ils aspirent enfin à s’impliquer plus fortement dans le processus démocratique. Sur tous ces enjeux, le projet de loi reste au milieu du gué.
Nous saluons les mesures en faveur de l’engagement bénévole, avec la création d’un statut pour les étudiants bénévoles et d’un congé engagement pour les salariés. Nous saluons aussi les mesures renforçant la place des jeunes dans les instances politiques territoriales.
Cependant, la citoyenneté est avant tout envisagée à travers la consécration de la réserve civique et le déploiement du service civique, relayant au second plan les autres formes d’engagement comme le volontariat international, l’engament politique ou syndical ; vous y reviendrez sans doute, monsieur le ministre.
Il s’agit là de notre principal point d’inquiétude : ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire en commission, la généralisation du service civique, recherchée à travers l’élargissement des structures d’accueil et la pratique de l’intermédiation, risque de constituer une nouvelle trappe de précarité pour les jeunes, alors que ceux-ci souhaitent qu’on facilite leur insertion durable sur le marché du travail.
Quant à l’encadrement actuel du dispositif, il nous paraît trop faible. Bien que de nombreux rapports aient exposé les risques d’emploi déguisé, l’Agence ne dispose toujours pas des moyens humains et financiers suffisants pour opérer de véritables contrôles. Dans ce contexte, on peut craindre que les abus se multiplient. Aussi proposons-nous des amendements pour mieux encadrer ce dispositif.
L’autre point d’inquiétude concerne le transfert aux régions des compétences en matière de coordination des politiques de jeunesse. Cette évolution porte selon nous un coup fatal à la spécificité française d’une politique de jeunesse centralisée garantissant l’égalité républicaine.
Elle laisse également de côté la nécessité d’une politique d’éducation populaire forte, comme en témoigne l’article 13 qui enlève le peu de compétences restant aux structures participant à la mise en œuvre d’une politique d’État en la matière – je pense ici à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
Nous attendons enfin que l’extension du dispositif « meilleurs bacheliers », qui remet en cause le principe du libre accès à l’enseignement supérieur, soit supprimé, comme le rapporteur général s’y est engagé en commission.
Concernant à présent le volet « logement », votre texte, madame la ministre, se veut porteur de mesures structurantes visant à la fois à favoriser la mixité sociale et à lutter contre les phénomènes de ségrégation sociale et territoriale.
Cet enjeu est évidemment fondamental lorsque l’on a l’ambition de dessiner « une France plus fraternelle », comme vous dites. Les situations de mal-logement, voire de non-logement, ont en effet de lourdes incidences sur la santé, sur l’emploi, sur l’insertion et sur la réussite scolaire de millions de nos concitoyens et de leurs enfants. Permettez-moi, sur ce point, de saluer l’action des associations qui agissent au quotidien aux côtés des plus démunis pour faire valoir le droit au logement.
Certes, les gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts depuis la loi SRU du 13 décembre 2000 pour tenter de réformer la politique du logement. Force est toutefois de constater que l’empilement des mesures législatives et réglementaires n’a pas permis de juguler une crise du logement qui tient fondamentalement au manque de logements et à la cherté des coûts qui s’y rattachent.
Le vingt et unième rapport de la Fondation Abbé Pierre, publié en 2016, dresse un constat alarmant de l’aggravation de la situation. Près de 900 000 personnes sont privées de domicile personnel ; leur nombre a doublé entre 2001 et 2012. Les personnes vivant dans des conditions difficiles, par manque de confort ou par surpeuplement, seraient au nombre de 2,9 millions.
Entre 2006 et 2013, le nombre de personnes contraintes à loger chez des tiers a augmenté de 20 %, tandis que le nombre de personnes en situation de surpeuplement a augmenté de 17 %. Quant à celles contraintes de se priver de chauffage à cause de son coût, leur nombre a augmenté de 44 %.
Votre projet de loi intervient donc dans un contexte que nous savons tous très difficile. Il se propose, pour l’essentiel, de compléter les dispositifs existants par des mesures dont certaines sont bienvenues, les autres étant selon nous contestables.
Vouloir lutter contre les phénomènes de ségrégation territoriale est évidemment un objectif que nous faisons nôtre depuis des années. Nous ne pouvons qu’accueillir favorablement les mesures que vous nous proposez en faveur d’une meilleure répartition des logements, comme celles permettant de lutter contre les stratégies d’évitement développées par certaines communes pour ne pas accueillir de ménages à faibles revenus.
Ainsi, monsieur Berrios, renforcer les dispositions de la loi SRU, en faisant passer l’objectif de construction de logements sociaux de 20 à 25 % et en augmentant les amendes applicables en cas de manquement à cette obligation va dans le bon sens.
Il en va de même du renforcement des prérogatives du préfet, afin que celui-ci puisse imposer des programmes de logements sociaux aux communes carencées.
Nous saluons aussi la mesure visant à réserver 25 % des attributions annuelles situées en dehors des quartiers défavorisés au quart des demandeurs les plus modestes, même si nous jugeons le critère des quartiers prioritaires de la politique de la ville trop restrictif pour couvrir la réalité des situations de pauvreté.
Nous sommes beaucoup plus réservés, vous le savez, sur le renforcement du supplément de loyer de solidarité, ainsi que sur le durcissement de la perte du droit au maintien dans les lieux, et sur la possibilité pour les bailleurs sociaux de moduler les loyers dans une logique proche de celle du marché. À nos yeux, ces mesures portent atteinte à des éléments essentiels du modèle HLM français.
Au contraire, nous plaidons depuis des années en faveur du renforcement de la mixité sociale de l’habitat, du relèvement des plafonds de ressources, et, symétriquement, pour l’encadrement des loyers dans le parc privé. Plus généralement, il nous semble important que le logement sorte du champ des lois du marché et de la spéculation.
Nous formulerons au cours de nos débats des propositions en ce sens. Nous reviendrons également sur les questions relatives à la résorption de l’habitat insalubre ou au renforcement de la démocratie dans l’habitat.
À ce stade, madame la ministre, nous ne pouvons cependant nous défendre du sentiment que les mesures que vous proposez en matière de logement, à l’instar des autres mesures du texte, ne sont pas assorties de moyens suffisants pour concilier les deux objectifs qui sont à nos yeux prioritaires pour faire vivre l’égalité républicaine : l’égal accès de tous au logement et une authentique mixité sociale.
Enfin, s’agissant du troisième volet, son titre, « Pour l’égalité réelle », paraît bien ambitieux au regard de son contenu. Nous ne nions cependant pas les avancées qu’il contient en matière de lutte contre les discriminations. La mise en place de circonstances aggravantes pour les actes de racisme et de sexisme, est salutaire, comme le sont les mesures en faveur de la diversité d’accès à la fonction publique.
Ce texte occulte toutefois un sujet majeur, qui constitue selon nous la première, la toute première des mesures en faveur de davantage d’égalité : il s’agit du droit de vote des étrangers. Sur ce volet, nous proposerons également des amendements, pour renforcer l’objectif de lutte contre les discriminations – la suppression du mot « race » de notre législation, la mise en place du récépissé de contrôle d’identité ou encore des mesures en faveur de l’autonomie des femmes étrangères.
C’est donc dans un état d’esprit constructif mais vigilant que nous abordons ce débat. Nous serons évidemment attentifs aux évolutions d’un texte qui, en l’état, reste sur certains enjeux, au milieu du gué.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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