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Election des représentants au Parlement européen

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 1979, année de la première élection européenne, les scrutins successifs ont tous été marqués par une faible participation. À cinq reprises, moins d’un électeur sur deux est entré dans l’isoloir et, une fois seulement, il y a presque quarante ans, la barre des 60 % de participation a été atteinte. Depuis 1999, l’étiage de participation se situe autour de 40 %. Rien qu’en raison de cette léthargie participative, il est utile de nous interroger sur le mode de scrutin et l’organisation de cette élection, dont un nouvel épisode est fixé à mai 2019.
Le projet de loi qui nous est proposé a pour colonne vertébrale le rétablissement de la circonscription unique qui a existé jusqu’en 1999 et donc l’abandon du découpage en huit grandes circonscriptions instauré en 2003. Notre groupe est favorable à cette orientation. En effet, sans constituer une recette miraculeuse, susceptible à elle seule de stimuler la participation électorale, voire de gommer le désamour à l’égard d’une certaine Europe, nous pensons que cette modification va dans le bon sens : elle aura le mérite de rendre les enjeux plus lisibles, mais aussi plus politiques et plus compréhensibles, en nous débarrassant d’un découpage en circonscriptions qui ne correspond pas à grand-chose, pas même à la délimitation des régions.
Si nous sommes donc d’accord avec l’épine dorsale du texte, nous sommes davantage contrariés par deux des vertèbres qui la constituent.
Notre premier désaccord concerne l’article 2, à savoir les règles d’organisation de la campagne officielle à la radio et à la télévision. Comme je l’ai indiqué en commission, nous souhaitons un temps de parole équilibré, qui tienne compte de l’émergence de forces politiques nouvelles dans notre pays et dans notre assemblée, afin qu’elles soient intégrées à leur juste valeur et à leur juste niveau dans le débat électoral. Or le mode de calcul proposé aboutirait, au contraire, à un déséquilibre patent : il donnerait un temps de parole disproportionné à la liste de la majorité présidentielle. Sur les deux heures réservées aux partis représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat, l’expression des communistes serait de trois minutes et celle de La France Insoumise de deux minutes, contre cinquante-cinq minutes pour La République en marche seule.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça va être soûlant !
M. Stéphane Peu. Un peu, oui !
Je vous fais grâce des secondes, qui sont autant de miettes inconsistantes dans la balance du pluralisme politique. Celle-ci est, convenez-en, tellement déséquilibrée qu’elle constitue un étouffoir des forces politiques qui contestent la philosophie libérale qui préside à l’Union européenne. Car, oui, nous pouvons être des Européens convaincus tout en étant opposés aux orientations de la Banque centrale européenne ou à celles, libérales, de la Commission de Bruxelles.
En ce qui concerne les listes constituées par des partis ou des mouvements non représentés par un groupe parlementaire, le résultat n’est pas plus brillant : ceux-ci bénéficieraient – si l’on peut dire – de deux minutes de temps de parole. Là encore, l’expression pluraliste est vue au rabais dans ce projet de loi.
Reste l’heure dont disposera le Conseil supérieur de l’audiovisuel à titre de « mécanisme de correction », comme le précise l’étude d’impact. Or celui-ci ne donnera pas non plus les garanties d’un pluralisme nécessaire, car le CSA devra arbitrer le partage de ces soixante minutes en fonction de la représentativité et de la contribution à l’animation du débat. Là non plus, cette estimation au doigt mouillé n’est pas de nature à favoriser une campagne médiatique réellement pluraliste.
J’ajoute, pour compléter un tableau qui nous fait craindre une entrave au débat démocratique, que le texte qui nous est proposé traite uniquement de la courte période de la campagne officielle : il n’aborde en aucune manière celle qui précède et qui dure des mois ; il ne préconise rien sur le sujet.
Notre second désaccord concerne le seuil d’accès à la répartition des sièges. Le projet de loi que vous défendez, madame la ministre, le fixe à 5 %. Vous voulez maintenir un seuil aussi élevé pour limiter ce que vous appelez « les effets du scrutin proportionnel ». Considérant, pour notre part, que la juste représentation des offres électorales constitue non pas un désordre mais, au contraire, une avancée démocratique nécessaire, nous sommes favorables à ce qu’il n’y ait pas de seuil de représentativité, d’autant que, compte tenu du périmètre de cette élection à la proportionnelle, des blocages à la formation d’une majorité ne risquent guère de survenir.
Nous estimons possible et souhaitable la suppression de ce seuil, afin d’obtenir une meilleure représentativité en France et dans d’autres pays européens. Cependant, s’il devait tout de même y en avoir un, nous proposons qu’il soit le même que celui qui est retenu pour le remboursement des dépenses électorales, à savoir 3 %. Je rappelle que le seuil de représentativité en vigueur en France est l’un des plus élevés d’Europe et que certaines nations n’en ont tout simplement pas instauré. Ainsi en est-il de l’Espagne, de la Belgique et de l’Allemagne, sachant que la fixation d’un seuil dans ce dernier pays serait tout bonnement inconstitutionnelle.
En commission, j’ai perçu une certaine ouverture sur ce sujet de votre part, madame la ministre, monsieur le rapporteur, ainsi que de la part des orateurs de certains groupes, notamment du groupe majoritaire. Si une telle disposition était adoptée, le texte évoluerait dans le bon sens et gagnerait pour le moins en cohérence : au nom de quelle logique voudrait-on laisser à 5 % le seuil de représentativité alors que le seuil de remboursement des dépenses électorales est fixé, lui, à 3 % ?
M. Pierre-Henri Dumont. C’est bien pour cela qu’il faudrait augmenter le seuil de remboursement !
M. Stéphane Peu. Mes chers collègues, le projet de loi se conclut par un article relatif à l’élection des représentants au Parlement européen sur des listes transnationales au sein d’une circonscription européenne. Or celui-ci n’est plus d’actualité depuis mercredi dernier car, comme on pouvait s’y attendre eu égard à sa composition, le Parlement européen a rejeté à une forte majorité la création de telles listes. Je souhaite tout de même m’arrêter sur le sujet très brièvement. En soi, dans son principe, l’idée n’est pas ubuesque, dans la mesure où ces listes cohabiteraient avec les listes nationales sans les remplacer. Elle mérite d’être débattue si l’on considère la réalité de l’interdépendance entre les différentes sociétés de notre continent et les sujets d’intérêt commun aux peuples européens. Gardons néanmoins à l’esprit les propos de Jacques Delors, qui définissait l’Europe comme une « fédération d’États-nations ».
En tout état de cause, ce débat ne doit pas être mené au loin, à Bruxelles, dans une assemblée qui souffre d’un grave déficit de légitimité – la critique est émise à juste titre –, sans qu’aucun Européen n’en soit informé. Il doit, au contraire, avoir lieu au plus près, au niveau des peuples de notre continent. La campagne des élections européennes de mai 2019 doit permettre d’aborder de tels sujets et, plus généralement, celui de la refonte en profondeur de l’Union européenne, de son fonctionnement et, surtout, de ses objectifs : quelle Europe ? Celle du progrès humain et de la paix ou bien celle du libéralisme, des inégalités croissantes et de la montée des nationalismes ?
En conclusion, malgré le rétablissement de la circonscription unique, notre groupe votera contre ce projet de loi s’il reste en l’état. L’adoption – je l’espère – des amendements que nous défendrons nous ferait néanmoins réviser notre point de vue. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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