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Environnement : mise en œuvre du Grenelle de l’environnement

 
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la Ministre, mes chers collègues,
L’ouverture du débat parlementaire sur ce projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement était attendue par l’ensemble des parties prenantes ayant œuvré pendant plus d’un an, à la fois pour faire émerger une véritable prospective environnementale pour les décennies à venir, et pour que les législateurs que nous sommes soient une force de propositions réglementaires. Malheureusement, je dois avouer qu’ils ne s’attendaient pas à un texte ressemblant à un ensemble de « vœux pieux » tenant plus du morceau de littérature qu’à une véritable base législative. Pire encore, la surprise doit être amère et douloureuse quand, à la lecture de l’écrit, on ne retrouve que peu d’objectifs chiffrés, aucune norme ou réglementation nouvelle réellement contraignante, aucun financement à la hauteur des besoins recensés, et aucun engagement ferme de la France à porter de nouvelles exigences environnementales aux niveaux international et européen…
Certes, les Grenelle II et III sont présentés par anticipation comme porteurs des mesures opérationnelles, mais nous faut-il pour autant, selon une expression de chez moi « acheter un âne dans un sac » ?
C’est que le gouvernement n’a pu se défaire de ses vieilles habitudes idéologiques, de ses présupposés libéraux, qui sont pour lui comme des versets des saintes écritures auxquels il ne faut jamais déroger.
Le Président de la République, dans un de ses discours grandiloquent dont ses conseillers ont le secret, avait pourtant promis un respect absolu des engagements du Grenelle de l’environnement, et la prise en compte législative de l’ensemble des attentes de la société civile. Nous voilà dix mois plus tard, après l’épisode cavalier « de l’avec ou sans OGM » du projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés. Les paroles se sont définitivement envolées et désormais les écrits fleurent bon le minimalisme environnemental.
En définitive, c’est une écologie « Canada dry » que l’on nous propose d’adopter aujourd’hui. Nous nous retrouvons pour débattre d’un texte boiteux, qui a la couleur supposée de l’écologie, le goût de l’écologie, mais qui est bien loin de répondre aux véritables enjeux écologiques.
Mes chers collègues, le fantasme d’une révolution écologique guidée par le marché et à coût « zéro » pour l’Etat imprègne l’ensemble de ce texte. Pensé au « Palais », stratosphère de l’Etat, relooké à Matignon, édulcoré boulevard Saint-Germain, idéalisé avenue de Ségur, ce rêve désormais incarné du « libéralisme écologique » ne s’apparente-t-il pas à un véritable « hold-up environnemental », à un « fiasco en gestation », et à un renoncement à toute ambition écologique résolue, faute d’être soutenu par des politiques publiques efficaces ? Le fil du texte égraine pour chaque domaine la volonté permanente du législateur de laisser au capitalisme, qui a si bien fait ses preuves, le soin illusoire de résoudre grâce à sa fameuse « main invisible » l’ensemble des problèmes environnementaux.
Mes chers collègues, il faut souvent faire croire que tout va changer pour que tout puisse rester en l’état. Le Président de la République nous en a récemment donné l’exemple en criant sa colère contre un capitalisme financier devenu immoral, et qu’il faudrait rétablir dans sa version originelle, celle du capitalisme parfait, pur, fluide, contribuant par son seul fait au bonheur des peuples et à la santé de la planète…quelle hypocrisie !
Ce texte participe de la même logique : faire croire que le capitalisme soudainement moralisé et teinté de responsabilité environnementale sauvera le monde. Quel tour de passe-passe démagogique ! Quelle tentative de mystification alors que l’on sait que seule une profonde remise en cause du modèle capitaliste peut servir l’intérêt écologique général !
Je prendrai pour appuyer mon intervention quelques exemples particulièrement signifiants dans ce projet de loi.
Le premier exemple concerne évidemment la lutte contre le changement climatique. L’article 2 précise que seul « l’assujettissement de nouveaux secteurs d’activité à un système d’échange de quotas de gaz à effet de serre », sur un marché évidemment libre et non-faussé, pourrait servir la réduction des émissions de CO2. Quelle belle idée, sans même avoir fait le bilan des mécanismes d’échanges actuels ! Créons toujours davantage de droits échangeables ! Spéculons toujours plus sur la tonne de dioxyde de carbone ! Boursicotons avec le climat ! Voilà une proposition tout droit issue des cercles de pensée ultralibéraux qui voient dans les échanges de droits à polluer, des paradis spéculatifs à même de satisfaire les appétits des actionnaires et de renforcer l’hégémonie financière des multinationales et des fonds de pensions. « Le climat, otage de la finance » titrait récemment dans son ouvrage un ancien expert de l’ADEME. Ne pourrions-nous pas reproduire ce titre en affirmant que c’est le Grenelle qui est aujourd’hui l’otage de la finance ?
Je m’étonne encore que le Gouvernement, suivant les textes saints, n’ait pas proposé un système international d’échange de quotas de droits à perte de biodiversité, ni un système de libre-échange de droits à dégazage sauvage, ni de système de droits à transport routier polluant pour le transport de denrées alimentaires…Rétroactivement, il aurait même pu nous soumettre aujourd’hui l’idée d’un « système international d’échanges de quotas de dissémination volontaire d’OGM » sur lequel la France aurait pu spéculer à la revente des quotas de maïs Monsanto 810 aujourd’hui non autorisés ! Mais il n’est jamais trop tard, peut-être s’agira-t-il dans un ultime effort de la cerise sur le gâteau des projets de loi Grenelle 2 ou 3 ?
Un exemple similaire pourrait illustrer le secteur du bâtiment, qui, par le seul jeu du marché, doit opérer sa révolution en terme de consommation énergétique, sans le moindre engagement de l’Etat en faveur de programmes de construction de logements sociaux écologiquement performants, sans le moindre système de contrôle public du respect des nouvelles normes, sans que soit créé une opposabilité gage d’une mise en œuvre effective.
Et la liste continue avec le secteur des transports. Là, le libre jeu du marché doit nous assurer le bien-être du fret ferroviaire avec le soutien à « la création d’opérateurs fret » privés. Mais qui peut croire que des opérateurs privés viendront se positionner spontanément sur un secteur fret de proximité, peu rentable à court terme, et circulant sur des voies abandonnées par l’Etat…à moins que les collectivités territoriales, comme ce n’est bien évidemment jamais le cas ne soient mises exceptionnellement à contribution ? Quant aux futures « autoroutes ferroviaires », elles seront certainement juteuses pour des opérateurs privés, mais elles priveront l’essentiel du territoire d’une véritable relance du fret ferroviaire de proximité. Pour les futures lignes à grande vitesse, le gouvernement, sans même oser l’annoncer clairement dans ce texte, nous prépare l’éclatement du réseau ferré national avec le remède miracle du recours au partenariat public-privé. Voilà une drôle de façon d’envisager le transport du XXIème siècle.
La philosophie reste identique lorsqu’on nous propose de mettre en place une « fiscalité verte », tout en allégeant la fiscalité directe pour les plus riches, pourtant seule à même de compenser les inégalités de revenus. Envisager, ne serait-ce qu’envisager, de taxer le couple de smicards avec ses deux enfants pique-niquant sur le bord de la route des vacances avec des couverts jetables, tout en préparant la suppression de l’impôt sur la fortune du millionnaire habitué du Ritz, quoi de plus charitable pour une droite en mal de sensation écologique ? Cela revient à faire peser sur les plus modestes la contribution la plus lourde, alors qu’ils sont contraints d’acheter des produits bon marché, à fort impact environnemental. Cette attitude déplorable tient en une vision caricaturale et étriquée des problématiques de consommation.
 
Le même principe vaut toujours pour le volet agricole du projet de loi. Le développement de l’agriculture biologique doit passer spontanément de 2 % de la surface agricole utile actuellement, à 6 % en 2012, et 20 % en 2020. Pour être précis, il s’agit d’installer ou de convertir près de 24 000 exploitations agricoles en agriculture biologique en seulement trois années, soit près de 8 000 annuellement. Un défi colossal quand on peine aujourd’hui à atteindre un seuil de 300. Un défi certes à relever, mais clairement inaccessible si on limite l’effet de levier à l’unique proposition gouvernementale de doublement du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique. Pourtant les solutions existent : doper prioritairement les aides à l’installation dans ce secteur, augmenter celles liées à la conversion et au maintien, encourager la création de filières de commercialisation qui garantiraient des prix rémunérateurs pour ces exploitants. Mais il eut fallu pour cela que l’Etat passe nettement à la vitesse supérieure dès le budget 2009. Ce n’est pas le cas, car cela venait sans doute à contre-courant de la libre concurrence.
A ce titre, je ne doute pas que Monsieur le Ministre de l’Agriculture sera présent dans l’hémicycle pour défendre cette partie du texte, après sa brillante intervention devant les éleveurs le 3 octobre dernier au sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, une intervention durant laquelle pas une fois, je dis bien pas une fois, le projet de loi que nous discutons n’a été évoqué. Sans doute, se fera-t-il ici le chantre de l’élevage français durable, puisqu’il a renoncé, nous n’en doutons pas, de négocier en sous-main une libéralisation durable des marchés agricoles avec Madame Fischer-Boel ?
Au chapitre « gouvernance », concept éminemment libéral, la traduction d’une plus grande responsabilité environnementale des entreprises tient en quelques mots, sans véritable application pratique. « Il se pourrait » en effet que l’Etat « mette à l’étude », « l’obligation de faire figurer dans un rapport destiné à l’Assemblée générale des actionnaires des informations environnementales et sociales ». Sans mauvais esprit, mes chers collègues, cela me fait penser au sketch d’un Coluche qui croquait à merveille les fausses prudences journalistiques. « On s’autorise à penser, dans les milieux gouvernementaux, qu’un accord secret avec les actionnaires pourrait être conclu en ce sens, qui pourrait inclure l’activité des filiales, qui pourrait comprendre des informations relatives à la contribution de l’entreprise au développement durable… ». Quel courage politique, quel sens de l’engagement !
Pour la participation des salariés à la veille environnementale et sociale au sein des entreprises, l’article 46 prévoit que « le Gouvernement engagera une procédure de consultation, de concertation et de négociation sur la possibilité de ». A croire que ce texte ait été tout bonnement rédigé par les instances représentatives patronales, mais peut-être ne suis-je pas loin de la vérité.
En lien avec l’information des consommateurs, l’article 2 prévoit également qu’une des lignes directrices sera « l’amélioration de l’information sur le coût écologique des échanges ». Je ne manquerai pas alors de demander au Gouvernement de soutenir divers amendements que je présente, au nom des députés communistes et républicains, et qui visent notamment à mettre en place un étiquetage environnemental des produits alimentaires mentionnant la distance parcourue entre le lieu de production et le lieu de vente au consommateur final.
Le marché, tout le marché, rien que le marché, nous voyons tous les jours ce que cela donne avec les faillites bancaires en cascade. C’est pourtant ce que l’on nous propose aujourd’hui pour résoudre les problématiques environnementales.
Le Gouvernement veut persévérer dans l’erreur en nous assénant le principe d’une écologie politique soluble dans un libéralisme sans entrave. Nous veillerons à y opposer tout au long des débats parlementaires, le principe d’une écologie sociale, indissociable d’un dépassement du capitalisme.
Dans une logique constructive, en tant que députés communistes, nous souhaitons porter à travers nos amendements un rééquilibrage utile, bine que nous partions d’une base rédactionnelle très éloignée de notre vision de la société du XXIème siècle. Je tiens d’ailleurs à souligner que le travail en commission nous a déjà permis d’apporter des améliorations notables sur ce texte, avec par exemple dans le domaine du transport ferroviaire, l’affirmation du rôle de l’Etat dans la régénération des voies, dans le domaine de l’eau l’inscription d’un second objectif visant à garantir un approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins des citoyens et à assurer l’engagement de l’Etat en faveur d’actions visant à limiter les prélèvements et consommations, ou encore sur le principe d’intégrer l’objectif de « qualité » pour les productions agricoles et sylvicoles.
Pour autant, je ne peux me satisfaire du rejet devenu quasi-mécanique, sous le prétexte d’un article 40 indépassable, de très nombreux amendements qui portaient pourtant sur des enjeux essentiels comme l’installation agricole sous signe de qualité, le soutien aux collectivités s’engageant en faveur de repas biologiques, ou l’aide aux ménages les plus modestes pour agir sur leurs choix de consommation.
Aussi, le sens de mon implication dans ce débat parlementaire portera la double exigence : d’abord celle de déconstruire une vision dogmatique et inadaptée de politiques environnementales qui seraient fondées sur un capitalisme soudainement propre à revêtir un habillage verdâtre ; mais nous prendrons aussi soin de renforcer très fortement avec nos amendements les apports environnementaux de ce projet de loi.
 

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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