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Environnement : responsabilité environnementale

 
Monsieur le président, Madame la ministre, mes chers collègues,
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » : tout le monde connaît, je n’en doute pas, ce monument à la fois littéraire et juridique que constitue l’article 1382 de notre code civil. C’est en effet une bonne partie de notre régime de responsabilité qui repose sur cette simple maxime.
Or, la directive européenne du 21 avril 2004 que l’on nous demande de transposer aujourd’hui vise à étendre cette responsabilité civile qui concerne le dommage à « autrui » aux préjudices qui affectent le milieu naturel. Il faut véritablement se féliciter de cette grande avancée. Par cette directive, l’environnement n’est en effet plus appréhendé en fonction des conséquences immédiates sur l’homme, en particulier sur sa santé ou la nature conçue à la manière d’une série de paysages. L’environnement est envisagé par soi-même, la directive lui conférant une valeur de patrimoine dont l’homme a la charge et dont il est par conséquent responsable. Cette vision patrimoniale est fondamentale, car elle prend en considération un bien à préserver pour les générations à venir et pas seulement pour les intérêts de court terme des générations présentes. C’est d’ailleurs toute la richesse de cette belle notion de « biodiversité » qui indique toute la pluralité du vivant à protéger.
Cette responsabilité vis-à-vis d’un bien collectif va à l’encontre de la logique de l’intérêt égoïste qui prédomine aujourd’hui et qui veut que chacun est responsable des biens dont il a la propriété ainsi que des dommages vis-à-vis de biens qui appartiennent à autrui. Aussi, tous les biens qui n’appartiennent à personne et à tout le monde, et qui sont légion dans le milieu naturel, échappent à toute responsabilité, l’Etat se contentant d’en protéger les éléments les plus remarquables. La directive se situe au contraire dans la logique d’une responsabilité à la fois individuelle et collective qui dépasse les limites du droit de propriété. Mes chers collègues, je n’irai pas jusqu’à affirmer que nous sommes aux portes du communisme !
La prise en compte exclusive de la nocivité pour l’homme propre à la vision traditionnelle du droit de l’environnement implique que les dommages sont appréhendés en fonction de leur origine. Il en est ainsi des déchets, des substances dangereuses, des OGM ou encore des objets bruyants. En effet, seuls les causes ayant des conséquences notoirement dangereux pour l’homme sont ainsi considérés. Une telle approche est certes utile et concrète, et il faut bien entendu continuer à la défendre. Mais pour mieux protéger le milieu naturel, il convient d’aller plus loin en faisant des éléments de la nature des sujets de droit au même titre que les personnes humaines.
C’est pour cette raison que la directive vise explicitement les habitats naturels et les espèces protégées, parce qu’elles sont des ressources non encore domestiquées au seul profit de l’homme. Leur préservation répond en effet à un impératif d’intérêt général qui ne peut se résumer en une somme d’intérêts particuliers. C’est d’ailleurs sur le fondement de cet intérêt général que je proposerai lors de l’examen des amendements l’établissement d’un véritable délit d’atteinte à l’environnement. Selon moi devrait être considéré comme coupable toute personne qui a, par inattention, imprudence ou négligence, porté atteinte de façon grave et irréversible, directement ou indirectement, à l’équilibre du milieu naturel. Cette responsabilité pénale viendrait compléter la responsabilité civile mise en œuvre par le projet de loi.
Je parlai du respect du milieu naturel pris comme un tout. Les critères de gravité du dommage figurant dans l’annexe I de la directive attestent de cette approche conçue en terme d’équilibre écologique globale dont l’homme n’est qu’un élément, un simple élément, à travers une vision « cosmique » en quelque sorte. Ainsi, c’est l’état de conservation favorable des espèces et habitats naturels qui est pris en compte en tenant compte des aspects quantitatifs et qualitatifs des espèces concernées. De même, la gravité de l’affectation des eaux n’est appréciée que par référence à leur état écologique, chimique ou quantitatif ou à leur potentiel écologique, sans conséquence immédiate sur l’activité de l’homme. La notion de « service écologique » d’une ressource au profit d’une autre témoigne aussi de cette vision globale de l’environnement.
Seuls les sols sont considérés en fonction de la seule incidence sur la santé et on peut le déplorer. On tarde en effet à intégrer le fait que les sols constituent en eux-mêmes des organismes vivants qui interagissent avec le reste de l’écosystème. La difficulté à prendre en compte les micro-organismes du sol dans la loi sur les OGM en témoigne. Cela est sans doute dû au fait que ces sols sont pour l’essentiel privatifs et qu’on a donc de la difficulté à les considérer également comme des biens communs. Les résistances à l’adoption de la directive européenne relative à la protection des sols témoignent de cette difficulté et la France y a eu malheureusement sa part. La lenteur avec laquelle on traite les « sites orphelins » pollués atteste de cette même difficulté.
Malgré les intentions louables de la directive, va-t-elle pour autant assez loin dans son champ d’application ? Je ne le pense pas. Certes certaines pollutions sont difficilement imputables à une activité particulière. Il en va ainsi de la pollution atmosphérique. Mais, parmi les ressources naturelles prises en compte, il aurait été possible d’étendre plus fortement le nouveau régime. La directive ne vise en effet que le champ couvert par les directives « oiseaux » et « habitats ». Le reste des éléments du milieu naturel a-t-il par conséquent vocation à se voir pollué sans la moindre responsabilité du pollueur ?
Or, la directive n’interdisait pas en tout cas à chaque Etat de désigner des habitats ou espèces non énumérés aux annexes de ces directives. Il aurait ainsi fallu étendre le principe de la responsabilité environnementale à l’ensemble des sites remarquables, reconnus pour leur intérêts écologiques, et ayant un objectif de préservation des habitats et des espèces de faune et de flore. Je pense aux parcs nationaux, aux parcs naturels régionaux, aux réserves naturelles, aux zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique, aux surfaces concernées par un arrêté de biotopes, aux forêts de protection ainsi qu’aux sites inscrits sur la liste des zones humides d’importance internationale au titre de la convention RAMSAR. J’ai l’exemple dans ma circonscription de tourbières qui risquent d’échapper au nouveau régime.
Mais une fois définis les dommages pris en compte, encore faut-il en définir les responsables. Au risque d’apparaître exceptionnellement liberticide, j’aurais souhaité pour ma part que le nouveau régime concerne l’ensemble des activités des personnes physiques et morales. Le choix a été fait d’en limiter la portée aux activités économiques, lucratives ou non lucratives. Mais cette extension n’en est pas moins une avancée considérable. Ne sont plus concernées comme auparavant une liste limitative d’activités jugées comme dangereuses en fonction de la nature des émissions qu’elles génèrent, comme dans le régime des installations classées. Puisque seule compte désormais la destination du dommage, peu importe quelle est la nature du polluant et donc l’activité qui en est l’origine.
Pour trouver un responsable, cette activité économique doit être rattachée à une personne particulière. Or, c’est ici que le bas blesse. N’est visé par le présent projet de loi que l’exploitant qui exerce ou contrôle « effectivement » cette activité. Cette rédaction laisse entendre que seul l’exploitant ayant juridiquement et directement en charge l’exploitation est concerné. Or, il aurait fallu également prendre en compte l’éventuel « exploitant de fait », c’est-à-dire l’exploitant qui peut mener indirectement l’activité alors qu’il n’est pas son exploitant de droit. Le principe du « pollueur payeur » ne doit pas occulté celui du « décideur payeur ». Le Livre blanc de la Commission européenne sur la responsabilité environnementale laissait pourtant entendre la possibilité d’une telle extension.
On peut donc s’attendre à ce que les sociétés mères donneuses d’ordre, se voient retirer toute responsabilité dans la réparation du dommage. Dans un passé récent, l’expérience de METALEUROP montre ainsi comment une société mère peut échapper à sa responsabilité pour des pollutions qu’implique pourtant des décisions qu’elle a prises. Suite à ce cas d’école, la France a semblé réagir en intégrant cette dimension dans l’article 46 du projet de loi issu du « Grenelle de l’environnement ». Mais pourquoi ne pas le faire figurer dès à présent puisque ce projet de loi en est le cadre naturel ? La France pourrait au moins mettre cette question à l’ordre de la présidence française de l’Union européenne qui va bientôt commencer.
Mais l’ « exploitant de fait » n’est pas nécessairement la société mère. Ainsi une société, en tant que simple actionnaire d’une société exploitant une installation, peut avoir pour effet, du fait des décisions ou de l’absence de décisions qu’elle prend, d’engendrer un dommage à l’environnement. Pourquoi dans ce cas l’établissement servirait de fusible alors ce sont de plus en plus les financiers qui décident de la réalité des projets de l’établissement, dictant aux dirigeants leur politique dans le seul but d’en récolter des dividendes ? Pourquoi alors ne seraient-ils pas jugés eux aussi responsables du dommage ?
J’en viens maintenant à la question des obligations qui pèseront sur l’exploitant rendu responsable du dommage. Conformément au principe même de la responsabilité civile, l’exploitant devra réparer le dommage. La directive prévoit en effet que l’autorité compétente pourra imposer à l’exploitant une remise en état. Mais, comme souvent, les intentions les plus louables se heurtent à la question financière.
Ainsi, comment les services placés sous l’autorité du préfet auront-ils les moyens suffisants pour assurer les nouvelles missions de contrôle qu’implique ce projet de loi, alors que la DRIRE pour les installations classées ou la MISE pour l’eau n’ont pas à l’heure actuelle le personnel nécessaire pour ses propres missions ?
Ensuite, que se passera-t-il si l’exploitant en question est dans l’incapacité financière de procéder à la réparation qu’on lui impose ? A cela, la directive répond que les exploitants ont dans l’obligation de constituer des garanties financières destinées à assurer le financement des mesures de prévention et de réparation. Or, ce dispositif a tout bonnement disparu du projet de loi. On peut le regretter car cette absence de garantie risque de vider une grande partie du projet de loi de son contenu. A défaut d’une réintégration de ce dispositif, je proposerai qu’au moins un fonds de compensation puisse être constitué pour faire face aux dépenses urgentes.
Je finirai en évoquant la notion même de remise en état. Celle-ci est problématique car le vivant n’est pas à l’image d’une mécanique dont on peut changer aisément les pièces. C’est pourquoi il est prévu la possibilité d’une « réparation complémentaire » correspondant à un niveau de ressources « comparable » à l’état initial. Ainsi, un espace forestier pourra par exemple être reconstitué à un endroit différent de son implantation initiale. Dans ce cas le critère de la réparation dépend d’une appréciation collective du dommage. En effet, la reconstitution peut modifier de manière très sensible l’environnement des habitants situés à proximité et l’économie locale...
C’est pourquoi je proposerai que le public puisse apporter ses appréciations, suggestions et contre-propositions afin de permettre à l’autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à la reconstitution de ce patrimoine commun. Une telle consultation citoyenne pourrait prendre la forme d’une enquête publique ou d’une forme plus simplifiée en cas d’urgence.
Je finirai mon propos en déplorant qu’un très grand nombre de dispositions soient renvoyée au décret. On nous répond que ce décret est déjà prêt. Mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir dès à présent intégrer dans la loi des précisions qui ne relèvent pas pour beaucoup du domaine règlementaire ?

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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