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Expérimentation zéro chômage

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, cette proposition de loi vise à lutter contre le chômage de longue durée dans nos territoires.
La situation du chômage dans notre pays est particulièrement préoccupante. En effet, à la fin de l’année 2014, sur les 5,2 millions de demandeurs d’emploi que compte notre pays, 2,4 millions – soit près de la moitié d’entre eux – étaient des chômeurs de longue durée sans aucune activité, ou avec une activité très réduite. Depuis le début de la crise, la part des demandeurs d’emploi de longue durée est passée de 35 % à plus de 45 %. Parallèlement, le nombre de chômeurs de longue durée indemnisés par l’assurance chômage ne cesse de diminuer, pour atteindre seulement 48,6 % d’entre eux en 2013.
Mais il convient de se souvenir que, derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes qui subissent de plein fouet les conséquences sociales de cette situation : isolement, sentiment d’inutilité, difficultés familiales, impossibilité d’accéder à un logement décent ou à des prêts bancaires.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que partager l’objectif poursuivi par cette proposition de loi, qui vise à redonner un emploi à des personnes éloignées durablement du marché du travail, pour contribuer à des activités utiles socialement. Nous la soutenons d’autant plus que ce texte a été élaboré en étroite collaboration avec les associations qui travaillent auprès de ces publics. Ce texte est en effet le fruit d’une initiative d’ATD Quart Monde – cela a été rappelé – et il a reçu un large appui de la part du monde associatif, comme en témoigne le nombre important de soutiens, tels que le Secours catholique, Emmaüs, ou encore le Pacte civique.
L’originalité de ce texte tient également à son approche pragmatique, qui s’inscrit dans des logiques d’innovation sociale et d’expérimentation locale, à rebours d’autres recettes employées depuis vingt ans pour lutter contre le chômage. Il est temps, en effet, de sortir des dispositifs classiques de la politique de l’emploi, tels que les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, qui tirent les rémunérations vers le bas, et dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont inefficaces pour créer des emplois. Malheureusement, le Gouvernement continue pourtant de les maintenir, et il vient encore de les élargir, dans le cadre du CICE, notamment.
Je tiens à saluer l’esprit de cette proposition de loi, qui contribue à redonner de la dignité à ces personnes en situation d’exclusion économique et à lutter contre les préjugés à l’encontre des chômeurs, notamment celui selon lequel ils ne chercheraient pas vraiment du travail.
Enfin, ce texte peut, selon nous, contribuer à lutter contre le développement des inégalités dans nos territoires, en renforçant les structures de l’économie sociale et solidaire et en apportant une réponse de terrain, au plus près des besoins de nos concitoyens. La démarche est donc intéressante. C’est, dans le même temps, reconnaître qu’il existe des activités d’utilité sociale, lesquelles, sans intervention publique, ne pourraient être couvertes par le secteur privé lucratif, parce qu’on estime qu’elles ne sont pas rentables.
S’agissant maintenant des dispositions contenues dans cette proposition de loi, je veux dire d’emblée que le modèle d’expérimentation, qui envisage de proposer des emplois en contrat à durée indéterminée et rémunérés au SMIC horaire, constitue une réelle avancée, dans la mesure où les contrats aidés sont par essence à durée déterminée, ce qui pose des problèmes aux intéressés, qui sont ainsi maintenus dans la précarité. Il est évident que le fait de disposer d’un contrat à durée indéterminée conditionne une certaine stabilité, qui permet à la personne concernée de se projeter dans l’avenir, de payer un loyer, d’accéder au crédit, de former des projets et de construire une vie personnelle, sociale et familiale.
Nous saluons également la procédure d’évaluation prévue dans ce texte. Il est en effet important que ce type de dispositif puisse être évalué avant sa généralisation éventuelle. Nous regrettons, là encore, que vous n’ayez pas la même exigence d’évaluation des résultats du dispositif mis en place pour les entreprises du CAC 40, auxquelles le Gouvernement verse des milliards d’argent public, et qui mériteraient d’être évaluées.
Par ailleurs, les différentes modifications apportées au texte en commission, sur la base des avis rendus par le Conseil d’État et le Conseil économique, social et environnemental, ont amélioré sa rédaction initiale. Il est en effet nécessaire de cibler les bénéficiaires de cette expérimentation, et il nous paraît pertinent de retenir les chômeurs inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an. L’introduction du déplafonnement de la rémunération de ces salariés embauchés au SMIC est également une bonne mesure, car elle est stimulante pour l’avenir de ces personnes. Elle supprime, de plus, une discrimination par rapport aux autres salariés, et harmonise ces emplois avec les dispositions actuelles du droit du travail.
Enfin, je me félicite que des actions de formation soient désormais envisagées pour les bénéficiaires du dispositif d’expérimentation, car c’est une des conditions qui permettront à ces personnes de maîtriser leur parcours professionnel et d’envisager ce dispositif comme un tremplin vers des emplois éventuellement plus qualifiés. Au-delà des objectifs et du contenu de ce texte, sa mise en œuvre appelle cependant notre attention sur plusieurs points.
Le premier concerne les dispositifs déjà existants de l’insertion par l’activité économique, c’est-à-dire les entreprises d’insertion ou les chantiers d’insertion, qui visent également la prise en charge de personnes éloignées du marché du travail. Il convient donc d’être vigilants sur l’articulation de cette expérimentation avec les dispositifs qui existent déjà sur les territoires concernés. De ce point de vue, il nous semble nécessaire que le comité local associe les acteurs territoriaux de l’emploi, mais aussi les acteurs de l’insertion.
À défaut, cette expérimentation pourrait être perçue comme une nouvelle strate, ajoutant de la complexité, alors même que les politiques territoriales de l’emploi sont connues pour leur manque de lisibilité – c’est un reproche qu’on leur fait souvent. Il est évident que des mesures de ce type reposent aussi sur le volontarisme des acteurs locaux qui les mettent en œuvre. Aussi, un manque de clarté vis-à-vis des dispositifs existants pourrait conduire à une moindre efficacité du nouveau dispositif.
Le second point sur lequel nous devrons être vigilants concerne le choix des entreprises conventionnées, qui vont employer les chômeurs de longue durée. Les structures de l’économie sociale et solidaire étant ciblées par ce dispositif, nombre des entreprises concernées seront constituées d’associations. La question est alors de savoir sur quels critères ces associations seront retenues pour être éligibles aux financements du fonds national. Très souvent, les procédures d’appel d’offres favorisent les grosses associations, capables d’assurer un important volume d’activité, sans que les critères de qualité ne soient mis en avant, et ce, au détriment des petites associations. Je crois qu’il convient d’être très vigilants sur ce point.
Enfin, et ce sera ma dernière remarque, la réussite de ce type de dispositif tiendra beaucoup à l’accompagnement social et professionnel des personnes recrutées par les entreprises conventionnées. Aussi, il nous semblerait judicieux de prévoir, dans le texte, des mesures allant dans ce sens.
Pour conclure, nous soutenons les objectifs poursuivis, la démarche et les dispositions contenues dans ce texte, même si je ne vous cache pas que sa mise en œuvre peut, par certains aspects, nous apparaître complexe. Il faudra travailler !
Il s’agit là d’une expérience intéressante pour tenter d’enrayer la montée du chômage de longue durée et d’aider les personnes concernées.
Notre groupe votera donc, sans hésiter, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

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