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Famille : filiation (ratification de l’ordonnance n° 2005-759)

Monsieur le président, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, que le Sénat a adopté il y a un an.
Cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a été prise par le Gouvernement en vertu de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit. Elle est à l’origine d’une importante réforme du droit de la filiation, branche essentielle de notre droit de la famille.
Avant toute chose, je tiens à dire que nous contestons le choix de l’ordonnance comme instrument ou support juridique. Nous le contestons sur le fond parce que cela prive les parlementaires d’un débat sur un sujet qui touche au plus profond de la vie de la cité. D’ailleurs, réformer le code civil par ordonnance est, reconnaissez-le, une procédure inédite, et la force de notre code civil s’en trouve incontestablement affectée.
Bien sûr, nous sommes d’accord pour légiférer. La société a évolué, et il est normal que le droit se mettre en conformité avec ces transformations sociologiques. Cependant cette adaptation du code supposait un débat entre nous et avec la société. Or ce texte n’a même pas été renvoyé à la commission des affaires sociales, et la délégation aux droits des femmes n’a pas été consultée.
Concernant le contenu du texte, nous nous félicitons de l’abandon des notions désuètes de filiations « légitime » et « naturelle », qui dataient du code Napoléon de 1804, ce qui permettra d’instaurer l’égalité juridique entre enfants nés dans ou hors mariage. Il s’agit là d’une adaptation du droit à la réalité sociale, puisqu’en 2007 près de 50 % des enfants sont nés hors mariage. C’est la simple prise en compte des évolutions sociologiques récentes de la famille.
La loi du 3 janvier 1972 avait déjà marqué une étape décisive en la matière, en posant le principe de l’égalité des filiations. Les statuts des enfants étant unifiés quelles que soient les conditions de leur naissance, il était clair que la distinction entre filiation légitime et naturelle devenait sans objet.
S’agissant des modes d’établissement non contentieux de la filiation, l’ordonnance a supprimé la différence de traitement qui existait entre la femme non mariée et la femme mariée, laquelle était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Désormais, l’indication dans l’acte de naissance du nom de la femme ayant accouché suffit à établir la filiation maternelle dans tous les cas de figure.
De plus, l’ordonnance a adapté les modalités de contestation de la possession d’état – autrement dit, la présomption légale permettant d’établir la filiation d’une personne – et l’a encadrée par des règles de sécurité plus strictes. S’agissant des preuves et de la présomption de la filiation, l’ordonnance de 2005 visait à une plus grande sécurité juridique. La possession d’état doit être constatée dans un acte de notoriété ou par jugement pour être considérée comme une preuve du lien de filiation. Les règles relatives à l’assistance médicale et à la procréation sont restées inchangées.
Nous soutenons également avec satisfaction l’avancée en matière d’égalité entre hommes et femmes que constitue l’autorisation du changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 et encore mineurs à la date de ratification de l’ordonnance, d’autant que cette disposition figurait déjà dans les recommandations du Conseil de l’Europe en 1978, c’est à dire voilà trente ans !
L’entrée en vigueur en 2005 de l’article 311-21 du code civil permettait déjà de transmettre à son enfant soit le nom du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés. Cette loi avait cependant laissé de côté tous les enfants nés avant cette date. Ils pourront désormais bénéficier des mêmes droits, sous réserve qu’ils soient encore mineurs à la date de ratification de l’ordonnance. C’est une bonne chose.
Notons cependant que, pour les majeurs, cette procédure est encore très lourde et mériterait d’être réformée. En effet, l’unique moyen de procéder à un changement de nom consiste en une demande auprès du Sceau de France, seul compétent en la matière. Cette procédure est longue et les chances d’aboutir sont minimes. Il faudra donc aller plus loin encore.
Concernant l’alinéa 16 de l’article 1, c’est-à-dire la suppression de la fin de non-recevoir de l’action en recherche de maternité pour les enfants nés sous X, permettez-moi de faire des remarques à la fois sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, je ne reviens pas sur l’utilisation des ordonnances et l’absence de débat, mais je tiens à faire part de notre étonnement quant à l’intégration d’un telle disposition dans un texte qui traite de la filiation. En effet, au sens juridique, l’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil ou la filiation, et ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.
Sur le fond, la possibilité d’accoucher anonymement et d’abandonner l’enfant date de deux siècles : l’objectif premier en était de permettre aux femmes – dont beaucoup subissaient des pressions familiales et sociales – de mettre au monde un enfant non désiré dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Tout cela reste d’actualité, d’autant plus qu’une étude du CNRS a établi que les femmes accouchant anonymement sont généralement très jeunes, célibataires et sans revenus.
Abandonner un enfant est toujours une expérience douloureuse ; nous devons le garder à l’esprit. Toutefois les études récentes des psychiatres ont démontré – et cela est lié aux évolutions de notre société qui accorde plus d’attention à la construction de l’identité des enfants – que la méconnaissance des origines est bien souvent traumatisante.
En tout état de cause, il paraît bien difficile d’interdire à un enfant l’accès à ses origines. Nous défendons donc un équilibre entre la protection du secret de la femme et la demande légitime de l’enfant : si la disposition de l’alinéa 16 prend mieux en compte cette dernière, une réflexion doit être menée sur les moyens d’accompagner toutes ces personnes pour les aider à cheminer et à dépasser leurs difficultés respectives.
Au regard de ces avancées, les députés communistes et républicains, membres du groupe GDR, voteront pour ce texte.
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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