Interventions

Discussions générales

Fin de vie

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette intervention aurait dû être prononcée par Jacqueline Fraysse. Je la supplée en précisant que je partage son appréciation, comme la grande majorité des députés du Front de gauche.
Cette proposition de loi poursuit, en l’améliorant, la démarche engagée par la loi de 1999 ouvrant l’accès aux soins palliatifs, celle de 2002 relative aux droits des malades et celle de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie, qui proscrit clairement l’acharnement thérapeutique et met en place une procédure collégiale d’arrêt des traitements. Ces différents textes illustrent l’adaptation de notre droit pour tenir compte des avancées scientifiques, de l’évolution de la société et des exigences de nos concitoyens en matière de libertés individuelles comme de respect de la personne humaine.
Le texte qui nous est proposé s’inscrit dans cette lignée. Il réaffirme les droits des malades en fin de vie et les devoirs des médecins à l’égard de ces patients, selon les recommandations du rapport de nos collègues Alain Claeys et Jean Leonetti présenté à l’Assemblée nationale le 21 janvier dernier.
Il vise à compléter la loi de 2005 pour ouvrir de nouveaux droits aux personnes en fin de vie. Ainsi prévoit-il un droit à la sédation profonde et continue, à la demande du patient, pour accompagner l’arrêt d’un traitement, et ceci jusqu’au décès.
Serait désormais inscrit dans la loi le principe du double effet chez le patient conscient sujet à des souffrances réfractaires, obligeant les médecins à mettre en œuvre un traitement antalgique et sédatif pour soulager et apaiser la douleur, même s’il peut avoir pour effet d’abréger la vie.
Enfin, cette proposition de loi renforce les directives anticipées, qui s’imposeront dorénavant au médecin.
Ce texte vient donc confirmer et renforcer le refus de l’acharnement thérapeutique, en précisant d’ailleurs que la nutrition et l’hydratation sont considérées comme des traitements, l’impérieuse nécessité de soulager les souffrances dans le cadre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, et l’obligation de respecter scrupuleusement les directives anticipées formulées par le patient. Il s’agit d’avancées indéniables.
Cependant, ce texte ne va pas jusqu’à légaliser l’acte de donner la mort par une personne précise à un moment précis et préalablement décidé. C’est le reproche que certains de nos collègues formulent. Ces différences d’appréciation traversent tous les groupes politiques ; elles relèvent de réflexions et de convictions personnelles que nul n’a à juger.
Pour notre part, nous pensons que les textes actuels, auxquels s’ajoute celui dont nous débattons aujourd’hui, permettent de répondre de manière digne et apaisée à la quasi-totalité des situations de fin de vie – chacun ayant naturellement la liberté de décider à tout moment de mettre fin à ses jours.
Il faut reconnaître qu’ils ne répondent pas à quelques situations rares et très particulières. Nous ne pouvons toutefois pas perdre de vue le fait que nous travaillons sur un texte sensible puisqu’il s’agit de la vie humaine et de la mort ; cela nous confère une lourde responsabilité. Aussi avons-nous l’obligation de dépasser nos sentiments personnels, de légiférer non pas pour nous-mêmes en fonction de nos convictions, non pas pour répondre à quelques situations exceptionnelles, mais pour la société tout entière, dans un équilibre respectant à la fois la diversité des convictions et, surtout, la vie humaine.
Nous entendons bien l’argument de la liberté que certains avancent, et nous le comprenons. C’est justement au nom de cette valeur partagée – la liberté – que certains, dont je suis, refusent, en l’état actuel du fonctionnement de notre société, qu’elle s’autorise à interrompre la vie d’autrui. En effet, comme le rappelait Robert Badinter, que je citerai à mon tour, « le droit à la vie est le premier droit de tout être humain. C’est le fondement de l’abolition de la peine de mort et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie ».
C’est cette conviction qui nous conduit à être réticents à inscrire dans les lois qui régissent notre société l’autorisation de mettre fin à la vie d’autrui. C’est une question de fond, une conception qui rejoint effectivement notre refus de la peine de mort, d’autant plus que l’examen de ces pratiques et de leur évolution au fil du temps, dans les pays où elles existent depuis plusieurs années, est loin d’être convaincant.
Si nous n’avons pas d’inquiétude majeure sur notre capacité à gérer humainement les situations exceptionnelles lorsqu’elles s’imposent, nous sommes beaucoup plus réservés sur le devenir de la légalisation de l’acte de donner la mort à une personne. L’expérience professionnelle de nombreux médecins, y compris Jacqueline Fraysse, et toutes les rencontres que nous avons eues sur ce sujet confirment que notre législation répond aux légitimes aspirations de nos concitoyens à ne pas souffrir et à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer leur vie dans la dignité.
Le véritable débat ne serait-il pas ailleurs ? Ne concernerait-il pas les moyens ? Il ne faudrait pas risquer de l’occulter en parlant d’autre chose. Le véritable problème, qui touche profondément nos concitoyens et les inquiète, est la non-application persistante des textes en vigueur concernant les soins palliatifs.
Songeons, chers collègues, que la loi Leonetti a dix ans et que dans l’immense majorité des cas, elle n’est toujours pas appliquée.
Ce constat est confirmé tant par le rapport de nos deux collègues que par la Cour des comptes, dans un récent rapport intitulé « Les soins palliatifs : une prise en charge toujours très incomplète ». Cette situation est liée à plusieurs facteurs tenant tout à la fois à la formation des médecins, à l’information des équipes hospitalières comme des citoyens, et aux moyens financiers permettant la mise en œuvre concrète de ces soins. Pour être efficaces et répondre au maximum de situations, les soins palliatifs doivent non seulement être mis en œuvre dans les services hospitaliers mais aussi, comme l’a souligné Mme la ministre, sortir de l’hôpital pour s’étendre sous forme de réseaux à la médecine de ville et aux établissements médico-sociaux.
Nous disposons de nombreux travaux de recherche et d’expériences concluantes dans ce domaine, qui tous confirment que cette fin est d’autant plus sereine que les soins palliatifs, au sens complet du terme – à savoir l’accompagnement psychologique, thérapeutique et social du patient – ont été mis en œuvre précocement, c’est-à-dire dès qu’a été formulé le diagnostic de maladie grave, incurable et en cours d’évolution.
Force est de constater le manque de détermination et de volonté politique des différents gouvernements face à ce sujet crucial qui anime tant de débats dans notre société, et nous ne décelons aucun infléchissement rassurant à l’horizon.
Ainsi, le projet de loi sur la santé, que nous examinerons la semaine prochaine, se contente-t-il d’inscrire les soins palliatifs comme une des missions des établissements de santé. C’est bien, mais ce n’est qu’une déclaration de principe, sans aucun cadre précis.
De plus, on peut craindre la remise en cause des financements spécifiques visant à inciter à la création de lits réservés aux soins palliatifs dans les services hospitaliers et dans les établissements accueillant des malades en fin de vie. S’il est vrai que ces lits identifiés devraient être mieux évalués, il est cependant indéniable qu’ils ont contribué à la diffusion de la culture palliative, et l’heure n’est pas à ralentir l’effort. Or, si l’on en croit la réponse faite par le ministère des finances au rapport public précité de la Cour des comptes, le Gouvernement envisagerait de revoir le mécanisme d’incitation tarifaire pour le déploiement de ces lits. Confirmez-vous, madame la ministre, cette orientation qui, il est vrai, peut sembler cohérente avec les récentes annonces prévoyant 3 milliards d’économies supplémentaires dans les hôpitaux publics ?
De même, madame la ministre, nous ne comprenons pas votre refus – également mentionné dans les réponses au rapport de la Cour des comptes – de créer une filière universitaire de soins palliatifs ; tout à l’heure, vous n’avez évoqué que la formation des personnels soignants. Il est pourtant urgent que la médecine de notre pays sorte de la seule culture des soins curatifs.
C’est un impératif majeur de la société moderne.
Tel est, madame la ministre, chers collègues, l’état de nos réflexions à ce jour. Permettez-moi, pour conclure et toujours comme porte-parole de Jacqueline Fraysse (Sourires), de répéter ce qu’indique le rapport du Comité consultatif national d’éthique : « la demande d’euthanasie est moins une volonté profonde de ceux qui en expriment le désir que l’effet de souffrances insoutenables dues aux conditions indignes dans lesquelles on continue à mourir en France ». (Applaudissements sur divers bancs.)

Imprimer cet article

André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

Sur le même sujet

Lois

A la Une

Dernière vidéo de André Chassaigne

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques