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Finances : pour une fiscalité juste et efficace

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi en faveur d’une fiscalité juste et efficace déposée par les députés de la Gauche démocrate et républicaine met le Gouvernement au pied du mur en proposant d’en finir avec les gâchis d’argent public, les cadeaux fiscaux et les régimes d’exonération qui bénéficient au monde de la finance, au patronat du CAC 40 et aux plus hauts revenus. Elle montre, chiffres à l’appui, que les moyens existent dans notre pays pour répondre aux attentes des Français, donc réduire les inégalités criantes et accompagner fiscalement la création d’activités économiques et d’emplois. Elle intervient donc opportunément, au lendemain de l’adoption par votre majorité d’un projet de budget pour 2011 marqué du sceau de l’austérité et qui aggrave toutes les politiques mises en œuvre depuis 2007. Le Premier ministre vient de le confirmer dans une déclaration de politique générale qui tourne le dos aux priorités de nos concitoyens. On sait donc au profit de quelles catégories vont continuer de s’additionner cadeaux fiscaux et exonérations en tous genres. Pourtant, d’ores et déjà, les 10 % des ménages les plus fortunés ont un patrimoine 2 000 fois supérieur à celui des 10 % les plus modestes. Entre 2004 et 2007, les revenus du capital ont progressé cinq fois plus que ceux du travail ; les premiers – impôts et cotisations – étant deux fois moins prélevés que les seconds. Par ailleurs, une étude récente du Crédit Suisse place la France en leader européen du nombre de millionnaires en dollars. Or, Jean-Claude Sandrier l’a rappelé, alors que le déficit public de la France avoisinera, fin 2010, les 140 milliards d’euros, la Cour des comptes souligne que l’essentiel de ce déficit résulte de la multiplication de ces cadeaux.
Des cadeaux, n’en attendez donc pas, en retour, des Françaises et des Français. Ils l’ont signifié lors des récentes élections régionales, puis dans le mouvement mobilisant des millions de salariés et les trois quarts de l’opinion contre la liquidation de notre système de retraite. Ils en ont assez de subir l’appauvrissement de la société tout entière ; assez de voir des retraités, des familles et des jeunes réduits à vivre des secours et des repas du mouvement caritatif ; assez de devoir renoncer à des soins, quand une étude publiée ces jours-ci montre que vos réformes menacent désormais le principe même de solidarité ; assez du statut de travailleur pauvre qui fait que l’on peut être salarié dans ce pays et contraint de vivre et coucher dans une voiture, faute d’avoir de quoi payer un logement. « La pauvreté des enfants et de leurs familles n’intéresse guère l’État » vient de dénoncer Dominique Versini, défenseure des enfants. La mesure est donc pleine. Emploi, logement, pouvoir d’achat, protection sociale et santé, avenir et travail des jeunes : on touche là aux questions de fond que soulève notre proposition de loi. On touche à ce qui met ce texte et les solutions réalistes et chiffrées qu’il avance pleinement en phase avec le droit à la dignité de chaque habitant de notre pays.
Une fiscalité juste socialement, efficace économiquement c’est tout l’envers d’aujourd’hui ! Cette question est donc à prendre d’urgence à bras-le-corps pour maîtriser le déficit public que vous avez laissé filer en trois ans et pour réduire la dette – 1 800 milliards d’euros en 2013 – que dix ans de gouvernements de droite ont multiplié par deux ! Mais elle doit permettre de répondre aux attentes et redresser notre économie, lutter pour l’emploi, développer les services publics au lieu de les détruire et tirer toute la société vers le haut. Enfin, elle est à prendre en compte pour peser sur les choix de l’Union européenne et pour que la France soutienne l’exigence d’en finir avec la concurrence fiscale entre les États et avec le dumping social qui laisse les groupes multinationaux jouer les peuples et les salariés les uns contre les autres, au mépris de l’intérêt général.
Le 25 septembre 2008 à Toulon, Nicolas Sarkozy se faisait fort de « refonder le capitalisme ». Il dénonçait les questions qui fâchent, comme celle des paradis fiscaux. Il annonçait qu’il allait en finir avec les dérives de la finance globale. On voit ce qu’il en reste deux ans plus tard ! La présidence française du G8 et du G20 ne changera pas la face du monde de la finance au moment où les agences spécialisées annoncent que, pendant la crise, les groupes ont amassé 3 000 milliards de dollars de trésorerie qu’ils s’apprêtent à engloutir dans des OPA et des rachats d’entreprises. Vous venez de vous faire, une fois de plus, l’avocat des banquiers. Faut-il préciser que l’argent des banques est celui des contribuables et que les banques profitent de la crise, puisqu’elles achètent à 1 % à la BCE pour vendre à 5, 6, voire parfois 10 % ?
Notre proposition vous donne donc l’occasion de passer à l’acte pour assainir la finance et la richesse, en commençant par notre propre pays.
L’évasion fiscale continue avec, chaque année, des centaines d’exilés fiscaux supplémentaires. Allez-vous supprimer le bouclier fiscal qui a coûté 700 millions d’euros en 2010 et fait tomber 362 000 euros – l’équivalent de vingt ans de SMIC – dans le portefeuille de chacun des 1 169 ménages les plus fortunés ? Mais, surtout, allez-vous y mettre fin sans supprimer l’impôt sur la fortune qui rapporte, lui, 3,3 milliards d’euros, à moins que ce ne soit un jeu de dupes profitant à nouveau aux plus nantis ? Nous savons que, grâce aux niches, exonérations et autres abattements de l’ISF, les assujettis ne déclarent, en vérité, que 60 % de leur patrimoine réel. L’impôt sur la fortune doit être moins que jamais remis en cause. Il doit au contraire être ajusté et dopé. « Si je suis Président de la République, il n’y aura pas de suppression de l’ISF » expliquait le candidat Sarkozy en janvier 2007.
Raison de plus ! Mais vous me direz que le même candidat à la Présidence avait juré de ne pas toucher au droit à la retraite à soixante ans !
L’aspiration à une ample justice fiscale grandit parmi les Français. Début octobre, selon l’institut BVA, 71 % d’entre eux réclamaient la suppression du bouclier fiscal, mais 64 % restaient hostiles à l’abrogation concomitante de l’ISF, dont, soulignons-le, 52 % de sympathisants de droite !
Il est urgent de rétablir une vraie progressivité de l’impôt sur le revenu en augmentant le nombre des tranches pour aller chercher l’argent là où il est. Les hauts revenus imposés à 50 %, c’est du vent ! Les études montrent en effet que les plus gros patrimoines ne sont imposés qu’à 20 %, ce qui est un scandale fiscal intolérable ! Il faut supprimer les stock-options qui font qu’un privilégié peut, en un jour, empocher 18 millions d’euros sur un coup de bourse, limiter l’échelle des rémunérations au sein des entreprises, taxer les profits financiers des entreprises, ce qui rapporterait 30 milliards d’euros pour la protection sociale et la santé, notamment.
Le taux réel d’imposition d’une PME de moins de dix salariés est d’environ 30 %, celui d’un groupe du CAC 40 est de 8 %. Qu’attendez-vous pour assainir cette situation et moduler l’impôt en fonction du choix des entreprises, investissement productif ou spéculation sur les marchés, quand on sait que ce sont les PME qui créent l’essentiel de l’emploi et que le CAC 40 exporte ses profits au détriment des Français ?
Le Conseil des prélèvements obligatoires évalue la fraude fiscale à 40 milliards d’euros par an. Plutôt que de supprimer 20 000 postes à la direction des finances publiques entre 2002 et 2011, mieux vaudrait y créer de l’emploi.
Il faudra aussi s’attaquer un jour à cet impôt particulièrement injuste et lourd pour les plus modestes qu’est la TVA avec son taux élevé. Depuis très longtemps, nous réclamons sa suppression pour les produits de première nécessité.
Nous le montrons donc, chiffres à l’appui, des dispositions fiscales peuvent être instaurées pour répondre à l’exigence de justice et d’égalité devant l’impôt, mais aussi pour maîtriser les déficits publics et adapter la contribution fiscale légitime des entreprises à leur stratégie.
Moraliser le capitalisme, c’est le miroir aux alouettes. Contrairement aux arguties présidentielles, le capitalisme n’est pas une éthique. Le capitalisme est amoral, il ne fonctionne pas à la vertu mais à l’égoïsme. Le philosophe André Comte-Sponville, qui dresse ce constat, ajoute aussitôt : « Plus on est lucide sur la force de l’économie et sur la faiblesse de la morale, plus on se doit d’être exigeant sur le droit et la politique. »
L’occasion vous en est donnée. Les députés du groupe GDR voteront cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Alain
Bocquet

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