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Fonction publique : vote électronique à distance lors des élections des conseils des EPSCP

Nous discutons aujourd’hui de la proposition de loi n°1824 tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.
Évoquons, dans un premier temps, le contexte de l’examen de cette proposition de loi. Il faut revenir au cœur de l’été 2007 – au 1er août exactement, date à laquelle les députés de la majorité ont adopté à la sauvette la loi libertés et responsabilités des universités, dont la promulgation a entraîné, souvenons-nous-en, une importante mobilisation dans les universités françaises.
Or, pour pouvoir répondre à la préoccupation du chef de l’État de « ne plus voir les enseignants, les chercheurs et les étudiants dans la rue », vous avez, madame la ministre, tranquillement laissé passer le « printemps 2009 des universités » pour envoyer, peu après la fin de l’année universitaire, un député franc-tireur tenter de faire passer une énième réforme – réforme qui vise, selon l’exposé des motifs, à pallier le déficit de participation aux élections, notamment dans les universités, grâce à la mise en œuvre du vote électronique à la place du vote traditionnel. Ce vote qui, d’après l’auteur du texte, « empêche pratiquement les étudiants handicapés et les étudiants stagiaires de prendre part au scrutin ».
Mais les objectifs apparaissent moins charitables dans le rapport de M. Robinet : « La lutte contre la désaffection qui touche ce type de consultation revêt également un caractère d’urgence. En effet, une faible participation se traduit – mécaniquement – par un affaiblissement de la légitimité des conseils élus à l’issue de ces scrutins. Or cette légitimité est devenue aujourd’hui encore plus indispensable avec le renforcement de l’autonomie administrative et financière des EPSCP impulsé par la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités. »
Pour légitimer la loi LRU, c’est bien l’urgence qui prévaut : la proposition de loi a été enregistrée le 8 juillet dernier, et sa discussion envisagée dès le 29 juillet par le décret du Président de la République visant à convoquer le Parlement en session extraordinaire !
Votre calendrier est visiblement étudié, puisque vous avez inscrit ce texte à l’ordre du jour de la session de septembre, quand les étudiants n’ont pas encore effectué leur rentrée !
Vous avez donc probablement envoyé un franc-tireur, même si d’aucuns affirment que vous ne seriez pas à l’origine du texte. Dans ces histoires de faux-fuyants, vous restez dans le mauvais camp : celui de ceux qui n’ont qu’un dessein, réduire la contestation universitaire et donner le champ libre aux présidents d’université pour la mise en œuvre de l’autonomie afin qu’ils puissent assister, glorieux, à ce qui peut ressembler au dernier souffle du service public de l’enseignement supérieur !
Car vous vous êtes apparemment précipitée à la rescousse de la proposition de loi amputée. La lecture d’un article paru vendredi dernier sur le site de l’UMP révèle ainsi votre collusion législative.
« Vidée des articles les plus impactants et donc de son sens, cette proposition de loi [...] n’aura plus aucun intérêt en l’état. […] Arnaud Robinet a donc fait appel à Valérie Pécresse pour qu’elle puisse rendre possible [l’examen de cette proposition de loi] en déposant de nouveaux amendements. ».
Qu’on se le dise dans les universités : la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche est donc une fois de plus prête à l’affrontement.
Cette manœuvre de la majorité est inacceptable. Car, tandis que les députés de l’opposition sont empêchés de créer ou d’aggraver des charges publiques, ceux de la majorité peuvent prévoir n’importe quoi dans leurs textes, puis attendre qu’un ministre y introduise les mesures les plus coûteuses.
C’est totalement déloyal, et je pense que cette distorsion de traitement doit nous amener à considérer très rapidement une révision de l’article 40 – j’en ai déjà parlé cet après-midi : il semble qu’il soit remis au goût du jour, dans des interprétations tout à fait nouvelles. Mais, pour l’heure, si le Gouvernement remet réellement en place le dispositif initialement prévu, il appartiendra à l’opposition de faire à nouveau vérifier la recevabilité du texte avant son adoption finale.
J’en finis avec le contexte en rétablissant quelques vérités sur ce qui s’est passé durant la dernière quinzaine. Je partirai de ce qu’indique le même article mis en ligne sur le site de l’UMP : « Comme on pouvait s’y attendre, cette proposition de loi s’est heurtée à un blocage organisé par le parti socialiste en commission des affaires culturelles d’abord, puis en commission des finances. »
Loin de moi l’idée de dénier au parti socialiste le travail qu’il a produit sur ce texte avec les interventions remarquées de Mmes Boulestin et Martinel et de MM. Juanico et Bloche en commission des affaires culturelles. Mais faut-il vous rappeler que c’est ma collègue Marie-Hélène Amiable, qui a demandé, au nom des députés communistes, républicains et du parti de gauche, la vérification de la recevabilité du texte ? Mme Tabarot a subtilement sollicité un avis sur les seuls articles 1er et 3 – dans une démarche qui s’apparente à un gros clin d’œil pour maintenir la proposition de loi à l’ordre du jour.
Mais, en ce qu’il autoriserait le vote par correspondance – et nécessiterait donc l’envoi postal du matériel de vote – l’article 2 était bien susceptible d’avoir un impact financier.
J’ajoute que je m’étonne que l’irrecevabilité des articles n’ait pas été officiellement communiquée à chaque député. Cette mise sous silence me semble problématique à deux niveaux : d’une part, elle contraint les parlementaires à travailler sur des textes qui ne seront pas mis en discussion ; d’autre part, elle évite que l’opinion publique puisse se saisir des petites victoires qui émaillent la vie de l’opposition et permet au Gouvernement de venir plus discrètement réintégrer des dispositifs jugés contraires à la Constitution.
La dernière période a donc autant ressemblé à une stratégie de dissuasion qu’à une belle partie de poker menteur.
J’en viens au fond du texte – même si, sur ce point, il faut bien avouer qu’il y a peu de choses à commenter : l’auteur aurait dû le retirer, comme le permet l’article 84 de notre règlement.
Le titre du texte a perduré mais a été modifié in extremis en commission pour supprimer la notion de vote à distance et la remplacer par celle de vote électronique. Le rapporteur a précisé que celui-ci s’effectuait nécessairement à distance et déclaré : « Ne confondons pas les machines à voter et le vote électronique. »
Pardon, monsieur Robinet, mais ne savez-vous pas que le vote électronique comprend le vote à distance par internet, mais aussi les ordinateurs de vote ou le vote par kiosque dans des bureaux de vote ?
Doit-on en conclure que vous n’avez pas pris le temps nécessaire à la bonne élaboration de cette proposition de loi, ou, comme l’a déclaré plus trivialement le président de l’UNEF que « ce texte est bâclé, partiel, [et] partial » ?
C’est vrai que vous n’avez, par exemple, pas estimé nécessaire de procéder à l’audition du SNESUP, pourtant premier syndicat de l’enseignement supérieur, pas plus que de l’ASTI, qui a recommandé, en décembre 2007, que « pouvoirs publics, partis politiques et société civile ne recourent en aucune manière au vote électronique anonyme, y compris au moyen de machines à voter. »
Pour revenir à la question du vote électronique, et puisque nous ne pouvons imaginer qu’il s’agit d’une méconnaissance de votre part, nous supposons que vous avez délibérément choisi d’élargir la portée de la proposition de loi.
Ne serait-ce pas ce que la société Extelia vous a suggéré lorsque vous l’avez auditionnée ? Il apparaît en effet que la plateforme de vote électronique qu’elle propose va bien au-delà du simple vote par internet.
Car le marché des machines à voter semble assez lucratif. Un seul exemple : à Issy-les-Moulineaux, le maire avait accepté de débourser 300 000 euros en 2007 pour équiper ses bureaux de vote de soixante machines à voter ! Il est vrai aussi qu’Extelia n’a pas dû se vanter de ses performances en matière de sécurité sur internet et de toutes les difficultés qu’elle a rencontrées pour sécuriser son propre site après avoir été choisie par le ministère de la culture pour mettre en œuvre la gestion des avertissements et sanctions de l’HADOPI !
Je veux détailler enfin les quelques amendements que nous avons déposés pour cette séance.
Nous exigerons que les bureaux et techniques de vote soient accessibles aux personnes handicapées, qui doivent aussi pouvoir se faire assister durant l’opération. Nous proposerons aussi la suppression des deux articles restants.
Nous aurons sans doute l’occasion, plus tard, d’évoquer tout le mal que nous pensons du vote électronique. Sur le plan technique, il ne semble pas apporter assez d’assurances en termes de confidentialité, de fiabilité et de sûreté. Sur le plan juridique, il ne peut garantir ni le secret et la liberté de vote, ni la sincérité des opérations électorales. Sur le plan social, il pourrait être détourné par certains chefs d’établissements désireux d’interroger rapidement les électeurs sur l’opportunité des mouvements de grève et de blocage. Sur le plan démocratique, il n’accroît pas la participation et risque d’être conditionné par la possibilité d’accéder ou non à un équipement informatique.
Vous voyez en tout cas que nous ne refuserons pas de discuter de vos propositions.
 

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Jacques
Desallangre

Député de Aisne (4ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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