Interventions

Discussions générales

Fonds européen de développement social, solidaire et écologique

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Jean-Pierre Brard, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, le projet de résolution que je présente aujourd’hui est le fruit d’un travail commun entre les députés communistes, républicains et du Parti de gauche et le groupe Die Linkeau Bundestag. C’est pour nous un moment chargé d’émotion, car c’est la première fois dans l’histoire de nos deux assemblées que de tels liens se tissent.
Ce travail commun, nous le portons ce matin, comme nos camarades du groupe Die Linke le feront ce soir au Bundestag, afin de donner au couple franco-allemand un autre visage que celui d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, qui nous est imposé. Vous reconnaîtrez avec moi, monsieur le ministre, que l’enjeu le mérite.
Avec nos collègues allemands, nous voulons porter l’exigence d’un autre avenir pour l’Europe et d’une autre vision du couple franco-allemand. C’est un travail de pédagogie politique auquel nous nous livrons car, grâce à cette proposition de résolution franco-allemande, nous faisons la démonstration que d’autres relations entre nos deux peuples sont possibles. Le couple franco-allemand peut vraiment être un moteur pour l’Europe, à condition qu’il ne soit pas le fer de lance – certains pourraient même dire, si j’en crois les médias, la pointe du casque – de la vaste offensive que les marchés mènent actuellement contre la démocratie.
À ceux qui nous proposent une réédition moderne de la Sainte-Alliance – je sais que vous avez des lettres, monsieur le ministre – où Nicolas Sarkozy et Angela Merkel remplacent Guizot et Metternich, nous opposons l’héritage de Jean Jaurès et de Rosa Luxembourg, qui, le 29 juillet 1914, à la veille du premier conflit mondial, appelaient encore les peuples à refuser la guerre.
Les réponses que le duo infernal Sarkozy-Merkel apporte à la crise économique systémique que nous subissons ne nous conviennent pas. Les tractations en coulisse, les petits arrangements coupables qui écrasent les peuples et bafouent les souverainetés nationales, nous n’en voulons pas ! La diplomatie du troc que pratiquent Mme Merkel et M. Sarkozy, nous la rejetons. Règle d’or contre eurobonds, FMI contre BCE : les monnaies d’échange des accords Sarkozy-Merkel, c’est le pilori pour les peuples. Nous n’acceptons pas ce fédéralisme caporalisé qui, sous couvert de rigueur budgétaire, prive progressivement les peuples de leur contrôle souverain et organise la mainmise de la finance sur les gouvernements d’Europe.
Le couple franco-allemand, tel que nous le voyons, doit être utilisé, non comme un instrument au service des marchés, mais comme un outil entre les mains de nos deux peuples pour construire une autre Europe, une Europe qui non seulement donne de l’espoir aux peuples européens, mais qui devienne un phare pour la planète tout entière.
Pour qu’un couple dure, chacun des deux partenaires doit pouvoir compter sur l’autre, avoir confiance en l’autre. Chacun doit pouvoir trouver en l’autre une complémentarité et un soutien de chaque instant. Respect mutuel, franchise, soutien dans l’épreuve : voilà – et je pense que vous êtes d’accord avec moi au moins sur ce point, monsieur le ministre – quelques-unes des qualités essentielles qui fondent un couple heureux. A contrario, le chacun pour soi, la cupidité et le mépris ne peuvent mener qu’au divorce. De ce point de vue, le couple franco-allemand, comme les relations entre les différents États de l’Union, ne font pas exception. Avec nos camarades allemands, nous opposons la solidarité à la discipline, la fraternité à l’arrogance et la concertation aux oukases.
Depuis plus d’une décennie, la plupart des pays européens se sont lancés dans une course au moins-disant fiscal, que vous baptisez pudiquement « attractivité fiscale ». Cette course a abouti à un abandon massif de recettes fiscales – 100 milliards d’euros par an, selon notre rapporteur général, Gilles Carrez – et à un transfert de la fiscalité des bases les plus mobiles, c’est-à-dire le capital, les ménages les plus aisés et les grandes entreprises multinationales, vers les bases les moins mobiles : classes moyennes et populaires, petites entreprises.
Comme le disait notre collègue du Bundestag Richard Pitterle lors de sa venue à Paris en octobre dernier, le temps est venu de « mettre fin à la redistribution des richesses du bas vers le haut », car cette politique a eu deux effets que nous payons collectivement aujourd’hui.
D’une part, elle a conduit à l’augmentation du déficit public et de la dette, dont le Gouvernement se sert comme alibi pour imposer aux peuples le pain sec de l’austérité. D’autre part, elle s’est traduite par des politiques de recherche de compétitivité non coopérative – comprenez : dumping fiscal et social – dont l’Allemagne est l’exemple type. En effet, qu’a fait ce pays de si remarquable pour que vous le présentiez comme le modèle à suivre ?
Est-ce sa neuvième place au rang des paradis fiscaux – si l’on en croit la revue Financial Secrecy Index – que vous jalousez ? Ces vingt dernières années, l’Allemagne est le pays d’Europe qui a créé le moins d’emplois. C’est celui, à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie, où la hausse des inégalités de revenus a été la plus forte. C’est celui où la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus diminué, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus baissé. Dans ce que vous présentez comme un pays modèle, 18 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Allez voir, mes chers collègues, la longueur des files d’attente devant les soupes populaires à Berlin. Cela vous immunisera contre le « miracle allemand », auquel vous croyez et qui n’est qu’un mirage. En Allemagne, un emploi sur trois est un emploi précaire ; un sur dix est un job à moins de 400 euros par mois ; 2,5 millions de personnes travaillent pour moins de cinq euros de l’heure. Les salaires ont été bloqués et la TVA sociale a transféré le financement de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Et ne venez pas me dire que tout cela, c’est Schröder. Certes, c’est lui qui a fait cela, mais cela ne veut pas dire qu’il est un homme de gauche. La preuve, il est actionnaire de Gazprom !
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. De la mer Baltique aux Alpes, du Rhin à l’Oder, l’Allemagne s’enfonce dans la pauvreté et la misère. Je vous renvoie aux derniers chiffres qui viennent d’être publiés. Est-ce cela que vous voulez pour la France ? Ce sont pourtant les conséquences de l’avantage comparatif des Allemands.
Il s’agit d’un avantage comparatif à l’égard, non de la Chine ou du Brésil, mais de la France et de l’Italie. Les déficits grecs, portugais, espagnols ou français financent l’excédent allemand, tout comme le déficit américain finance l’excédent chinois. Si la France se lance dans une politique dite de convergence avec l’Allemagne, vers qui ce pays exportera-t-il ? La politique du passager clandestin ne peut fonctionner que lorsqu’il n’y en a qu’un ; si personne ne paie son billet, le système s’effondre. Vouloir exporter l’Agenda 2010 à toute l’Europe est non seulement irrationnel, mais aussi suicidaire.
La réunion des ministres des finances de la zone euro avant-hier a confirmé les craintes déjà exprimées par notre groupe à cette tribune. Le fonds européen de stabilité financière ne sera pas en mesure de faire face aux exigences du renflouement conjoint de l’Espagne et de l’Italie. C’est désormais le FMI que Mme Merkel et M. Sarkozy veulent appeler à la rescousse. La maison Europe brûle et les pompiers choisissent d’appeler le pyromane pour contenir l’incendie !
Toute l’agitation médiatique du Président de la République n’y pourra rien changer, pas même le grand spectacle de ce soir. Toujours en retard sur les événements et incapable intellectuellement de comprendre ou d’accepter de traiter les raisons profondes de la crise, le couple Sarkozy-Merkel a choisi de satisfaire les exigences des marchés et de faire payer aux peuples cette énième crise du capitalisme.
Il est donc temps de passer d’un système faisant la part belle à l’arrogance, à la cupidité et au chacun pour soi, à un système coopératif, solidaire et fondé sur le respect mutuel. C’est pourquoi nous vous proposons, avec nos collègues de Die Linke,de changer de concept et de faire entrer l’Europe dans une logique de convergence sociale, d’harmonisation fiscale, de montée en puissance d’un budget européen soutenant les filières industrielles, les investissements d’avenir et la relance de la consommation intérieure tout en préservant un système de protection sociale qui, en France, a fait ses preuves.
C’est tout le sens de cette proposition de résolution. Elle vise, dans un premier temps, à créer un fonds européen de développement social, solidaire et écologique qui, en canalisant des financements importants au service de grands projets d’intérêt général, pourra être un véritable instrument de gouvernance économique.
Pour répondre aux interrogations formulées en commission des affaires européennes par notre collègue Pascale Gruny, ce fonds sera, dans notre esprit, complémentaire des trois fonds européens existants – le fonds européen de développement régional, le fonds social européen et le fonds de cohésion –, censés renforcer la cohésion économique et sociale entre pays et régions de l’Union.
Son financement sera assuré, d’une part, par la mobilisation de l’épargne populaire, sur laquelle veulent faire main basse les établissements bancaires, et d’autre part, par l’émission de titres publics de développement social, lui donnant accès à la monnaie de la Banque centrale.
M. le président. Merci d’en venir à vos propos conclusifs, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Monsieur le président, je vous entends, mais vous reconnaîtrez que c’est un événement important que ce débat.
Notre deuxième proposition consiste en la création d’une taxe portant sur un patrimoine excédant un million d’euros : la « taxe sur les millionnaires », comme on l’appelle à Berlin. Cette taxe aura une double vertu : abonder les budgets nationaux, et aller vers une plus grande harmonisation. C’est une nécessité que même le gouvernement technocratique de M. Mario Monti semble avoir comprise, lui qui a proposé le rétablissement d’un ISF en Italie.
Enfin, nous soutenons plusieurs mesures incontournables afin de lutter contre la spéculation en général, et la spéculation sur les dettes souveraines en particulier : adoption – enfin ! – de la taxe sur les transactions financières dès 2012 ; interdiction des ventes à découvert et des CDS sur les dettes publiques ; fermeture des marchés de gré à gré grâce au rapatriement des transactions sur les marchés réglementés ; interdiction du trading haute fréquence, dont l’utilité sociale n’a jamais pu être démontrée et qui a, au contraire, fait la preuve de sa nocivité ; enfin, interdiction aux agences de notation de porter une appréciation sur les dettes souveraines.
Mes chers collègues, comme le disait l’autre jour Michel Diefenbacher à nos collègues de la commission des affaires européennes, notre proposition est « idéologiquement cohérente ».
Riches de notre passé commun, si terrible et si beau, nous, parlementaires français et allemands, portons une responsabilité particulière devant l’histoire de l’Europe qui s’est construite à la faveur de la réconciliation de nos deux peuples – et il nous faut rendre ici hommage au général de Gaulle et à Konrad Adenauer, qui ont été visionnaires avant d’autres. Cette Europe pourrait désormais périr de la main même de ceux qui l’ont enfantée si nous la laissions dans les mains du couple Sarkozy-Merkel qui, avec arrogance, veulent imposer leurs choix aux autres peuples, choix qui correspondent non pas à l’intérêt des peuples, mais à ceux des actionnaires.
Je termine, monsieur le président.
M. le président. Oui, merci.
M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à un tournant de notre histoire. Allemands et Français ne pourront, seuls, mener à bien le combat contre le coup d’État de Goldman Sachs et consorts sur l’Europe. C’est avec les Grecs, les Portugais, les Italiens, les Espagnols, les Slovènes et tous les autres que nous parviendrons à mettre en échec l’offensive anti-démocratique que mènent les marchés contre nos peuples.
Aujourd’hui, ce n’est qu’une étape : à l’initiative de Die Linke, rendez-vous…
M. le président. Il faut conclure, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. …est déjà pris le 16 décembre prochain avec des parlementaires de toute l’Europe pour organiser la riposte face à l’OPA hostile de la finance sur nos démocraties. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Imprimer cet article

Jean-Pierre
Brard

Sur le même sujet

Affaires étrangères

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques