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Formation professionnelle

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, permettez en préambule un point sur la procédure qui prévaut à l’examen de ce projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi, à la démocratie sociale.
Le projet d’accord national interprofessionnel sur la réforme de la formation professionnelle a été finalisé le 14 décembre dernier. Le projet de loi censé transcrire cet ANI et qui intègre finalement des sujets n’ayant rien à voir avec la formation professionnelle a été présenté en conseil des ministres le 22 janvier. Le même jour, la commission des affaires sociales saisie au fond auditionnait le ministre. Le texte était concomitamment déposé sur le bureau de notre assemblée, mais il faudra attendre le 23 janvier à 17 heures 15 pour qu’il soit mis en ligne, soit moins de 48 heures avant la forclusion du délai de dépôt des amendements en commission des affaires sociales.
Cette dernière a ainsi dû réussir la prouesse d’examiner pas moins de 555 amendements en une journée ! Loin d’être une critique, c’est un éloge de l’efficacité de cette commission et de ses membres\’85\
Parallèlement d’ailleurs, un débat était organisé à l’initiative du groupe GDR pour évaluer les premiers impacts de la loi sur la sécurisation de l’emploi. Le délai de dépôt des amendements pour la séance publique a dû être prolongé afin de permettre d’amender le texte de la commission.
Le débat est prévu pour trois jours, en temps programmé, les plus petits groupes disposant d’une heure quinze minutes au lieu d’une heure cinquante minutes, temps qui leur est habituellement imparti. Le texte ne fera pas l’objet d’un vote solennel, afin de ne pas retarder sa transmission au Sénat et son adoption définitive avant la suspension des travaux de l’Assemblée nationale pour cause d’élections municipales, et afin de permettre sa promulgation dans les plus brefs délais.
De plus, monsieur le ministre, vous avez engagé la procédure accélérée, qui n’autorise qu’une seule lecture dans chaque chambre. Je souhaite le dire ici de manière très solennelle : cette procédure est incompatible avec l’exigence d’un débat de fond sur un texte conséquent et avec notre volonté à tous – je dis bien : à tous – de bien faire la loi.
Elle révèle une forme de mépris pour la représentation nationale et pour le Parlement tout entier, mais aussi une forme de mépris pour les actifs et pour les agents auxquels s’adresse ce projet de loi.
Faut-il rappeler, chers collègues de la majorité, nos appels conjoints, dans cette enceinte, en faveur d’une revalorisation du rôle du Parlement ? Combien de fois nous nous sommes élevés contre le fait que la représentation nationale était piétinée sans vergogne !
Comment voulez-vous, dans ces conditions, redonner confiance à nos concitoyens dans la politique et dans nos institutions ?
Cette précipitation ne serait-elle pas un signe, celui d’une certaine fébrilité et d’une volonté de museler le débat public et parlementaire ? Je pose la question.
Elle rappelle singulièrement la fébrilité qui a prévalu pour la discussion du projet de loi dit de sécurisation de l’emploi et aussi celle du projet de loi portant réforme des retraites – j’aurais pu parler, plutôt, de « contre-réforme » mais je me borne à parler de réforme. Ces deux textes régressifs resteront comme les stigmates antisociaux de ce quinquennat.
Cela nous conduit légitimement à nous interroger sur la raison ou les raisons de ce nouveau passage en force pour écrire que ce que vous appelez, monsieur le ministre, une nouvelle page de notre histoire sociale.
Alléluia ! Résonnez, hautbois ! Claironnez, trompettes ! (Sourires.)
Cette impatience est-elle liée au volet formation professionnelle de ce projet de loi ? Nous ne le pensons pas. En dépit de diverses critiques, notamment de la part de la CGT et de la CGPME, non-signataires de l’ANI du 14 décembre 2013, la nécessité de réformer notre système de formation professionnelle fait l’objet d’un assez large consensus. Je n’y reviendrai pas : ma collègue Jacqueline Fraysse s’est déjà largement exprimée sur le sujet et les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine y reviendront lors de l’examen des amendements.
Je me permets cependant de souligner une insuffisance dans ce volet du projet de loi, qui concerne les conditions de représentation des acteurs de la formation professionnelle au sein des instances chargées de la coordination des politiques de l’emploi, de l’orientation et de la formation professionnelle : il s’agit, à l’article 14, de l’absence de représentation de la profession agricole, qui siège pourtant au conseil national de l’emploi et au conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Leur demande de représentation au sein du conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle, comme au sein des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles me paraît, à ce titre, pleinement justifiée. Plus globalement, ce texte aurait mérité une meilleure prise en compte des spécificités du secteur agricole et de ses salariés.
Votre précipitation ne découle pas non plus du sujet épineux des élections prud’homales, retiré in extremis du texte initial, ni des articles relatifs à la représentativité patronale, qui n’intéressent que les patrons.
Quelles sont donc, monsieur le ministre, les raisons qui expliquent ce calendrier expéditif ? Serait-ce la disposition suspendant jusqu’au 30 juin et de manière rétroactive l’application des dispositions relatives à la durée minimale des contrats à temps partiel introduites par la loi de sécurisation de l’emploi pour permettre aux branches de négocier des accords dérogatoires à cette durée minimale ? Ils priveront une grande partie des salariés à temps partiel d’une des seules avancées que comportait ce texte.
Ne serait-ce pas, surtout, cet article 20, dont l’objet est la « réforme Sapin » de l’inspection du travail, véritable charge de cavalerie législative sans lien avec le reste du projet de loi, que vous présentez vous-même comme l’un des trois grands répertoires de la vie des entreprises, au nom de la cohérence – de votre cohérence ? Cet article est en fait une réforme globale de l’inspection du travail, qui nécessiterait à elle seule – ma collègue Jacqueline Fraysse l’a dit – un projet de loi spécifique et un débat approfondi, mais vous avez délibérément choisi de le glisser dans ce projet de loi pour donner des gages à un patronat avide d’engranger de solides contreparties aux faibles avancées qu’il consent.
En dépit des réorganisations entreprises depuis 2006 par vos prédécesseurs, qui visaient à desserrer l’étau des contraintes pesant sur les entreprises en termes de droit du travail, l’inspection du travail a su conserver un haut niveau d’activité, en raison notamment de la préservation du statut des inspecteurs et contrôleurs du travail, ce qui, sans surprise, conduit le patronat à demander davantage de flexibilité dans l’application et le contrôle du droit du travail.
Sur fond de chômage de masse, de crise économique et de chantage à l’emploi et aux délocalisations, vous avez donc repris le flambeau de la déréglementation. Après une parodie de dialogue social en interne, vous avez concocté un projet de réforme de l’inspection du travail propre à « faire face aux enjeux d’un monde du travail qui évolue » – selon les termes employés dans le compte rendu du conseil des ministres du 6 novembre 2013. Ah ! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Malheureusement, l’illusion lyrique ne suffit pas. Le constat est amer, la musique aigrelette.
Le monde du travail évolue sous votre haut patronage ministériel comme sous celui de vos prédécesseurs, au détriment des droits des travailleurs, pour le plus grand bénéfice des actionnaires, des employeurs, des donneurs d’ordre, d’une économie internationale de casino, ouverte aux quatre vents de la dérégulation, de la concurrence effrénée, de la maximisation des profits. Pour reprendre la formule de Gramsci, alors qu’un ancien monde se meurt et qu’un nouveau monde tarde à venir, plutôt que de participer à la construction de ce nouveau monde, vous vous échinez à rafistoler l’ancien !
Certes, vous plaidez pour le renforcement de l’inspection du travail, mais en réalité votre réforme consiste à enfoncer des coins dans l’organisation de corps de fonctionnaires d’État. Ces coins sont autant de moyens de l’affaiblir dans l’accomplissement de la mission d’application du droit et de la réglementation sociale, mission dont il s’acquitte avec succès depuis plus de cent vingt ans.
Dans toute réorganisation dans la fonction publique, le premier axe consiste invariablement à réduire les effectifs. La modernisation de l’action publique, dite MAP, l’impose – elle est bien la digne héritière de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP ! Mais qu’on se rassure : il s’agit de renforcer l’effectivité du droit au travail. La logique est implacable : alors que le corps de l’inspection du travail a déjà connu une monumentale saignée ces dernières années, et que 2 250 fonctionnaires seulement contrôlent 1,8 million d’entreprises employant 18 millions de salariés, vous considérez comme une urgence sociale la réduction du nombre d’agents dévolus au contrôle du travail dans les entreprises.
Le sujet est d’actualité : le Parlement européen a adopté une résolution le 14 janvier dernier, faisant état de sa préoccupation face au manque de personnel des autorités de contrôle des États membres. Foin de ces inquiétudes communautaires, qui plus est formulées par le Parlement européen : non seulement une note de pré-notification des effectifs prévoit la suppression de près de 400 emplois toutes catégories confondues d’ici à 2015, mais de surcroît les postes de directeur d’unité de contrôle, les fameux DUC, seront imputés sur les effectifs de l’inspection du travail généraliste, soit une baisse d’effectifs sur le terrain de près de 10 %. Et cela sans compter la création ou le renforcement des échelons hiérarchiques régionaux et nationaux : création du groupe national de contrôle et renforcement des postes spécialisés rattachés aux unités régionales de contrôle.
L’engorgement des juridictions civiles, pénales et prud’homales justifierait à lui seul une augmentation des effectifs de l’inspection du travail, pour améliorer la qualité du service rendu en amont aux usagers et améliorer le droit et la protection des travailleurs face aux abus et aux infractions manifestes de certains employeurs. Pourtant, votre projet de « ministère fort » postule que le droit du travail sortira renforcé de cette réduction des moyens alloués aux contrôles de terrain. Je ne pense pas, monsieur le ministre, que cette audace rhétorique suffira à convaincre, ni qu’elle atténuera la défiance à l’égard de votre politique sociale !
La réorganisation des services, deuxième axe de votre réforme, réduira la liberté d’action des inspecteurs et mettra à mal leur indépendance. Le plan de transformation d’emploi prévoit de remplacer progressivement, sur une période de dix ans, les contrôleurs du travail par des inspecteurs du travail. Il ne fait que modifier la répartition des compétences au sein de l’inspection du travail : cela n’apportera aucun gain d’efficacité, d’autant que – comme nous l’avons dit – cette augmentation du nombre d’inspecteurs va de pair avec une diminution du nombre d’agents de contrôle.
Selon vos propres instructions, monsieur le ministre, cette transformation d’emploi, couplée à la réorganisation des unités de contrôle autour d’un DUC, permettrait au système d’inspection de fonctionner de manière plus collective. Ce procès en individualisme intenté à votre propre administration ne résiste pas à l’analyse. Les inspecteurs et contrôleurs d’une unité de contrôle exercent la même mission sur un même territoire ; à l’avenir, chacun sera, sous l’égide de son DUC, isolé sur un secteur donné, à l’intérieur d’une unité de contrôle. Contrairement à ce que vous affirmez, le projet de loi organise donc le cloisonnement de la fonction de contrôle du droit du travail et la fin du caractère collectif des unités de contrôle. Ce cloisonnement se fait au profit d’une fonction de promotion de la politique du travail, politique forcément plus favorable aux entreprises en période de chômage de masse.
Vous semblez dire, monsieur le ministre, que mon discours est une accumulation de contrevérités.
Tout le monde pourra apprécier ce point de vue, y compris à l’extérieur de cet hémicycle : je pense en particulier aux agents et à la totalité des syndicats de votre administration, qui rejettent cette réforme !
L’objet de cette réorganisation est in fine de renforcer la tutelle hiérarchique sur les agents de contrôle – tant par les DUC que par le groupe national de contrôle, d’appui et de veille. Cela porte une atteinte grave à l’indépendance des agents de l’inspection du travail, pourtant garantie par la convention no 81 de l’OIT, convention reconnue par le Conseil d’État et consacrée par le Conseil constitutionnel au titre des principes fondamentaux du droit du travail. Le glissement de l’indépendance des inspecteurs vers l’indépendance du système d’inspection n’est pas de nature à nous rassurer : elle porte en germe une dégradation du service rendu aux travailleurs.
Qu’en est-il du troisième axe, celui des contreparties : les nouveaux pouvoirs et les nouvelles sanctions ? À vous croire, le recul que je viens de décrire serait en effet équilibré par les nouveaux pouvoirs dévolus aux agents de l’inspection du travail, permettant à l’administration de prononcer elle-même des amendes ou de proposer une transaction pénale aux employeurs passibles d’une peine de prison de moins d’un an. Dans les deux cas, les sanctions seront fixées par un directeur soumis aux injonctions du pouvoir exécutif – qu’il s’agisse du préfet ou du ministère – ou aux influences extérieures, toutes deux contraires à nos engagements internationaux concernant l’indépendance des agents de contrôle – il s’agit là toujours de la convention no 81 de l’OIT.
Par ailleurs, ces nouvelles sanctions ne présentent pas les mêmes garanties que les procédures judiciaires, notamment en termes de droits de la défense, de respect du contradictoire et d’égalité des employeurs face à la loi. Sous couvert de simplification et d’efficacité, vous déniez donc aux employeurs le droit à un procès équitable, et introduisez une nouvelle source d’insécurité juridique pour ces derniers. Mais ces considérations de principe ont sans doute moins pesé dans la balance que les demandes récurrentes des organisations patronales en faveur d’une dépénalisation du droit du travail. Il n’est pas étonnant que pas un seul des syndicats représentés à l’inspection du travail n’ait souscrit à ce projet, qui est délétère pour les droits des travailleurs comme pour les conditions de travail des agents.
Il faut se rendre à l’évidence : le projet de « ministère fort » que vous nous présentez signifie ni plus ni moins qu’une reprise en main de l’inspection du travail et l’affaiblissement de l’indépendance de ses agents, au détriment des travailleurs. Cette reprise en main se fait au profit d’une hiérarchie perméable aux lobbys et attentive aux attentes – voire au chantage – de certains patrons, une hiérarchie plus habituée, en période de chômage de masse, à défendre des politiques publiques en faveur de l’emploi qu’à sanctionner les abus et les atteintes au droit du travail. En fin de compte, votre projet ne fera que rendre l’inspection du travail et votre ministère plus fragiles face aux pressions patronales, qui se manifestent déjà.
L’exemple de la société Tefal, dont le journal L’Humanité s’est fait récemment l’écho, est à cet égard édifiant. Tefal, filiale du groupe SEB implantée en Haute-Savoie, est un des plus gros employeurs de la région : elle compte 1 800 salariés, la plupart ouvriers à la chaîne. Dans cette entreprise, on dénombre 300 cas de troubles musculo-squelettiques. Le médecin du travail a exercé son droit d’alerte en avril dernier, en raison d’une importante dégradation de la santé des salariés, et d’une augmentation des situations de risques psychosociaux en lien avec le travail. En janvier 2013, l’inspectrice du travail en charge du site s’était penchée sur l’accord de réduction du temps de travail, l’avait jugé illégal, et avait demandé à la direction de le renégocier. Cette dernière avait refusé catégoriquement. Le directeur départemental du travail, supérieur de l’inspectrice, l’a ensuite convoquée et ordonné de revoir sa position sur le dossier Tefal, menaces à l’appui. Elle apprendra ensuite que la direction de Tefal a usé de tous ses relais pour l’écarter du dossier : MEDEF, préfet, et même la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur !
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, qui illustre à merveille la proximité entre votre administration et le MEDEF, avec des liens de quasi-subordination dès lors qu’il s’agit d’emploi, notamment dans les grandes entreprises. Comment expliquer autrement l’attitude proactive du directeur départemental du travail ?
Avec votre réforme, des sociétés comme Tefal, indisposées par les contrôles de l’inspection du travail, seront assurées d’être traitées avec davantage d’égards, les inspecteurs pouvant être à tout moment dessaisis de leurs dossiers, voire interdits d’agir, notamment par le groupe national de contrôle, d’appui et de veille.
Dire cela, monsieur le ministre, ce n’est pas, comme vous essayez de le faire croire, être partisan de l’immobilisme. Vous dites la même chose des syndicats représentés dans l’inspection du travail, lesquels tiennent le même discours que le mien. Comme je l’ai dit, tous ces syndicats sont opposés à votre réforme. Vous leur avez même reproché d’être attachés à la défense d’intérêts corporatistes !
Bien au contraire, nous défendons des propositions en faveur des droits et de la protection des travailleurs, en faveur d’une véritable Sécurité sociale professionnelle. Aujourd’hui, nous défendons – ainsi que vos agents – l’indépendance d’un corps qui constitue le principal rempart préventif aux atteintes au droit du travail par les employeurs. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons d’opérer une extraction dans ce projet de loi.
Nous vous demandons d’arracher de ce texte les onze pages qui mettent l’inspection du travail en coupe réglée. Mettez-les dans un bocal et laissez infuser ! (Sourires.) Laissez infuser longtemps, très longtemps, puis collez une étiquette sur ce bocal, monsieur le ministre. Sur cette étiquette, qui jaunira avec le temps, on pourra lire : « réforme Sapin de l’inspection du travail. » Ce bocal instruira les générations à venir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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