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Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, l’examen du texte qui nous est soumis aujourd’hui vise à répondre aux demandes répétées des élus locaux et intercommunaux : à quelques semaines du transfert de la compétence « gestion des milieux aquatiques et protection contre les inondations », prévu par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, de 2014, ils sont en effet pour beaucoup d’entre eux dans l’incapacité d’assurer celle-ci et les risques qui vont avec, notamment en matière de protection contre les inondations.
Le peintre Claude Monet disait que « voir un petit cours d’eau s’enfouir dans les herbes vaut bien le sourire de la Joconde ». Mais la réalité est souvent plus complexe ! Voilà aujourd’hui, trois ans après, le résultat moins bucolique de lois diverses mais convergentes, car il faut en effet ajouter à la loi MAPTAM ses sœurs jumelles que sont la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe – et la loi relative à la délimitation des régions, qui ont profondément bouleversé les équilibres territoriaux, mais sans jamais que les premiers concernés – je parle des populations et de leurs élus locaux –, n’aient eu leur mot à dire lors de leur adoption ! Que n’avions-nous pas alerté à l’époque sur les incohérences et le pur dogmatisme qui consistait à imposer d’en haut des transferts de compétences sans prendre en compte les réalités territoriales et locales !
M. Jean-Paul Lecoq. Eh oui !
M. André Chassaigne. Comme trop souvent, les élus communistes et du Front de gauche avaient eu raison, avant l’heure, en refusant de céder à la mode des super-territoires, présentés comme l’alpha et l’oméga de l’aménagement moderne.
Et voilà que l’on se rend compte maintenant que ces transferts posent d’énormes difficultés, qu’ils ne sont ni efficaces ni réalistes, et que l’on nous propose de poser, çà et là, quelques rustines parce que, nous le savons tous chers collègues, l’approche technocratique est toujours plus belle que l’arrivée territoriale.
Ainsi, vous ne verrez aucune malice de ma part, madame la rapporteure, madame la ministre, si je dis que ce texte est avant tout un baume pour essayer de calmer un peu la colère grandissante des élus locaux, colère grandissante à l’égard de choix politiques qui s’inscrivent tous dans une vision libérale de l’avenir des territoires où seule compte la mise en concurrence entre grandes structures, entre grandes intercommunalités, entre grandes métropoles et grandes régions. Quelques jours après l’administration par l’exécutif d’une première pommade réconfortante aux maires réunis en congrès, voici donc un texte pour le moins technique, certes de bonne foi, mais qui procède plus de l’affichage que d’une volonté résolue de changer d’orientation. Aussi, je vous le dis tout de suite, mes chers collègues, nous ne sommes pas dupes de la façon de procéder. Malgré cela, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera ce texte, fidèle à sa conduite qui consiste à soutenir tout ce qui va dans la bonne direction. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes REM et MODEM.)
Pour autant, je doute qu’il suffise en lui-même à lever toutes les contraintes et difficultés imposées par le transfert de la compétence GEMAPI aux EPCI. Son contenu, minimaliste au regard des enjeux posés par la gestion de l’eau, est loin de nous satisfaire. On se doit de dépasser le simple caractère technique des dispositions qu’il contient et qui feront pour l’essentiel, je le pense, consensus. Car il est des problématiques majeures qui sont, encore une fois, totalement et sciemment écartées. La plus fondamentale de ces omissions, malheureusement devenue récurrente au fil des travaux parlementaires, consiste à vouloir parler des compétences mais en évacuant toujours des débats la question des moyens. Vous-même, madame la rapporteure, vous êtes autocensurée en vous empêchant d’aborder ces questions sous le prétexte de la contrainte des délais d’examen et de mise en application de ce texte.
Je vais pour ma part m’autoriser à les aborder tout de même.
Car nous le savons tous, c’est bien la question des moyens qui est centrale. Et c’est à cette question qu’il nous faut travailler si nous ne voulons pas que le fossé se creuse entre les annonces et les réelles tentatives de résoudre les problèmes de gestion du grand cycle de l’eau ! Ainsi, sont inacceptables les derniers tours de passe-passe budgétaires qui consistent à prendre dans la poche de Paul ce que l’on refuse de donner à Pierre, tout en accusant Paul de ne pas travailler pour le bien commun : je veux parler des prélèvements iniques sur les agences de l’eau, dont on ne sait même plus à quel niveau ils s’élèvent dans le tourbillon des tergiversations entre la commission et la séance publique, et dans le flou entretenu dans les articles du PLF. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LR.) Mais le tournis que l’on nous impose ne suffit pas à nous faire perdre conscience !
Le Grand Maître des horloges souhaite donc que nos collectivités agissent au plus vite pour respecter plus efficacement leurs obligations en matière de qualité de l’eau, de protection des populations, d’amélioration des réseaux, de lutte contre les fuites, d’assainissement collectif et non-collectif. Mais, dans le même temps, ses petites mains gouvernementales – dont vous êtes, madame la ministre – coupent aveuglément 500 millions d’euros dans les ressources des agences qui servent pour l’essentiel à cofinancer leurs actions. Quelle logique redoutable ! Voilà où nous mènent très concrètement les politiques de contraction de la dépense publique et d’austérité si chères aux libéraux de tous les bancs – dont les convictions, il est vrai, sont parfois à géométrie variable.
Mais n’en restons pas là. Puisque vous avez mis sur les rails ce véhicule législatif, mes chers collègues, je vous propose de faire preuve jusqu’au bout de courage et d’esprit d’initiative. Pour reprendre une parole historique, vous savez bien qu’ « avec la vapeur, il faut le cylindre et le piston, sinon ça ne sert à rien » – des mots étonnants dans ma bouche puisqu’ils sont de Trotski. (Sourires.) La représentation nationale doit donc amplifier votre souffle pour proposer de vraies avancées.
Pourquoi donc ne pas commencer par réaffirmer l’exigence du maintien sous la responsabilité de l’État de la gestion et de l’entretien des digues domaniales construites sur nos fleuves ? Nos élus territoriaux n’ont nul besoin d’attendre, comme vous le proposez, un rapport sur les conséquences de ce transfert aux EPCI, d’autant que ce rapport ne viendra jamais… Vous savez, c’est un ancien qui vous le dit, les rapports, c’est comme le vitriol dans Les Tontons flingueurs : on en arrête souvent la production « parce que ça a fait des histoires ». (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR et MODEM, sur plusieurs bancs du groupe LR ainsi que sur quelques bancs du groupe REM.) Nos collectivités locales savent d’ores et déjà parfaitement ce qu’elles ne sont pas capables d’assumer faute de moyens financiers, techniques et humains. La gestion de ces ouvrages de protection relève pour l’essentiel de l’intérêt national puisqu’ils sont sis sur des cours d’eau domaniaux. Faisons donc sauter dès maintenant ce transfert de compétence qui n’avait, une fois encore, d’autre but que de dédouaner l’État d’une charge qui lui revient.
Chers collègues, comme vous sans doute, j’ai écouté attentivement le Premier ministre et le Président de la République il y a quelques jours. Sur ce sujet essentiel qu’est la gestion de l’eau, ils invitent désormais à faire preuve de plus de souplesse à l’égard des attentes des territoires. Chiche ! Faisons donc preuve de cette même souplesse et d’un vrai sens de l’initiative ; servons-nous utilement de ce texte pour définir ensemble, dès maintenant, les possibilités offertes aux communes de conserver leurs compétences « eau » et « assainissement » lorsqu’elles le souhaitent, et pas seulement de manière transitoire mais de manière pérenne !
Débattons ensemble dès aujourd’hui de ces dispositions concrètes ! C’est l’objet de plusieurs amendements que j’ai déposés, comme d’autres collègues également. Montrons que nous sommes capables de répondre à l’intérêt général des territoires sans attendre la validation d’un quelconque lider maximo ! Montrons dès maintenant que nous sommes utiles !
À l’occasion de l’examen de ce texte, j’ai tout de même le sentiment que le législateur que l’on voudrait désormais moderne et efficace, est en réalité de plus en plus souvent contraint de complexifier chaque fois un peu plus le droit, faute de prendre ses responsabilités au moment venu au regard de projets de lois incohérents et dogmatiques. Tel un enfant se rendant compte qu’il a fait une grosse bêtise, le législateur, comme en en mission, mobilise ensuite des trésors d’ingéniosité pour faire évoluer ce que j’appellerai, reprenant les mots d’Alexandre Vialatte, « le détail perdu d’un ensemble tronqué », pour nous faire avaler que l’on peut faire bien mieux avec bien moins. Madame la ministre, ce prêt-à-penser néolibéral irrigue aussi la politique de l’eau – je reconnais que l’image est facile. Et là aussi, il faut le combattre. Car il ne sert à rien de réaffirmer devant les maires que « soit nous y allons à fond, soit nos chances de succès sont minimes » tout en noyant allègrement le poisson – si on en reste là, on ne sera pas loin de Boby Lapointe – s’agissant de la baisse des ressources financières à disposition des principaux acteurs publics de l’eau.
Pour éclairer mon intervention, et après avoir cité Monet, je ne résiste pas à l’envie de vous faire méditer, madame la ministre, mes chers collègues, sur ce propos d’Élisée Reclus, géographe et communard, précurseur de la géographie sociale et de l’écologie, qui, dans sa remarquable Histoire d’un ruisseau, écrivait déjà en 1869 :
« Ainsi, tout n’est pas joie et bonheur sur les bords de ce ruisseau charmant où la vie pourrait être si douce, où il semble naturel que tous s’aiment et jouissent de l’existence. Là aussi la guerre sociale est en permanence ; là aussi les hommes sont engagés dans la terrible mêlée de la "concurrence vitale" ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M. Jean-Paul Dufrègne. Bref, il y a du boulot !

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