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Gouvernement : engagement de responsabilité sur la politique étrangère

En pleine crise économique et sociale, le chef de l’État cède à l’un de ses fantasmes politiques : la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Ce passage à l’acte a lieu dans des conditions pour le moins contestables sur le plan démocratique. Cette décision qui engage l’avenir de notre pays est prise loin du peuple, à l’abri de la sanction populaire. L’hypothèse d’un référendum fut balayée par l’exécutif d’un revers de mains méprisant. La Ve République est décidément le régime où le fait du prince prime sur la volonté du peuple, comme si ce dernier était incapable de se prononcer directement sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Même l’expression de la représentation nationale se trouve corsetée. Le Gouvernement a en effet décidé de verrouiller le débat parlementaire en ayant recours à l’article 49, alinéa 1, de la Constitution. La méthode est déplorable : il s’agit d’un débat-caution, organisé pour mieux ignorer les critiques et l’opposition forte qui s’expriment, y compris dans les rangs de la majorité.
Monsieur le Premier ministre, la preuve est faite que non seulement vous avez peur du peuple, mais que vous avez aussi peur de votre propre majorité.
Le moment est historique et grave. Il s’agit d’un retour en arrière, d’un reniement du temps où la France, par la voix du général de Gaulle, en 1966, avait clairement affiché sa volonté d’indépendance à l’égard des États-Unis.
Merci de le rappeler : effectivement, cette décision avait été soutenue, à l’époque, par les communistes. Et aujourd’hui, nous continuons à soutenir la particularité de la France sur la scène internationale.
Le moment est grave car, contrairement à ce que vous clamez, la réintégration dans le commandement intégré de l’OTAN ne constitue en aucun cas une simple formalité ou une décision technique.
Il s’agit d’une décision politique dont la charge symbolique est extrêmement forte. Il s’agit d’une rupture fondamentale dans la politique de la France, puisqu’elle signe la fin de plus de quatre décennies d’une « exception française » au sein de l’Alliance atlantique.
Cette rupture est à la fois injustifiée et dangereuse. Elle est injustifiée, tout d’abord, car les arguments avancés par l’exécutif ne convainquent pas. La prétendue influence que la France y gagnerait pour « européaniser » l’Alliance est un argument fallacieux. En fait, vous le savez, la capacité militaire de chacun des États détermine son poids au sein de l’Alliance. Son statut par rapport au commandement militaire intégré ne rentre guère en ligne de compte.
Ensuite, les deux futurs postes de commandements – l’un basé à Norfolk en Virginie, et l’autre à Lisbonne – attribués par les États-Unis à des généraux français en contrepartie de ce retour ne permettront pas non plus à la France d’accroître son influence. Il s’agit de deux postes de moyenne importance qui ne seront pas suffisants pour compenser la suprématie des Américains dans la chaîne opérationnelle de l’OTAN.
Il en sera ainsi tant que le processus décisionnel de l’Alliance n’aura pas été modifié en profondeur.
Or, jusqu’à aujourd’hui, le nouveau président américain n’a donné aucun signe concret d’une volonté inédite de partager les responsabilités de l’Alliance avec des partenaires dont le poids en matière de défense est loin d’être analogue à celui des États-Unis. On a donc peine à imaginer qu’en réintégrant pleinement l’Alliance, la France pourra influencer les décisions prises à Washington.
Outre cette chimère relative à la prétendue nouvelle influence que la France obtiendrait par son « retour », le second argument principal invoqué par l’exécutif consiste à lier le retour dans le commandement intégré de l’OTAN au progrès de l’Europe de la défense. Cet argument relève également du fantasme. En effet, non seulement la défense européenne est une idée « franco-française », mais la réintégration dans le commandement intégré de l’OTAN affecte toute raison d’être d’un tel projet.
Il apparaît que la perspective du retour de la France dans l’OTAN, loin de renforcer la Politique européenne de sécurité et de défense, participe, au contraire, à son affaiblissement. Ainsi, on a pu constater que la présidence française de l’Union a échoué à obtenir la création d’un état-major de commandement permanent pour la PESD. Or, on sait que sans cet état-major, la défense européenne n’a pas d’autonomie et dépend de la planification et des moyens collectifs de l’OTAN pour les opérations lourdes.
Par ailleurs, le retour complet dans l’OTAN n’empêchera-t-il pas l’Union européenne de sauvegarder un pôle européen indépendant dans le domaine de l’armement ? Il semble en effet que l’indépendance technologique de l’industrie française et européenne soit remise en cause par cette décision.
La réalité est qu’il n’y a pas de volonté des États membres de l’Union européenne d’avoir une défense européenne autonome. Ils ne veulent pas « concurrencer » l’OTAN et préfèrent s’abriter sous le « parapluie » américain pour leur sécurité. Les traités européens spécifient que la politique de défense européenne doit être « compatible » avec les positions adoptées par l’OTAN. Or, selon le secrétaire général de l’OTAN, il est « important que l’OTAN et l’Union européenne collaborent. Nous ne voulons pas de concurrence ou de doubles emplois inutiles ».
Nous considérons que la place que nous désirons pour l’Europe dans le monde ne peut être assumée ni en construisant une défense européenne dépendante de l’OTAN, ni en créant un clone européen du modèle américain. Nous considérons que la décision de Nicolas Sarkozy d’intégrer le commandement et d’envoyer des renforts en Afghanistan prend le contre-pied des évolutions qu’implique l’autonomisation européenne.
Le rapprochement atlantique tétanise ou affaiblit la capacité de penser des dynamiques de sécurité autres que militaires. Nous sommes favorables à une organisation européenne de sécurité collective fondée tout à la fois sur la prévention des crises, la résolution politique et multilatérale des conflits, le respect du droit international et des résolutions de l’ONU. L’Union européenne ne doit pas devenir une puissance militariste de plus, qu’elle soit inféodée à la superpuissance américaine ou même qu’elle cherche à s’en distancier. La France et l’Union européenne doivent œuvrer à la solution politique et négociée des conflits régionaux.
Enfin, le ministre de la défense, Hervé Morin, nous a indiqué, lors de son audition devant la commission de la défense, que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN « ne changeait rien, concrètement », car la France est déjà à 90 % dans l’Alliance, que les Français participent à toutes les opérations de l’OTAN depuis 1995, que nous commandons des opérations de l’OTAN, dont nous avons réintégré trente-huit comités sur quarante.
Aussi une question s’impose-t-elle : pourquoi revenir sur le statut de la France au sein de l’OTAN ? Votre décision n’est pas justifiée. Or, elle marque, je le répète, une rupture fondamentale dangereuse dans la politique de la France. L’annonce du retour de la France au sein de l’OTAN est l’expression de la nouvelle conception diplomatique « occidentalo-atlantiste », fondée sur l’alliance avec les États-Unis et sur la perception que les transformations du monde menacent la « famille occidentale ».
Comment définir les États et les peuples n’ayant pas le privilège de faire partie de ce cercle sélectif ? S’ils ne sont pas nos alliés, faut-il les considérer comme des ennemis potentiels, par définition ? Cette logique binaire qui marque votre conception du monde est dangereuse et n’est pas sans rappeler le penchant bushiste du Président Sarkozy, dont le maître à penser concevait le monde à travers les catégories du Bien et du Mal.
Le Président Sarkozy a clairement exposé son positionnement, dans son discours devant le corps diplomatique, le 18 janvier 2008 : « J’ai d’abord voulu situer, nettement et franchement, la France au sein de sa famille occidentale [...] En se plaçant clairement dans sa famille occidentale, la France, et c’était mon objectif, accroît sa crédibilité, sa marge d’action, sa capacité d’influence à l’intérieur comme à l’extérieur de sa famille. »
Ces propos relèvent de l’incantation, mais ni de la vérité, ni même d’un espoir. Comme le fait remarquer très justement Bertrand Badie, la décision de réintégrer le commandement de l’OTAN témoigne de la volonté du Président Sarkozy de renouer avec le courant, dominant sous la IVe République, qui rappelle que la France appartient d’abord au monde occidental et que son rôle est de contribuer à le promouvoir et à le protéger. Le chercheur précise que le thème de l’Occident a accompli son grand retour autour des années 2005-2006, avec la crise des Balkans – qui a à nouveau fait apparaître un clivage Est-Ouest en Europe –, avec l’évolution de la scène moyen-orientale – qui a contribué à faire renaître les thèmes culturalistes les plus extrémistes et a opposé jusqu’aux fantasmes Islam et Occident – et, surtout, avec la crise financière, qui conduit les États issus de cet ancien monde occidental à se sentir solidaires d’une même menace, dans la mesure où leurs économies se ressemblent, leurs inquiétudes sont les mêmes et leur interdépendance s’en est trouvée renforcée.
Ce qu’il faut bien comprendre aujourd’hui, c’est que la France ne rejoint pas l’Alliance de 1949, celle d’un monde bipolaire, qui n’a plus de justification historique. En cela, la décision présidentielle a quelque chose de profondément anachronique.
Il s’agit d’une vision tournée vers le passé, non vers un avenir pacifié.
La France rejoint une organisation qui s’élargit géographiquement, qui multiplie ses missions, sans qu’une réflexion globale ait été menée, et ce dans le but de préserver les intérêts du monde occidental.
La France rejoint non pas une alliance qui a vocation à faire face à un ennemi communément craint – que vous ne parvenez d’ailleurs pas à nommer –, mais un club dont l’ambition est de dicter les règles du monde. À ce jeu-là, la France risque de perdre sa crédibilité, son rayonnement et sa singularité politique aux yeux du monde. Par cette décision, elle affirmera sa banalisation dans le camp occidental.
Ce qui est dangereux, c’est la logique véhiculée selon laquelle l’union de tous les peuples du monde étant irréaliste, il suffit d’en déléguer les droits à un club d’États qui se ressemblent dans leur puissance, leur richesse et leur culture. Dans cette configuration, les États-Unis renouvellent plus que jamais une volonté d’hégémonie qu’il leur est indispensable de maintenir tant qu’une organisation de ce type entendra ainsi prendre une place qui devrait revenir aux Nations unies.
C’est au regard de ce qu’est devenue cette nouvelle alliance, une arme de consolidation de la domination occidentale et de ses intérêts, que les députés communistes, républicains et du parti de gauche s’opposent au retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Les députés communistes, républicains et du parti de gauche défendent le concept d’une politique étrangère fondée sur le maintien de la paix et le développement de la coopération.
Nous considérons que la recherche de sécurité doit essentiellement se fonder sur des voies politiques de réduction des menaces militaires. Le combat pour la paix, le désarmement et la sécurité doit être réactivé.
Nous considérons que la France et l’Europe doivent être des acteurs indépendants d’un type nouveau. Cela suppose de s’émanciper de l’OTAN – il ne s’agit pas donc pas de défendre le statu quo, monsieur le Premier ministre – et d’avancer vers sa dissolution, de prendre des initiatives significatives en faveur de la sécurité internationale pour éliminer les armes nucléaires et toutes les armes de destruction massive, pour créer une dynamique de désarmement général, pour faire appliquer le traité de non-prolifération, pour instaurer un contrôle public national et international sur la vente d’armes, pour proscrire tout recours à la guerre comme moyen de régler les problèmes du monde – ce qui implique notamment de reconquérir une maîtrise publique des industries d’armement –, pour promouvoir un multilatéralisme authentique et pour faire appliquer point par point tous les engagements pris par la communauté internationale, notamment les « objectifs du millénaire » fixés par l’ONU.
Une souveraineté égale entre les États, le devoir de coopération lié à la résolution des problèmes et conflits, le respect du droit international et les Nations unies constituent les piliers fondamentaux de la politique étrangère que nous prônons.
Cette politique s’engage pour la paix, considérée comme une valeur fondamentale, et pour le refus de recourir à la guerre comme moyen de règlement des différends internationaux. Dès lors, les priorités en termes de budget, d’orientation et de réflexion stratégique doivent être dirigées vers les dimensions non militaires de la sécurité.
Pour conclure, les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront contre le choix particulièrement dangereux de réintégrer la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Nous dénonçons avec force la décision du Président de la République de contourner le peuple pour entériner ce choix historique. Il s’agit là d’une méthode affligeante, qui n’est malheureusement pas inédite. On se souvient en effet que le Président de la République avait déjà écarté le peuple en décidant de recourir à la voie parlementaire pour obtenir l’autorisation de ratification du traité de Lisbonne, lequel n’était qu’une copie de la défunte « Constitution européenne », que le peuple avait rejetée en 2005.
Mépriser le peuple, le laisser sciemment à l’écart de décisions fondamentales, bafouer le droit des citoyens de manifester contre le sommet de l’OTAN des 3 et 4 avril prochains en rendant inaccessible le centre-ville de Strasbourg, voilà le genre de décisions qui amènera nos concitoyens à se mobiliser lors des prochaines élections européennes pour exprimer la sanction populaire que vos choix méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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