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Interdiction des violences éducatives ordinaires

« On est de son enfance comme on est d’un pays » : c’est avec la conviction exprimée par ces mots de Saint-Exupéry que nous souhaitons, avec vous, mettre fin aux violences éducatives ordinaires. C’est, selon nous, poser les jalons de la société que nous aspirons à construire pour nous et nos enfants. L’abolition de ces violences contribue, à notre sens, à ériger une société plus humaniste, une société émancipatrice. L’abolition de toute forme de violence envers les enfants lutte en effet contre l’idée de domination et de loi du plus fort. La non-violence, nous sommes nombreux à le dire, ne saurait s’enseigner par la violence.
En France, le droit de correction est encore régulièrement invoqué devant la justice, que ce soit pour les enseignants, les nounous ou les parents. Aujourd’hui, selon l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, 47 % des parents ont recours à des châtiments corporels sévères, comme de fortes gifles ou le fait de frapper avec un objet, et plus de la moitié frapperaient leurs enfants avant l’âge de deux ans.
Si nous savons que l’obésité, l’asthme, l’échec scolaire et la baisse de l’estime de soi sont des maux qui n’ont pas tous la même origine, nous savons aussi qu’ils peuvent être des conséquences des violences éducatives ordinaires sur l’enfant comme sur l’adolescent et sur l’adulte qu’il deviendra. De même, si toutes les violences dites ou jugées « légères » ne dégénèrent pas en violences sévères, nous savons qu’il peut exister un continuum entre ces violences et que les violences éducatives ordinaires constituent le terreau de la maltraitance.
En Suède, la prohibition, en 1979, de toute forme de violence envers les enfants a contribué, même si ce n’est pas, selon moi, le seul facteur, à réduire considérablement nombre d’enfants battus – j’y reviendrai. N’en déplaise à la frange de l’opinion qui est peut-être la plus conservatrice, cette prohibition ne signifie pas la fin des limites éducatives, ni même le sacre de l’enfant roi. Éduquer ne doit pas amener à la crainte, mais au respect mutuel. L’exercice de l’autorité parentale doit exclure les châtiments corporels et toutes formes de violences physiques, verbales ou psychologiques. Défendre les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant, ce n’est pas seulement s’intéresser à la sécurité des enfants, mais également à leur bien-être et à leur épanouissement.
Cette loi a déjà été votée et, disons-le, n’a pas suscité les remous attendus. Le seul tort relevé par le Conseil constitutionnel est que la disposition ne se trouvait pas dans le bon texte. Les Français sont prêts pour cette avancée : 81 % des parents aspirent à une éducation sans violence et il est nécessaire de pouvoir accompagner ce mouvement.
Les services de l’État s’intéressent également à cette question, tandis que la Caisse d’allocations familiales prévoit des crédits à cet effet et a créé une convention d’objectifs spécifiquement consacrée à la parentalité, incluant les violences éducatives ordinaires. En somme, tout le monde ou presque est prêt pour ce changement : il ne reste qu’à la représentation nationale à accompagner ce mouvement de fond, puis à l’État et à la société tout entière à le rendre effectif.
Cinquante-trois pays dans le monde ont déjà aboli les châtiments corporels dans tous les contextes et certains, comme le Pérou ou même l’Irlande, ont voté cette loi à l’unanimité. Par ailleurs, la France a ratifié voilà trente ans la Convention internationale des droits de l’enfant, dont les articles renforcent le droit de l’enfant à l’intégrité physique et à la protection de sa dignité. Ses articles sont sans appel : les méthodes d’éducation des enfants, quand elles utilisent la violence, ne relèvent plus de la sphère privée ni de la liberté éducative.
Selon le Défenseur des droits, le Conseil de l’Europe et l’ONU, la France doit mettre en œuvre ses engagements : elle doit abroger explicitement le droit de correction coutumier et interdire explicitement les châtiments corporels et les violences psychologiques dans la famille, les établissements scolaires et tous les lieux accueillant des enfants, sans exception.
Cette proposition de loi est saluée par de nombreuses associations, que je salue à mon tour, car elles ont mené un beau combat : je suis certaine qu’elles sauront aider à rendre cette loi effective.
Ce texte, qui est à plusieurs égards utile, est aussi bien plus mesuré que certains n’ont voulu le faire croire. Tout d’abord, la mesure proposée relève du civil, et non du pénal. Son objectif n’est pas de punir ni de culpabiliser, mais de poser le principe clair d’une interdiction de toute forme de violence envers les enfants et d’alerter les citoyens et citoyennes sur les dangers des violences éducatives ordinaires.
Le droit de correction est un principe coutumier sans base légale – la loi sur laquelle il se fondait a en effet été supprimée en 1958. En d’autres termes, ce droit coutumier doit être explicitement aboli et une loi claire, interdisant tout châtiment corporel, doit être adoptée. Cette mesure assure davantage de cohérence dans les lois régissant les rapports entre parents et enfants car, en autorisant les violences dites « légères », le droit de correction contredit les dispositions du code pénal qui sanctionnent toutes les formes de violences. En d’autres termes, ces violences sont réprimées par le droit pénal, mais tolérées au nom d’une certaine coutume.
Par ailleurs, nous saluons la présence de l’expression « violence verbale ou psychologique », car la violence faite aux enfants n’est pas seulement caractérisée par la violence physique. Les connaissances scientifiques actuelles permettent de démontrer les effets négatifs des violences psychologiques sur le développement de l’enfant, la santé et l’estime de soi.
Outre qu’elle pose un principe clair d’interdiction, cette loi montre le chemin de son application réelle, car l’incantation de beaux principes ne peut suffire : il faut mettre en place un réel accompagnement des parents, avec des places en crèche, un soutien aux associations d’aide à la parentalité, un développement des services de protection maternelle et infantile – PMI – de proximité et une aide à la coparentalité.
Nous défendrons trois amendements, afin que le texte voté soit clair, explicite et applicable. Le premier vise à interdire de manière claire et sans détours la fin du droit de correction.
Un autre, qui est plutôt un amendement d’appel, est relatif au congé paternité. De nombreuses études démontrent en effet que l’abolition du droit de correction doit s’accompagner d’une politique de sensibilisation et de structures œuvrant au développement de l’aide à la parentalité. Parmi ces mesures, les congés parentaux et les congés de paternité sont prioritaires, car on ne naît pas parents : on le devient.
Il est important de rappeler qu’il n’y a pas, en la matière, de déterminisme social ou culturel : les violences se retrouvent dans toutes les catégories socio-professionnelles et il est important de le préciser entre nous, car les préconçus sont très nombreux dans ce domaine. Il existe, en revanche, des territoires et des populations abandonnés, ou des territoires dépourvus de structures d’aide à la parentalité. Il faut des lieux de rencontre et de réflexion sur l’éducation et la parentalité, qui doivent mailler le territoire, en plus de lieux, de relais et de réseaux de solidarité pour les parents. Les PMI doivent être davantage soutenues.
Il faut également travailler à l’amélioration de la formation des professionnels, et notamment de leurs connaissances relatives aux violences éducatives ordinaires. En effet, la réduction de la violence passe, c’est essentiel, par son intégration dans les formations initiales et continues. Des campagnes d’information régulières – certaines ont déjà été lancées – doivent accompagner le vote de cette loi, afin de porter à la connaissance du grand public, des parents et des professionnels mais aussi des enfants eux-mêmes les dernières avancées scientifiques sur le développement psycho-affectif de l’enfant et les conséquences de la violence éducative ordinaire sur la santé physique et mentale. Le renforcement des moyens et des champs d’application du numéro d’appel gratuit 119 – car on craque parfois après dix-sept heures trente ! – avec une cellule dédiée à la violence éducative ordinaire pourrait également faire partie de cette campagne de sensibilisation.
Cette proposition de loi est utile et mesurée, mais elle est surtout protectrice pour nos enfants. J’espère qu’elle pourra faire l’unanimité. Je salue aussi certains amendements déposés par mes collègues, notamment en vue de faire inscrire certains des articles de ce texte dans le carnet de santé. J’espère aussi que certains autres amendements ne viendront pas affaiblir la portée abolitionniste de cette proposition de loi. En tout cas, telle qu’elle est aujourd’hui, le groupe communiste est enthousiaste pour la voter.(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et SOC.)

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