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Justice : rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, nous examinons aujourd’hui un énième projet de loi touchant au droit pénal. Ces textes prolifèrent depuis plus de cinq ans, sans avoir rien résolu pour autant. Inefficaces, ils traduisent de surcroît une conception inacceptable de la personne humaine, et sont axés sur le répressif à tout prix. Que l’on soit élu, professionnel ou citoyen – et sans doute aussi ministre – on constate l’échec de ces méthodes.
Le texte qui nous est présenté concerne notamment les personnes condamnées pour des crimes – de nature sexuelle en particulier – commis contre les mineurs, et les auteurs d’infractions déclarés pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental. Il traite, sans aucun doute, de questions très importantes et difficiles, pour chacun comme pour la collectivité. Il s’agit donc de réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour empêcher ces crimes et leur récidive. Cela passe par une politique de prévention qui est essentielle, je tiens à le souligner même si ce n’est pas exactement notre sujet aujourd’hui.
Nous devons nous interroger sur la place et le rôle de la prison qui, au-delà de la protection immédiate de la société, doit sanctionner tout en organisant et en stimulant un travail de réflexion de la personne elle-même sur la gravité et les raisons de son geste, afin d’éviter son renouvellement. La prison doit aussi traiter, dans les formes appropriées, toutes celles et ceux qui en ont besoin, et préparer leur réinsertion, puisque ces personnes sortiront un jour. Cela exige des moyens importants, cela a été dit et je veux le répéter.
Faute de temps, je ne détaillerai pas les mesures qu’il conviendrait de mettre en place dans le milieu carcéral dont la surpopulation et la misère empêchent d’avancer vers ces objectifs.
C’est pourtant à cela que les parlementaires que nous sommes devraient s’attacher. Malheureusement, ce n’est pas votre démarche. En effet, vous avez fait adopter deux lois : celle d’août dernier sur les peines planchers ; celle de décembre 2005, sur la surveillance judiciaire. Aujourd’hui, vous nous en proposez une troisième. Que signifie cette juxtaposition de textes, alors que les moyens nécessaires ne sont pas dégagés, alors que les mesures successivement votées par la même majorité n’ont pas encore dépassé le stade de l’expérimentation : je pense notamment au bracelet électronique ?
Certes, la récidive est une question en soi. Même si elle ne concerne que 1 % des criminels libérés, c’est encore trop. Mais ce n’est pas en multipliant, comme vous le faites, les textes consacrés à la récidive que vous réglerez ce difficile problème qui exige, d’abord et avant tout, d’importants moyens.
Force est de constater que vous cherchez davantage à jouer sur l’émotion légitime suscitée par ces actes criminels graves que de répondre sur le fond. Cette posture démagogique, face à de tels drames, est indigne : je me permets de le dire avec force. On ne fait pas une politique en surfant sur le malheur des gens.
Si l’affaire Evrard, qui est à l’origine de votre texte, est emblématique de quelque chose, c’est surtout de l’incapacité de notre système à prendre en charge de manière efficace les auteurs de ces faits divers tragiques.
Non seulement ce que vous proposez ne permettra pas de surmonter les difficiles problèmes posés, mais vous instaurez de fait une peine perpétuelle sanctionnant non plus un acte mais l’hypothèse qu’il puisse éventuellement être commis. Le fil conducteur de ce texte est en effet la notion de dangerosité, laquelle serait « caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau l’une de ces infractions ». Il n’y a pas besoin d’être un grand juriste pour mesurer l’arbitraire d’une telle disposition et les dérives qu’elle permet, voire intronise. Il me semble que notre histoire a montré jusqu’où cela pouvait conduire, et comment les justifications pseudo-scientifiques – auxquelles s’adonne volontiers notre Président de la République – pouvaient être interprétées.
Une réforme pénitentiaire devrait avoir pour ambition d’assurer des soins dignes de ce nom et un suivi social au détenu dès son premier jour de détention. Pourquoi devrions-nous attendre que la peine soit effectuée pour lui proposer, de façon permanente, une prise en charge médicale et sociale ? En cela, je rejoins les critiques formulées par les représentants des magistrats. Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale des magistrats, déplore ainsi l’absence de mesures sur le suivi en milieu carcéral et l’absence de moyens pendant l’incarcération. De même, Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, souligne que « c’est la peine de prison qui doit être le temps utile pour travailler sur le passage à l’acte [du condamné] et préparer sa sortie ».
En effet, pourquoi l’État ne prend-il pas ses responsabilités, dans le cadre d’une obligation de moyens, dès la condamnation ? Pourquoi attendre la fin de la détention pour envisager le placement du condamné dans un centre socio-médico-judiciaire si son état le permet ?
Vous prétendez que cette nouvelle privation de liberté, prononcée à la fin de l’accomplissement de l’intégralité de la peine décidée par un jury souverain, ne serait pas une peine. Mais c’est faux ! La rétention de sûreté conduit à prolonger, de surcroît avec des possibilités de renouvellement infinies, un emprisonnement de fait.
La distinction entre mesure de sûreté et peine n’est pas neuve. Elle a déjà fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel en 2005, au lendemain de la loi sur la surveillance judiciaire mettant en place le bracelet électronique et l’injonction de soins. Mais la rétention de sûreté, malgré toutes les précautions de langage, est bien une peine privative de liberté. À cet égard, l’exposé des motifs du projet de loi est très clair : « Pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus, en matière notamment de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. »
Par ailleurs, la rétention de sûreté est censée être limitée à des cas exceptionnels : condamnation à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à quinze ans ; crimes limitativement énumérés et commis sur un mineur de moins de quinze ans. Mais, madame la garde des sceaux, vous devez mesurer que ce texte ouvre la porte à de futures lois qui étendront son champ d’application. D’ailleurs, la commission des lois a d’ores et déjà décidé d’étendre cette peine aux crimes commis sur les mineurs de plus de quinze ans, et notre rapporteur a déposé un amendement qui l’étend à tous les criminels sexuels. Qu’en sera-t-il demain ? Regardons ce qui s’est produit avec le fichage initialement conçu pour les infractions à caractère sexuel : il est aujourd’hui étendu à la quasi-totalité des infractions pénales.
Ce projet de loi opère, comme le dénoncent de nombreux professionnels, dont votre éminent prédécesseur, M. Badinter, un changement profond d’orientation de notre justice désormais, elle punira le crime avant même qu’il ne soit commis et prouvé, comme l’indiquait à l’instant Mme Guigou.
La plupart des associations, telles que le GENEPI – le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées – ou l’OIP – l’Observatoire international des prisons –, mais aussi les syndicats des personnels pénitentiaires et de la magistrature contestent votre philosophie et rejettent ce texte.
Faute de prévoir les moyens de traitement, de suivi et de soutien social pour offrir une chance de reconstruction aux personnes en détention, votre texte tourne définitivement le dos au devoir d’aide à la réinsertion. Il ne fait que prolonger l’enfermement, par une logique dilatoire et inefficace, sans proposer de moyens pour éviter la récidive. Alors que M. Sarkozy multiplie les discours sur une « politique de civilisation » et une « politique de l’homme », votre texte constitue un grave recul dans la conception de notre société. Recul particulièrement choquant dans notre pays, berceau « des droits de l’homme et du citoyen, de l’école de Jules Ferry, de la laïcité, de la sécurité sociale, du droit du travail, des congés payés et du service public » : autant de progrès énumérés ce matin par le Président de la République. Progrès que vous vous appliquez consciencieusement à démolir l’un après l’autre, mais cela, le Président de la République a oublié de le dire !
Cette politique, madame la garde des sceaux, est décidément un véritable recul de civilisation. C’est pourquoi nous n’envisageons pas du tout de voter votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
 

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Jacqueline
Fraysse

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