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Justice : rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

Monsieur le Président, Madame la garde des sceaux, Mes chers collègues,
Il y a un mois à peine, je regrettais que nous discutions d’un texte relatif aux condamnés considérés comme dangereux, avant même que nous examinions le projet de loi pénitentiaire, tant annoncé et tant attendu.
C’est par là que nous aurions dû commencer. Le rapport du sénateur M. Lecerf est, à cet égard, particulièrement convaincant. Il est regrettable que nos collègues de la majorité n’aient pas décidé de s’en inspirer, tout comme ils ont décidé de ne pas voter ses amendements les plus intéressants. Non qu’il s’agissait d’amendements exceptionnels mais ils avaient, au moins, le mérite de s’appliquer à rendre ce projet de loi plus conforme à nos principes fondamentaux.
Les cas de récidive mettent, avant tout, en exergue les défaillances de notre système et notre part de responsabilité dans les tragédies, toujours trop nombreuses, que nous avons à déplorer. Partant de ce constat, il préconise, comme nous, que les soins et traitements soient dispensés dès le début de l’incarcération et non quelques mois avant la date prévue pour la libération. Le texte aurait dû s’attacher, en effet, à proposer, dans le cadre d’une réforme ambitieuse de notre système pénitentiaire, un parcours d’exécution de la peine correspondant à une véritable stratégie individualisée de lutte contre la récidive. S’il y a bien un nouvel article inscrit, en ce sens, dans le code de procédure pénale[1], son manque d’ambition se traduit par le maintien de la rétention de sûreté. Si vous aviez la certitude que tous les moyens seront déployés pour permettre la pleine et entière application de cet article, alors vous auriez conclu à l’inutilité d’une rétention de sûreté après la peine.
L’objectif de la réinsertion, clef de voute de la lutte contre la récidive, n’est pas celui recherché par la Chancellerie. Vous nous proposez, au contraire, avec la complicité de sa majorité de remettre au goût du jour, la relégation.
Le dispositif proposé n’est rien d’autre qu’un aveu de faiblesse. Vous refusez de prendre les mesures qui s’imposent pour traiter de la situation des criminels les plus dangereux. Ces mesures existent. Elles supposent un effort que le Gouvernement n’est pas disposé à faire. Elles supposeraient de dégager des moyens financiers et humains considérables pour que la prison ne devienne pas le plus grand asile psychiatrique de France, pour reprendre l’expression du rapporteur M. Lecerf. La situation de la prise en charge psychiatrique en France est telle que la prison reste, malheureusement et dans de trop nombreux cas, l’ultime recours. Ce choix n’est pas sans risque. Nous le mesurons aujourd’hui.
Le temps de la peine est, dans nos prisons, un temps mort. Même au court des longues peines rien n’est entrepris pour favoriser l’amendement du condamné. Les soins, les traitements, la prise en charge sociale, la formation, autant de mesures indispensables à la réinsertion, sont quasiment inexistantes faute de moyens. C’est pourquoi, au sortir de prison les condamnés n’auront bénéficié d’aucun suivi et n’auront aucun projet de réinsertion. On s’étonne que les plus fragiles de ces détenus, les plus dangereux, récidivent ! Il est alors aisé pour le Gouvernement et la majorité de sa majorité en tirent prétexte pour médiatiser leur indignation et justifier les mesures les plus injustifiables ! Cette posture ne sert que de paravent à votre immobilisme face à l’urgence pénitentiaire.
Faute d’agir, vous choisissez d’enfermer après la peine, en prétendant ainsi garantir à notre société un risque zéro qui, vous ne l’ignorez pas, n’existe pas. Mais à quel prix ? Celui du sacrifice de nos principes fondamentaux et du renoncement aux valeurs qui fondent notre tradition humaniste. Pourtant, il n’était pas utile d’en passer par là. Il suffisait que vous preniez vos responsabilités et que nous engagions dans une réforme pénitentiaire ambitieuse permettant une prise en charge médicale et sociale dès le début de la peine. Alors, vous auriez pu, comme vous l’ambitionniez madame la garde des sceaux, mieux protéger les Français en engageant les condamnés dans un processus de soins et d’insertion, dans le respect de nos principes fondamentaux.
Vous avez beau répéter à l’envi que cette rétention de sûreté n’est pas une peine, mais une mesure de sûreté, les faits sont têtus. Les auteurs de crimes graves seront enfermés à leur sortie de prison, après avoir effectué leur peine, pour une durée inconnue, donc potentiellement illimitée. Une telle privation de liberté, bien que vous ayez décidé de lui donner une autre appellation juridique, s’apparentera donc à une peine pour le détenu.
Notre justice criminelle s’est toujours fondée sur un principe simple. Celui qui proclame qu’il ne peut y avoir de prison, de détention sans infraction. Aujourd’hui, ce principe est piétiné, puisque la détention sera décidée, non plus sur la base d’un crime commis, mais d’un crime dont on craint qu’il le soit. Pour reprendre l’expression parfaitement adaptée d’un de vos éminents prédécesseurs, notre justice punira « un auteur virtuel d’infractions éventuelles ». Et selon quels critères ? Celui d’une dangerosité appréciée par des experts psychiatriques. Vous avez pourtant reconnu, Madame la garde des sceaux, la difficulté à définir la notion de dangerosité. C’est pourquoi, d’ailleurs, lors de votre audition devant notre commission des lois, vous aviez mis en garde les membres de votre majorité, qui souhaitaient élargir le champ d’application de cette mesure de sûreté, sur le risque d’inconstitutionnalité.
Cet appel à la prudence aura été de courte durée. Quelques jours plus tard, vous approuviez les amendements élargissant le champ de la mesure, initialement prévue pour les crimes graves commis sur des mineurs de 15 ans.
Ce n’est pas là le seul risque d’inconstitutionnalité que vous avez décidé de braver. C’est, en effet, un amendement gouvernemental qui a décidé de la rétroactivité de la mesure. Nos collègues sénateurs, et leur rapporteur M. Lecerf, ont tentés lors de l’examen en commission d’être bien moins imprudents. Mais, c’était sans compter sur la détermination du Gouvernement qui a lourdement insisté pour une application immédiate de la rétention de sûreté, y compris pour les personnes déjà condamnées. Il a été malheureusement suivi par la majorité des parlementaires. L’article 12 permettra ainsi l’application de la rétention aux personnes déjà condamnées. Malgré l’usine à gaz mise en place et les contorsions juridiques auxquelles vous vous êtes livrés, vous ne pouvez masquer l’évidence : la mesure sera rétroactive et ne pourra donc satisfaire aux exigences constitutionnelles.
D’ailleurs, ce week-end, le président du Conseil constitutionnel a estimé à propos de ce texte que – je le cite :« le principe de rétroactivité des lois ne s’applique que pour les lois pénales les plus douces ». Sans pré-supposer de la décision du Conseil constitutionnel qui aura à se prononcer, on peut d’ores et déjà y voir là un indice. Peut-on, en effet, considérer qu’un individu condamné à un moment où la rétention de sureté n’existait pas et qui, après avoir purgé sa peine, est placé dans un établissement fermé, peut être à perpétuité, se voit appliquer une loi pénale plus douce ? Plus douce que celle qui prévoit qu’une fois la peine purgée, un individu est libre ? Le débat autour de la peine et de la mesure de sureté est un faux débat car, comme le rappelle un sénateur de la majorité[2] « la gravité de l’atteinte à la liberté est la racine de l’exigence de non-rétroactivité, même si la mesure prise n’est pas une sanction pénale ».
Toutefois, mais vous l’aurez compris, cette question de la constitutionnalité du dispositif n’est pas la plus déterminante dans notre opposition à ce dispositif. Nous nous y opposons fermement aussi parce qu’il heurte notre conception de la Justice. Une justice qui ne peut détenir à vie un individu sans jugement, et ce quelle que soit l’horreur de ses crimes. L’homme est entré dans la civilisation le jour où il a fait sien ce principe. Nous ne validerons pas par notre vote, un tel recul de civilisation.
Permettez-moi de conclure cette intervention par quelques mots sur le deuxième volet du texte. Celui qui instaure une procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour les criminels atteints de trouble mental. L’article 4 du texte réintroduit ce que nous avions rejeté au moment du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance : le fichage des personnes atteintes de troubles mentaux. En effet, il prévoit que les décisions reconnaissant l’irresponsabilité pénale seront désormais inscrites au casier judiciaire. Or, le casier judiciaire a pour vocation de ne collecter que les données caractère personnel en lien avec des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté. Il m’avait semblé que la déclaration d’irresponsabilité pénale n’entrait dans aucune de ces catégories. Quelle est la raison d’être de ce dispositif, si ce n’est le fichage des personnes atteintes de troubles mentaux ? Nous ne pouvons y souscrire, je tenais à le rappeler.
Enfin, je ne peux quitter cette tribune sans vous dire un dernier mot sur l’évènement dramatique qui s’est produit lundi dernier à Meyzieu. Un enfant de 16 ans s’est pendu dans sa cellule d’un établissement pénitentiaire pour mineurs. Ce drame met en exergue les limites de votre politique répressive en direction des mineurs, et il devrait, tous ici, vous inciter à réfléchir à ses conséquences.

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Michel
Vaxès

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