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Justice : secret des sources des journalistes

Monsieur le président, Madame la ministre, Chers collègues,
C’est en aparté, « en off », quand le micro est éteint et le crayon posé sur la table que nous avons tous et toutes eu l’occasion d’écouter les plaintes des journalistes, leurs inquiétudes, et même parfois leur désillusion sur un métier qui n’est plus tout à fait ce dont ils avaient pu rêver.
Bien évidemment, on en est plus en France à se battre pour les principes : la liberté d’expression et la liberté de la presse font depuis longtemps partie de notre patrimoine politique commun. Mais si ce socle de libertés est des plus solides, les problèmes n’en sont pas moins nombreux.
Tous les conflits de ces dernières années aux Echos, à Libération, au Monde, tous portent les mêmes craintes et les mêmes exigences.
Ils portent les craintes d’une presse contrôlée non plus par l’Etat mais par de grands groupes privés, souvent liés à l’industrie de l’armement, et souvent par ce biais aussi obligés du pouvoir d’Etat.
Ils portent les craintes d’une trop grande dépendance éditoriale à l’égard de leurs actionnaires et de leurs annonceurs, qui pourrait être le prélude de nouvelles formes de censure.
Ils portent les craintes d’un pluralisme meurtri sous les coups de la concentration de ces groupes de presse, de la définition de nouvelles règles de distribution, du renchérissement du coût de l’information.
Et derrière ces craintes, il y a donc des exigences, de fortes exigences pour que notre pays devienne une démocratie en tout point exemplaire et pour que le métier de journaliste y devienne celui d’un ambassadeur de la liberté, de l’esprit critique, de l’intelligence.
Le chantier est énorme.
Aussi, je ne peux que me féliciter de constater l’ouverture des travaux, sur un point certes mineur, la protection du secret des sources des journalistes, mineur mais essentiel.
Et si j’ai pu me satisfaire du principe du dépôt du projet de loi, ma satisfaction est retombée quand j’ai lu le texte du gouvernement.
En effet, le texte que vous présentez, Madame la ministre, souffre d’une bien trop grande imprécision. En l’état actuel, il serait même dénué de toute portée juridique. Il risquerait d’être un coup d’épée dans l’eau, si nous n’avions la possibilité de l’amender largement. J’espère donc, et le travail de la commission des lois me rend assez confiante, que notre Assemblée saura donner à ce texte la force qui devrait être la sienne.
Nous parlons de liberté, de liberté d’informer, de liberté d’expression, de liberté de la presse. Ces mots ne sont pas neutres. Ce sont des mots pour lesquels on meurt encore sur tous les continents de notre planète. Ils méritent donc grandiloquence, respect, solennité, c’est-à-dire ce qui fait défaut au premier alinéa de l’article que vous voulez ajouter à la loi ô combien symbolique du 29 juillet 1881, cette grande loi d’une République enfin libérée des turpitudes monarchistes, cette grande loi d’une République alors suffisamment assise pour faire vivre les libertés ! Aussi, je souhaiterais vraiment que notre Assemblée donne à cet alinéa la hauteur qui devrait être la sienne.
Et alors que le principe est déjà rabougri, il pourrait même être vidé de son maigre contenu, au nom de je ne sais quel intérêt impérieux !
Bien entendu, j’entends bien que la protection du secret des sources ne peut aller contre la progression d’une enquête d’anti-terrorisme. Personne ne le demande d’ailleurs, et j’imagine mal un journaliste sachant la survenance proche d’un attentat cacher ses informations à la police. Mais les notions d’intérêt impérieux et de lutte contre le terrorisme sont loin d’être synonymes. Et les entorses possibles à ce principe devraient donc être bien plus strictement limitées.
Ces dernières années, quand la justice a voulu enfreindre le secret des sources de journalistes, c’est l’année dernière au sujet de l’affaire Clearstream, avec une perquisition au Canard Enchaîné, en 2004 au sujet de l’affaire de dopage Cofidis, avec une perquisition au Point, c’est-à-dire dans des affaires menaçant d’abord des intérêts financiers ou personnels, mais dont rien ne nous dit aujourd’hui qu’ils ne peuvent être considérés comme « impérieux ».
Je crois d’ailleurs ne pas être seule de cet avis. Avec la mesure que lui impose sa fonction, c’est à peu près le même message que vous a adressé Monsieur le rapporteur. Ses amendements adoptés en commission des lois ont d’ailleurs permis de sensibles avancées sur ce point, qui auront évidemment notre soutien.
Autre sujet d’inquiétude, la réécriture proposée du code de procédure pénale n’est qu’une invitation faite au juge de rester mesuré dans ces atteintes aux droits des journalistes. Aucune limite claire ne lui est posée dans le texte initial. Aucune référence n’est faite au principe pourtant déjà étriqué de protection du secret des sources que nous souhaitons tous et toutes introduire dans la loi sur la liberté de la presse, au risque de casser toute concordance entre cette loi et celle encadrant les pouvoirs du juge, au risque d’assurer de la non-effectivité pratique de la protection du secret des sources. Là encore, j’ai pu constater que la commission des lois partagerait ces craintes et avait amendé, dans un sens qui nous convient, ces parties sensibles du projet de loi. J’espère que notre Assemblée saura reprendre ces progrès apportés en commission.
Même avec toutes les améliorations apportées en commission, nous n’en avons pas fini de ces imprécisions qui risquent au quotidien d’altérer les principes que nous allons voter ce soir, en laissant à la seule appréciation des juges l’arbitrage entre la protection de ce secret et la vitesse de progression de leurs investigations. Dans le sens que l’on imagine, évidemment. Aucune disposition n’est prévue pour préciser la notion de source, ouvrant évidemment la porte à une interprétation particulièrement restrictive de ce terme. Cette définition n’est pourtant pas si difficile à trouver, le conseil des ministres du Conseil de l’Europe en ayant adopté une, en 2000, particulièrement claire et complète. Et je n’ose imaginer que l’Etat français ait oublié son engagement ou même renie sa parole...
Et puis, Madame la ministre, il y a ces sources dont votre texte ne parle pas. Votre projet de loi concerne le journalisme d’investigation. Je ne m’en plaindrai pas tant ce journalisme mérite d’attention, d’encouragement et de lettres de noblesse.
Et ces sources qui sont l’outil de travail quotidien de tous les autres journalistes méritent autant d’être protégées, parce qu’elles sont aussi fragilisées.
Je pense évidemment au devenir de l’agence France-presse, dont le maillage territorial, en France et dans le monde, se réduit au fur et à mesure que grandissent les préoccupations financières dans la gestion de ce groupe. Je pense aux risques croissants d’une information toujours plus uniformisée et limitée à ce que l’air du temps peut définir d’essentiel. Je pense aux projets non assumés d’une possible « évolution du statut de l’agence », pour reprendre les termes de son président, en clair sa privatisation et sa soumission grandissante à d’autres impératifs que ses impératifs légaux d’information « complète et objective ».
Au-delà des déclarations d’intention de protéger les sources des journalistes, beaucoup de journalistes attendent aussi des actes, comme l’engagement de votre gouvernement à préserver le statut de l’AFP et à lui donner les moyens d’assurer pleinement sa mission. C’est aussi de cette façon que l’on garantit la liberté d’information, le pluralisme dans les médias, et donc aussi toute la richesse d’une démocratie.
En conclusion, Madame la ministre, vous aurez compris toute la détermination de mon groupe à garantir le droit et la liberté d’information dans notre pays, et toute notre consternation devant le projet de loi que vous nous présentez. Cette résolution, d’autres je l’ai dit la partagent sur tous les bancs de cette Assemblée, ce dont je me félicite.

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Roland
Muzeau

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