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Le droit à l’eau

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, monsieur le rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise vient de presque tous les bancs de cette assemblée. J’espère qu’elle sera largement, adoptée, témoignant ainsi de l’attachement de la représentation nationale à un des premiers droits humains : le droit à l’eau.
Je veux rendre ici hommage aux associations qui se sont mobilisées depuis des années pour ce droit et saluer tout particulièrement le combat de Mme Danielle Mitterrand.
Permettez-moi de me référer à la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, qui prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Cette référence nous conduit à constater que, depuis dix ans, peu de choses ont été faites pour que ces « conditions acceptables » deviennent une réalité pour le plus grand nombre.
Dans le monde, près d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et plus de 2 milliards à un assainissement de base. Plus de 2 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à l’absence ou à la mauvaise qualité de l’eau. En France, grâce notamment à l’existence d’une politique volontaire des services publics, notamment ceux des territoires, l’accès à l’eau et à l’assainissement est garanti au plus grand nombre. Mais la mise en œuvre d’un véritable droit à l’eau fait toujours cruellement défaut, ce qui continue de faire ressortir avec force que l’accès à l’eau doit relever d’un service public national accompagnant les collectivités locales. L’eau ne peut être une marchandise source de profit.
Cela étant posé, un des premiers obstacles à l’effectivité du droit à l’eau est la persistance de la pauvreté dans notre pays. C’est vrai pour les populations les plus démunies et les plus vulnérables, qui ne disposent pas d’un domicile fixe. Pour ces personnes, le droit à l’eau passe par l’existence de points d’eau et de toilettes publiques. Si des réalisations ont été accomplies dans de nombreux territoires, le rapport de notre collègue Lesage nous informe de l’absence de points d’eau et de toilettes publiques dans de nombreuses et grandes villes de France. Pour y remédier, nous proposons, dans l’article 2 de cette proposition de loi, que les collectivités territoriales, avec des seuils fixés à 3 500 et 15 000 habitants, mettent gratuitement à disposition des points d’eau potable, des toilettes et des douches publiques sur leur territoire pour satisfaire les besoins élémentaires en eau potable.
Plus largement, le pouvoir d’achat des familles et le prix de l’eau sont des facteurs déterminants des inégalités devant le droit à l’eau. Les usagers paient une facture d’autant plus salée que leurs revenus stagnent avec la pression sur les salaires, la précarité et le chômage. En résulte une augmentation des factures d’eau impayées, comme a pu récemment le « déplorer » le PDG de Veolia, qui indiquait qu’au cours des huit derniers mois, le taux des factures impayées avait doublé et qu’il s’attendait à un manque à gagner de 30 millions d’euros en 2016 pour son entreprise. Mais quel manque à gagner, et pour quel vécu ? Pour quel prix payé par les familles auxquelles on a coupé l’eau ou qui doivent supporter le poids de leur dette auprès du fournisseur ? Ne faut-il pas rapprocher ce phénomène des données fournies par l’Observatoire des inégalités, attestant que, depuis quinze ans, les revenus des très riches se sont envolés tandis que ceux des plus pauvres ont diminué ? En 2002, les 10 % les plus riches avaient un revenu six fois supérieur aux 10 % les plus pauvres. Dix ans plus tard, c’est plus de sept fois. Ainsi, le prix de l’eau représente une part de plus en plus importante dans le budget des ménages les plus en difficultés.
Si la dépense globale d’eau dépasse en moyenne à peine 1 % des dépenses totales des ménages, elle représente par contre, pour ceux et celles qui ont les plus bas revenus, 6 %. Ces inégalités s’aggravent encore selon la région habitée. Selon une étude de l’Institut français de l’environnement de mars 2007, pour une moyenne nationale de 177 euros par personne en 2004, la facture d’eau s’élève à 190 euros dans les départements d’outre-mer, 222 euros en Corse, et dépasse 270 euros dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. En Île-de-France, le prix de l’eau oscille entre 2,89 euros le mètre cube à Paris et 5,54 euros à Auvers-sur-Oise. Au total, 5 % de la population paye son eau plus de 47 % plus cher que le prix moyen.
Or, selon le Programme des Nations unies pour le développement, la part des dépenses d’eau et d’assainissement ne devrait pas dépasser 3 % des revenus des ménages pour être supportable. Oui, les femmes et les hommes de ce pays doivent, tous et toutes, pouvoir accéder dans des conditions équivalentes aux droits que la loi garantit. Le droit à l’eau ne doit pas faire exception. Il faut l’inscrire plus concrètement dans la loi.
Car si les collectivités locales peuvent déjà mettre en œuvre des dispositifs pour aider les ménages dont les revenus sont les plus faibles, force est de constater leur insuffisance. Le rapport sur la proposition de loi met en évidence les limites du Fonds de solidarité pour le logement, le FSL. Si ce dernier a aidé 72 000 familles en situation d’extrême urgence, il ne répond pas, en termes de nombre de familles concernées et de montant de l’aide accordée, aux enjeux d’un accès à l’eau tel qu’envisagé dans la LEMA. Le financement est trop modeste tant en raison des partenariats que du caractère volontaire et aléatoire de la contribution des entreprises de l’eau. L’aide se situe, en moyenne, aux alentours de 30 % de la facture et n’est accordée qu’une fois par an. Son caractère inégalitaire est renforcé par le fait qu’un quart des départements français n’inscrivent pas l’accès à l’eau parmi les volets du FSL. Enfin, comme il est nécessaire de présenter une facture pour en bénéficier, les personnes résidant en logement collectif, qui ne disposent pas de compteur individuel, en sont de fait exclues. Établi dans une logique curative, le FSL se présente comme un dernier recours alors que, bien souvent, les raisons pour lesquelles les dettes d’eau se forment ont un caractère structurel.
C’est donc avec une grande satisfaction que les députés du Front de gauche s’associent à cette proposition de loi qui instaure le principe d’un encadrement du taux d’effort maximal et fixe un seuil de 3 % du revenu des ménages que la facture d’eau et d’assainissement ne doit pas dépasser. Nous avons estimé qu’une aide aux premiers mètres cubes aurait un effet pervers inégalitaire, dans la mesure où elle pourrait inciter ceux qui ont les plus bas revenus à se restreindre sur leur consommation. Nous n’avons donc pas choisi d’établir une « tarification sociale » qui, tout en affirmant l’accès légitime à un droit, pourrait avoir un caractère stigmatisant. Nous sommes convenus que la garantie du droit à l’eau passait par l’égalité de toutes et tous dans l’accès à l’eau, que l’on ait ou non une grande famille, que l’on soit riche ou pauvre, et qu’il fallait donc agir en amont, avant que la dette d’eau ne se forme. Plutôt que de définir une tarification progressive par tranche d’eau consommée ou d’appliquer un tarif uniforme à une catégorie préalablement définie d’usagers à revenus modestes, nous avons choisi de mettre en œuvre un dispositif de solidarité pour les ménages à revenu modestes.
Nous avons aussi opté pour la mise en place d’un dispositif national encadré par la loi avec une garantie de l’État. Laisser aux seules collectivités territoriales le soin de garantir un droit, ç’aurait été mettre un pied dans l’aggravation des inégalités entre les territoires, donc entre les populations vivant sur ces territoires. Ce n’est pas ainsi que l’on peut faire vivre l’égalité des droits dans la République française.
Aussi proposons-nous par ce texte de mettre en place une allocation spécifique de solidarité, dont le financement a prêté à débat. Il était proposé de la financer par une contribution de 0,5 centime d’euro par litre d’eau embouteillée vendu en France. Nous avons reçu des protestations de grosses entreprises, telle la japonaise Suntory au chiffre d’affaires – moins les charges – de 344 milliards de yens et qui a racheté Orangina Schweppes – 782 millions d’euros de chiffre d’affaires –, pour déplorer le manque à gagner que provoquerait la taxe prévue sur les eaux embouteillées. Dans ce courrier, le PDG de Suntory s’est même permis de me rappeler qu’une usine Orangina était implantée dans ma circonscription et que je ferais peut-être mieux de me montrer plus responsable !
M. Michel Lesage, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est exact.
Mme Marie-George Buffet. Je sais aussi, et c’est plus sérieux, que dans certaines communes de notre pays, des entreprises locales d’eau en bouteille s’inquiètent. Il faut noter toutefois que les producteurs en bouteille bénéficient d’un accès à l’eau quasi gratuit à une ressource naturelle, n’ayant à payer que 0,01 euro par litre prélevé. Il faut noter aussi que 80 % de cette production dépend de grands groupes.
Mais le Gouvernement et plusieurs collègues nous proposent par amendement d’abandonner cette taxe et de revoir la question du financement à l’occasion de la navette parlementaire. J’aurais préféré que l’on retienne, comme je l’avais fait dans ma proposition de loi de 2009, une contribution des entreprises délégataires des activités prévues à l’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales, assise sur leur chiffre d’affaires annuel à un taux de 1 %. L’argument que l’on m’oppose est que cette contribution pourrait se répercuter sur le prix de l’eau. Je rappelle quand même qu’une entreprise comme Veolia tire 11 milliards de chiffre d’affaires rien que sur l’eau ! Un amendement va d’ailleurs dans le sens que je souhaite.
L’amendement gouvernemental de suppression de la taxe, lui, m’inquiète quant à l’avenir même du texte. Il serait grave que l’espoir soulevé par cette proposition de loi soit trahi au cours de notre débat de ce soir.
Mes chers collègues, nous allons poursuivre la discussion sur le financement mais d’ores et déjà, dépositaires de la belle devise de notre République, « liberté, égalité, fraternité », nous proposons avec ce texte de permettre à tous les citoyens et citoyennes de ce pays d’être égaux devant le droit à l’eau. J’espère donc que, comme elle a su le faire sur d’autres sujets, notre assemblée saura dépasser les clivages partisans pour adopter sur tous ses bancs cette proposition de loi assortie de son financement, car celle-ci relève du bien commun de l’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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