Interventions

Discussions générales

Lect. définitive - programmation exécution des peines

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, cette intervention est celle de mon collègue Marc Dolez, qui devait la prononcer. Vous n’y retrouverez donc pas le ton qui m’est propre, car je me limiterai à lire le texte qu’il a préparé.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Très bien ! (Sourires.)
M. André Chassaigne. Notre pays vient de battre un nouveau record, avec 65 699 détenus dans les prisons françaises au 1er février 2012. Ce triste record n’est malheureusement pas surprenant.
En effet, les politiques pénales menées ces dernières années, qui vont dans le sens d’un recours toujours plus fréquent à l’enfermement, sont directement responsables d’une telle augmentation. La construction de nouveaux établissements pénitentiaires, loin de résoudre le problème, entretiendra au contraire cette tendance
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en lecture définitive s’inscrit précisément dans la logique du tout-carcéral,…
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Mais non !
M. André Chassaigne. …qui a pourtant fait montre de son inefficacité. Je veux brièvement rappeler nos principales objections, sans reprendre toutes celles que j’ai déjà développées lors des lectures précédentes.
Tout d’abord, s’il paraît nécessaire et urgent d’améliorer les conditions matérielles de détention, nous contestons en revanche l’obsession visant à l’accroissement constant du nombre de places de prison. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a lui-même rappelé le 22 février dernier, présentant les grandes lignes de son rapport d’activité pour 2011 : « En prison, actuellement en France, on a le choix entre la vétusté et la solitude. » Réagissant à ce projet de loi, il ajoutait : « Notre société est assoiffée de sécurité. Or il faut aussi se préoccuper de dignité. Aujourd’hui, l’aspect réinsertion passe au second plan et le système pénitentiaire change de nature pour une illusion car aucun moyen ne permet de prévoir ce que, un jour, un être humain a décidé de faire. »
Pour le Gouvernement, le rôle de l’État en matière pénitentiaire consiste seulement à gérer des flux. C’est en vertu de cette logique gestionnaire que le texte propose une diversification du parc carcéral. Or la mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n’est pas compatible avec le principe de l’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement, principe posé par la loi pénitentiaire de 2009. L’OIP, l’Observatoire international des prisons, souligne, dans une lettre ouverte adressée aux parlementaires le 2 décembre dernier, que si des condamnés ne présentent pas de dangerosité particulière, il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Afin de mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter ces peines en milieu ouvert.
Nous réfutons aussi le choix de réaliser le programme de construction en partenariat public-privé. Ce choix traduit la logique managériale du Gouvernement, qui n’hésite pas à recourir à des procédures dérogatoires pour stocker la population carcérale en traitant le secteur carcéral comme un service public privatisable et en méconnaissant ainsi l’objectif spécifique de la prison.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Oh !
M. André Chassaigne. S’agissant de la lutte contre la récidive, elle risque de demeurer, une fois de plus, sans effet, monsieur le ministre.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mais non !
M. André Chassaigne.. Les effectifs des conseillers d’insertion et de probation demeurent inchangés…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Allons !
M. André Chassaigne. …alors que leurs missions n’ont cessé de croître, et les efforts minimes consentis se concentrent sur les seuls emplois de surveillant pour les nouveaux établissements pénitentiaires.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non !
M. André Chassaigne. Ce volet du projet de loi est en outre fondé sur la notion, pour le moins contestée, de 1’évaluation de la dangerosité, concept aux contours flous réfuté par les psychiatres qui privilégient celui de risque de récidive.
Le ministre réagit, cela me fait plaisir et me confirme que je donne lecture de ce discours avec une certaine vivacité. (Sourires.)
Notre ancienne collègue députée, Christine Lazerges, professeur de droit pénal à Paris I, note très justement que le concept de dangerosité rompt avec les principes fondamentaux du droit pénal puisque « le durcissement de la peine n’est plus fonction de la culpabilité d’un homme et de l’infraction qu’il a commise, mais dépend de sa dangerosité supposée, c’est-à-dire de sa probabilité à récidiver à l’avenir ». C’est sur la base de ce concept, monsieur le ministre, qu’a été instaurée la rétention de sûreté en 2008. Le professeur Lazerges souligne aussi que nos concitoyens devraient savoir que cette loi a été « complètement inutile : en trois ans, elle n’a concerné qu’une seule personne. On est dans la simple illusion d’une société sécurisée. En agitant la dangerosité, on bâtit sur du sable une société de la peur. »
Enfin, le volet sur la prise en charge des mineurs délinquants n’est pas satisfaisant. L’accroissement du nombre de centres éducatifs fermés au détriment des autres structures d’hébergement risque de diminuer significativement l’éventail des solutions dont disposent les juges des enfants pour adapter la réponse pénale à la personnalité de chaque mineur délinquant. Nous refusons que les centres éducatifs fermés soient banalisés et constituent in fine la seule réponse à la prise en charge des mineurs délinquants. Rappelons, une fois encore, que leur fonctionnement est loin d’être parfait. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté…
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Vous oubliez de rappeler que c’est nous qui l’avons créé !
M. André Chassaigne. …l’atteste dans sa recommandation du 1er décembre 2010, soulignant notamment le « recours abusif aux contraintes physiques », le manque de formation des éducateurs ainsi que de grandes variations dans la prise en charge « d’une part, des soins somatiques des mineurs, d’autre part, du soin psychiatrique ou de l’assistance psychologique aux enfants, enfin, de leur éducation à la santé ». Il relève aussi dans sa recommandation que les liens avec les psychiatres sont très difficiles à établir, même lorsque la population du centre souffre d’évidentes carences.
De même, si nous estimons que les délais entre les jugements prononcés à l’encontre des mineurs et leur exécution doivent être le plus courts possible pour garantir une cohérence dans le déroulement de la procédure, la solution n’est pas d’imposer un délai impératif au service éducatif. Ce n’est pas la prise en charge par le service éducatif dans un délai impératif de cinq jours à compter de la date de jugement qui permettra de diminuer les délais entre les jugements prononcés et leur exécution. Seuls une augmentation significative d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et des moyens matériels conséquents permettraient d’y parvenir.
Pour conclure,…
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Ah !
M. André Chassaigne. …le groupe GDR conteste un projet de loi électoraliste,…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mais non !
M. André Chassaigne. …empreint d’une logique répressive, élaboré à la va-vite et sans concertation préalable avec les professionnels. Ce dont notre pays a besoin, ce n’est de pas de nouvelles prisons, qui seront presque aussitôt surpeuplées en raison des politiques sécuritaires mises en œuvre, mais de moyens humains et matériels conséquents pour permettre aux juges, à l’administration pénitentiaire, aux services pénitentiaires d’insertion et de probation et à la PJJ de remplir dans de bonnes conditions les missions qui sont les leurs et sur lesquelles repose la crédibilité de notre justice.
Pour toutes ces raisons, et cela ne vous surprendra pas, les députés du groupe GDR voteront résolument contre ce projet de loi.

Imprimer cet article

André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Lois

A la Une

Dernière vidéo de André Chassaigne

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques