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Liberté de choisir son avenir professionnel

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission, chères et chers collègues, avions-nous cru à cette annonce, à cette promesse, à cette prophétie ? Après avoir dévasté le code du travail et affaibli les salariés pour libérer le capital, vous alliez, disiez-vous, les protéger avec cette loi sur la formation professionnelle. Après la pluie, le beau temps. Après la tempête, le calme. Après l’effort, le réconfort. Libérer, protéger, c’était votre devise – mais pardonnez-moi de vous dire que vous n’avez pas le talent de Walt Disney pour les contes de fées. (Approbations sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Cette loi est fondue dans le même moule que la précédente, calquée sur la même matrice, issue du même scénario. On ne change pas plus la liberté du renard en droit des poules que le plomb en or. Vous n’avez pas trouvé, madame la ministre, la pierre philosophale.
On ne trouvera pas ici de véritable droit nouveau, en tout cas rien qui soit à la hauteur du droit qui disparaît, et il faut immédiatement préciser, puisqu’il nous a été dit qu’il s’agissait ici de lutter contre le chômage de masse, que la formation professionnelle seule n’y saurait suffire, sans quoi cela signifierait que ses victimes en seraient les responsables.
Voilà le Gouvernement à nouveau embarqué dans une opération « table rase » qui manque à la fois d’humilité et d’ambition. Or, la formation professionnelle mérite une grande ambition. En effet, nous sommes dans un monde en pleine évolution – une évolution permanente des technologies et des techniques, des modes de production et du travail lui-même. Et c’est bien du travail que nous parlons, de cet acte de production, de création, de participation – le travail, qui ne consiste pas à obéir, à accomplir une tâche, mais qui mobilise l’être humain et ses capacités pour produire un bien ou un service utile à la société. Ce dont il est question, c’est bien de placer chaque travailleuse, chaque travailleur, dans les meilleures conditions pour que cet acte participe de son épanouissement. Nous parlons donc bien d’émancipation, alors que le travail est aujourd’hui bien trop sous la domination des injonctions étriquées du capital, des actionnaires, des grands propriétaires.
Alors, de quoi avons-nous besoin ? Nous avons besoin de travailleuses et de travailleurs libres et responsables, et non pas de simples exécutants.
Nous avons besoin, d’abord, d’une ambition éducative au grand large pour les jeunes de notre pays, y compris pour celles et ceux qui, aujourd’hui, ne parviennent pas à trouver leur place dans l’école telle qu’elle est.
Nous avons besoin d’accompagnement pour que chacune et chacun puisse choisir vraiment sa voie, au moment opportun, en s’appuyant sur ses désirs comme sur ses capacités.
Nous avons besoin de sécurité et de droits pour ne pas être gouvernés par les contingences immédiates, par la peur de l’avenir ou par les éléments d’une économie en proie aux crises de la financiarisation insensée.
Nous avons besoin d’une formation professionnelle continue qui permette à chaque travailleuse, à chaque travailleur, de continuer à avancer dans son métier sans avoir à mettre en péril son existence en quittant son emploi, de gagner en qualification et en reconnaissance, de suivre, et même d’anticiper, les évolutions à l’œuvre, et aussi de changer de voie en utilisant ses savoirs sous d’autres formes et dans d’autres optiques.
En somme, parce que nous sommes confrontés à d’immenses défis qui appellent un changement profond des modes de production et l’invention d’autres rapports sociaux, parce que nous devons faire face à la crise écologique comme à la crise anthropologique, il y a besoin de forces nombreuses, d’intelligences actives, partout, au cœur des lieux où s’invente, se fabrique et se protège le monde. Il faut donc élever le niveau de connaissances et de qualification et il le faut d’autant plus que, tandis que des emplois se détruisent et que d’autres se créent, personne ne doit être laissé sur le bord du chemin.
Des emplois nombreux se détruisent pour de mauvaises raisons, liées notamment aux théories du coût du travail et au dumping social.
Des emplois se détruisent aussi parfois parce qu’ils ne répondent plus à un besoin.
Chacune, chacun, doit avoir le droit à la formation tout au long de la vie, car oui, il faut investir dans l’humain d’abord, et non, le travail n’est pas un coût. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) Il ne suffit pas de répéter la nécessité d’investir dans le capital humain : il faut aller jusqu’au bout de cette démarche. Il faut respecter les métiers, respecter l’ouvrage, respecter l’œuvre. C’est pour cette raison qu’il faudrait engager une révolution en ouvrant un nouveau champ de la Sécurité sociale : la sécurité d’emploi ou de formation, qui permettrait à chacun, à chacune, sans perte de revenus, de passer de l’emploi à la formation et vice versa, sans s’arrêter sur la case chômage, en permettant de dépasser ce marché du travail inopérant et de modifier les rapports sociaux eux-mêmes, en attachant de véritables droits collectifs à la personne.
Il y avait donc de la place pour une véritable ambition sur le sujet qui nous occupe et l’existant comportait, en germe, des choses positives. Or, ce ne sont pas celles que vous confortez.
Comment, alors, définir votre projet ? Rien qui relève du bon sens : vous édifiez l’État libéral, avec la puissance publique comme accélérateur de la dérégulation en tous domaines et de la marchandisation de tout ce qui peut l’être. Vous croyez au marché comme au grand ordonnateur du système économique et vous pensez que la formation initiale et professionnelle a pour rôle de mettre en adéquation l’offre et la demande sur le marché de l’emploi. La conséquence est une individualisation exacerbée, qui viendra alimenter les inégalités. Les failles sont pourtant connues d’un système qui peine à permettre aux moins qualifiés de se former, et votre réponse à cet enjeu n’est pas la bonne.
Vous réduisez la part des acteurs sociaux et des élus locaux dans la gestion du système. Vous marginalisez les accompagnements pour ouvrir un grand supermarché des formations, qui seront disponibles d’un simple clic sur un téléphone portable ou une plateforme. Vous instituez une sorte de chèque formation, en transformant une dotation horaire en une dotation monétaire qui, au passage, divise le droit par deux. Vous incitez à la prise en charge de la formation par l’individu, sur ses deniers et son temps propres. Vous diminuez le volume de richesses qui pourront, au bout du compte, y être consacrées globalement dans notre pays. Vous laissez de côté l’ambition de qualification pour la nébuleuse des compétences, prenant le risque de favoriser des formations low cost. Vous affaiblissez, ce faisant, les outils publics existants. Nous n’y voyons aucune ambition réelle pour la formation professionnelle, mais une vision court-termiste et utilitariste. Les personnels et les acteurs du monde de la formation s’inquiètent de ces bouleversements impréparés et de leurs conséquences, et vous ne leur avez adressé aucun signe.
Au passage, vous sacrifiez notre service public d’information et d’orientation, poussant à la suppression des lieux utiles que sont les centres d’information et d’orientation – CIO – et coupant l’ONISEP de son enracinement de terrain. C’est cohérent avec votre logique.
L’apprentissage est mangé à la même sauce : vous présentez un projet de dérégulation et de privatisation, mal copié sur le modèle allemand, et le détachez de la formation initiale. Vous êtes, là aussi, dans une logique adéquationniste, qui est moins justifiée encore dans le cas de l’apprentissage. Plutôt que de travailler sur un statut protecteur permettant de garantir la qualité de la formation en apprentissage, vous en abaissez les garde-fous avec l’allongement du temps de travail et la facilitation des ruptures, qui atteignent déjà 28 %. Dans la logique des ordonnances, vous abaissez désormais les droits pour les plus jeunes. Dans le même ordre d’idées, la dérégulation va mettre en difficulté des filières et des établissements utiles – en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 33 centres de formation d’apprentis – CFA – ont déjà été comptabilisés comme menacés.
La réforme de l’assurance-chômage découle des décisions lourdes prises à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui viennent entériner la fin du financement de la protection sociale par la cotisation salariale, ce que vous nous avez bien abusivement présenté comme une augmentation de pouvoir d’achat. On se trouve, là encore, dans l’édification de l’État libéral, puisque vous prenez en main une gestion qui était assumée de façon paritaire, et que l’État pourra décider de la somme qu’il affecte chaque année à l’assurance chômage.
La promesse d’universalisation du droit à l’assurance chômage se fracasse sur la réalité de vos décisions : 3 % des démissionnaires bénéficieront de votre nouveau dispositif, et 1 % des travailleurs indépendants, dont certains sont des salariés déguisés. Nous vous mettons en garde contre l’instauration de ce qui pourrait s’apparenter à un statut de sous-salarié. Il faut ajouter à cela les 55 % de demandeurs d’emplois qui ne sont pas indemnisés, dont les jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Non contents de cela, vous ajoutez votre pierre aux dispositifs de contrôle des chômeurs, dont certains confinent à la culpabilisation, et même à l’humiliation, alors que ceux-ci ont déjà fait l’objet de durcissements successifs conduisant à des radiations.
Vous prenez le risque d’altérer la relation entre les chômeuses et chômeurs et les agents de Pôle emploi mais, au bout du compte, votre lutte contre la fraude est assez sélective, comme le savent les grands fraudeurs fiscaux. Vous avez cependant accepté notre amendement pour examiner le non-recours aux droits, qui est une question cruciale – modeste victoire, mais dont nous prenons acte.
Heureusement, votre projet comporte quelques dispositions en faveur de l’égalité professionnelle, qui mériteraient de voir déployer de véritables moyens et ne suffisent pas à sauver ce texte – sans compter une entaille faite au statut de la fonction publique garantissant l’indépendance des agents et qui, si nous avons bien compris ce qui a été dit ailleurs, en appelle d’autres.
Madame la ministre, ce projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel porte un titre qui pourrait paraître alléchant – on pourrait en discuter – mais vous n’avez pas mis les bons poissons dans la bouillabaisse (Sourires) et, vous le savez, c’est impardonnable !
Je veux, pour terminer, dire un mot sur la méthode. Après nous avoir chanté dans toutes les tonalités les bienfaits de la confiance dans le dialogue social, vous avez commis dans la préparation de ce texte de sérieuses entorses à ce principe. Si les organisations d’employeurs semblent ne pas vous en tenir grief outre mesure, les organisations syndicales de salariés, elles, affichent leur mécontentement. Cela n’est pas étonnant, cette habitude que vous avez prise est un marqueur de votre politique. Vous avez pris des libertés avec les accords négociés ; c’eût pu être dans le bon sens, mais il n’en est rien. Vous leur avez également soumis une feuille de route bien balisée au préalable, enfermant leurs discussions dans un cadre restreint, et il se trouve que certaines dispositions sont encore écrites au crayon gris dans le texte. Cela donne un sentiment d’improvisation qui n’est absolument pas rassurant.
Le Gouvernement a de nouveau déclaré l’urgence sur ce texte ; c’est désormais systématique et c’est une façon de contourner les règles ordinaires qui garantissent la qualité du travail législatif, le temps du débat dans le Parlement et dans la société, et les droits du Parlement. Il est de notoriété publique que vous préparez des réformes visant à aggraver encore le déséquilibre des pouvoirs, mais cette pratique n’est pas pour autant acceptable.
Cela se double d’un recours au temps législatif programmé dont on a pu constater l’incurie lors de l’examen de la loi ELAN, la semaine dernière et la semaine d’avant. Qu’aviez-vous besoin de cette précipitation et de cette contraction ? Quels sont les éléments tangibles qui pourraient le justifier ? Aucun, si ce n’est la fidélité à cette méthode que vous mettez en œuvre depuis un an : frapper vite, frapper fort et profiter de la sidération. Notre pays n’a ni mérité ni demandé cela.
Il a beaucoup été question de révolution copernicienne au cours des débats : la révolution copernicienne plaçait le soleil au centre, vous y mettez Jupiter ! (Sourires.) Vous y mettez plus exactement la loi du marché, et cela ne peut pas tourner rond.
Madame la ministre, Marcel Rigout, ministre de la formation professionnelle, dont le passage aux responsabilités a été marqué par la création des missions locales, parce qu’il portait le souci d’une jeunesse en mal d’avenir et refusait d’opposer insertion et qualification, écrivait que « l’aspiration à la formation professionnelle est bien plus qu’une démarche utilitariste liée exclusivement à l’emploi, elle traduit fondamentalement ce grand besoin humain qu’est la culture ». Il promouvait « une conception large et humaniste de la formation, que l’on peut appeler l’éducation permanente », permettant à chacune et chacun de « participer à la maîtrise collective des activités, commencer à dominer les conditions de sa propre vie, de son épanouissement personnel ». Car il n’est pas écrit qu’à vingt ans, on a fini sa course : nous devons à chacune et chacun le droit d’avancer tout au long de sa vie et de mobiliser toujours mieux des connaissances et des expériences croisées.
Nous ferons donc des propositions dans le débat pour que le projet qui en sera issu pour la formation professionnelle, pour l’apprentissage, pour l’assurance chômage porte de véritables ambitions. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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