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Loi de programmation militaire 2019 à 2025

Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de la défense, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 intervient dans un contexte de montée des tensions internationales mises en exergue depuis le Livre blanc de la défense de 2013 et la revue stratégique de 2017. Ces tensions se concentrent de plus en plus au Moyen-Orient, et particulièrement sur le territoire syrien, où l’on voit l’Iran faire face à Israël. De leur côté, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite attaquent le Yémen, donnant naissance, avec des armes françaises, à la pire crise humanitaire actuelle.
Les jeux d’alliance évoluent au gré des événements, avec les faiseurs de roi que sont la Turquie, la Russie et les États-Unis.
En Afrique, la France est très impliquée pour limiter le terrorisme. Après avoir participé à faire de l’État libyen un enfer, l’armée française tente aujourd’hui, tant bien que mal, de sauver les meubles au Sahel.
Les provocations des puissances marquent un retour à la politique internationale de la puissance brute, du hard power, qui repose sur les muscles. Les exercices conjoints de l’OTAN aux frontières de la Russie ou les déplacements d’avions russes dans l’espace aérien de l’Union européenne sont, par exemple, autant de facteurs de tension. Ces guerres et ces pressions sont nombreuses. Ce sont elles, madame la ministre, qui, selon vous, justifieraient – avec, ajouterais-je, des accents d’épopée napoléonienne –, le réarmement de la France, l’augmentation du budget de l’armée française et de notre dissuasion nucléaire.
C’est dans ce contexte international tendu que fleurit la doctrine de M. Trump. L’OTAN, nous dit-il, doit se renforcer, et pour se renforcer, il faut avoir un budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB. Peu importe que ce chiffre ait été trouvé entre la poire et le fromage ; peu importe qu’il ne corresponde à rien de sérieux ; peu importe que le budget de la défense ne soit pas comptabilisé partout de la même manière ; peu importe… il faut s’accrocher à cette étoile ! Et le président Macron, dans son obsession d’impressionner ses homologues, s’est empressé d’être le bon élève de M. Trump. Le maître des horloges a décidé : les 2 %, ce sera en 2025.
Pourtant, ces 2 % ne sont là que pour faire fonctionner le complexe militaro-industriel. Nous savons en effet l’actuelle Maison Blanche sujette aux divers lobbys ; celui de l’armement est son premier de cordée. La volonté réaffirmée de M. Trump que les membres de l’OTAN hissent leur budget de la défense à 2 % du PIB n’est pas sans rappeler la très fameuse prédiction du président Eisenhower : « […] nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illégitime, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera. »
Nous ne sommes pas si loin de ce qu’écrivait Henri Barbusse dans Paroles d’un combattant : « […] nous savons […] que la guerre est un moyen employé par une caste internationale, avide et féroce, pour voler de la richesse et de la gloire par les mânes innombrables des pauvres et des sacrifiés. Nous savons que, tant que cette même caste conduira ses propres affaires à travers la chair humaine, les guerres sortiront les unes des autres, jusqu’à la ruine totale, jusqu’au charnier, jusqu’au silence. »
Au-delà de la volonté de favoriser les industries de défense, en quoi ce chiffre de 2 % correspond-il aux véritables besoins de l’armée française ? En effet, sans véritable audit sur les besoins de l’armée, sans concertation approfondie sur les besoins concrets des militaires, de leurs familles et des états-majors, cette loi de programmation risque de ne reposer que sur du sable. Il ne suffit pas de communiquer sur une loi « à hauteur d’homme », ou bien sur le « renouvellement des capacités opérationnelles » pour que cette LPM atteigne sa cible. Si les besoins sont réels au sein de l’armée, si les capacités opérationnelles doivent impérativement être renouvelées, encore faut-il se demander quels sont les choix qui ont conduit à la situation actuelle. Il est vrai, madame la ministre, que vous vous êtes livrée à cette analyse, cet après-midi, dans votre réponse à certaines interventions.
Pour écarter toute interprétation erronée de mes propos, je rappelle que nous demandons que tous les fonctionnaires disposent des meilleures conditions de travail. Aussi attendons-nous avec impatience l’augmentation substantielle des dépenses de matériel et de personnel pour les militaires, avec la même exigence que pour la santé, l’éducation ou la justice. Mais pourquoi augmenter le recrutement de soldats alors que le contexte international penche actuellement du côté du désengagement des troupes dans la lutte contre Daech, et du côté du désengagement au Mali au profit de l’armée du G5 Sahel ? Pourquoi ne pas nourrir une ambition plus mesurée en termes de projection en OPEX, pour que l’augmentation du budget du ministère des armées gagne en efficacité ? Et pourquoi ne pas limiter les investissements totalement inconsidérés en faveur de la dissuasion pour mieux maîtriser l’augmentation du budget de la défense ?
Dans le cadre de la contrainte budgétaire extrêmement forte que l’on nous impose, alors que les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les missiles M51 et ASMPA ou encore les Rafale F3 sont au début de leur vie, pourquoi investir autant ? Quel est l’intérêt de développer de nouveaux missiles nucléaires ayant une meilleure portée et une meilleure précision ? Ne pourrions-nous pas investir plutôt ces montants faramineux dans le remplacement plus rapide de matériels, dont certains sont utilisés depuis plus de trente, voire quarante ans, comme des Alouette III ou des sous-marins d’attaque ? N’est-il pas plus urgent d’investir dans du matériel utilisé au quotidien plutôt que dans un missile qui n’aura jamais à être utilisé ?
La dissuasion nucléaire française n’a même pas été débattue en amont de la LPM. Nous l’avons appris lors des vœux du Président de la République aux armées : sur le nucléaire militaire, le débat a été tranché. Mais point de nœud gordien ! Il n’y avait rien à trancher, puisqu’il n’y a même pas eu de débat ! Par ailleurs, permettez-moi de dire ici combien je trouve scandaleux que le détail des investissements dans la dissuasion nucléaire française ne soit même pas connu des parlementaires. Quels sont ces investissements ? Quelle est la somme exacte, réelle, dédiée à la dissuasion nucléaire ?
Dépenses inutiles dans la dissuasion, objectif ésotérique des 2 % et asservissement à l’OTAN sont autant de raisons qui fondent notre réticence à voter cette loi.
À cela, il nous faut ajouter les menaces qui planent actuellement sur le maintien en condition opérationnelle – MCO. Nous attendons avec impatience une loi courageuse et forte concernant ce dispositif : il faut valoriser notre industrie française pour maintenir notre indépendance stratégique, et se battre pour que le futur de l’Europe de la défense ne signifie pas, comme c’est généralement le cas au sein de l’Union Européenne, une mise en concurrence sauvage de tous les secteurs économiques. Nous pourrions alors perdre gros en indépendance et souveraineté nationale.
Si, dans le cours de notre histoire actuelle, l’Europe de la défense représente un horizon plus logique que l’OTAN, détaché des contingences de la guerre froide, il faudra tout de même se méfier fortement des déménagements industriels qui pourraient se faire au détriment de nos savoir-faire et de nos fleurons français.
S’agissant du MCO, le changement de régime juridique du service industriel de l’aéronautique – SIAé – prôné par le rapport Chabbert est inquiétant : il pose le premier jalon de la privatisation de ce secteur. Cela se traduira par des fusions avec des industries étrangères et par la perte d’une capacité d’entretien indépendante.
Les autres dispositions de la LPM ressemblent plus à un régiment de cavaliers législatifs qu’à une loi budgétaire : modification du code des marchés publics et du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, dispositions sur l’armement, et j’en passe. Tout cela semble bien confus et porte à croire que l’on a voulu faire vite en diluant les discussions. Serait-ce pour occulter les conséquences des évolutions législatives ? Cela n’aurait pas été le cas si chacun des sujets avait été spécifique ou avait fait l’objet de textes de loi indépendants les uns des autres.
Le constat n’est pas nouveau : la méthode Macron repose sur l’empressement, l’absence de concertation avec les intéressés et la complexité législative. C’est en cela qu’elle est insupportable. Je ne reviendrai pas sur le travail en commission, notamment sur les auditions, car j’en ai parlé tout à l’heure.
En définitive, concevoir une loi de programmation militaire à hauteur d’homme nous paraît, certes, aller dans le bon sens. Je le répète, nous souhaiterions que cela soit le cas pour toute la fonction publique ! Mais la méthode et certains points de cette LPM, comme la dissuasion ou l’obsession pour les 2 % imposés par l’OTAN, ne nous permettront pas de la voter en l’état. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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