Interventions

Discussions générales

LOI EL KHOMRI

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
M. Marc Dolez. La séance s’ouvre sur de belles interventions !
Mme Jacqueline Fraysse. Puisque la demande de retrait de ce texte formulée par l’immense majorité de nos concitoyens n’a pas été entendue, celui-ci vient aujourd’hui en débat devant notre assemblée. Il est inacceptable dès son intitulé. « Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » : les trois derniers mots sont manifestement de trop, tant ce projet de loi détruit les protections des salariés pour renforcer celles des entreprises ! (Approbations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Cette réalité a immanquablement sauté aux yeux de nos concitoyens, vous avez tort de le sous-estimer.
M. Marc Dolez. Tout à fait.
Mme Jacqueline Fraysse. La levée de bouclier que ce texte suscite depuis plus de deux mois, les mobilisations qui s’intensifient et les formes inédites de contestation qui ont vu le jour montrent à la fois la lucidité des Français et le refus de ce nouveau recul social dans un domaine essentiel, celui du droit au travail, de l’organisation du travail et, plus largement, du type de société dans laquelle nous voulons vivre.
Quel avenir voulons-nous construire ? Pour qui et pour quoi faire ? Pour satisfaire les exigences et continuer les gâchis sans limites des sacro-saints marchés financiers, ou pour répondre aux aspirations humaines ? Pour poursuivre l’accumulation insolente de richesses par quelques-uns pendant que précarité, chômage et misère progressent pour tous les autres ? Pour continuer à sacrifier les ressources naturelles de la planète sur l’autel de la concurrence « libre et non faussée », ou pour préserver ce bien commun au bénéfice de chacun et de tous ?
Telles sont les questions de fond soulevées, au bout du compte, par votre projet. Elles n’ont pas échappé à nos concitoyens qui, à juste titre, se sentent tous concernés : hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, actifs et retraités, précaires et sans emploi… Oui, tous, madame la ministre !
Face à cette réalité, que fait le Gouvernement ? Au lieu de travailler avec ceux qui en expriment la volonté, il envoie ses policiers pour les matraquer et poursuit l’examen de son texte au Parlement comme s’il ne se passait rien !
Il y a trois ans presque jour pour jour, nous achevions ici même l’examen d’un projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi », qui n’avait d’autre objet, comme nous le dénoncions alors et comme la suite l’a démontré, que de sécuriser les licenciements. « Sécurisation » et « flexibilité » sont devenues des mots d’ordre absolus. Mais pour qui et pour faire quoi ?
Avec vos textes précédents – telle la loi Macron, qui a notamment généralisé le travail du dimanche et de nuit –, vous avez déjà « flexibilisé » celles et ceux qui produisent les richesses. Pour quel résultat ?
Pas moins de 17 milliards par an ont été accordés aux entreprises dans le cadre du CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Pour quel résultat ?
Au début du mandat de François Hollande, il y avait 4 670 000 chômeurs dans notre pays. Aujourd’hui, il y en a 5 750 000, soit 1 million de plus.
M. Gérard Cherpion et M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est vrai !
Mme Jacqueline Fraysse. Ne croyez-vous pas que, face à ce bilan désastreux, il est grand temps de questionner vos choix politiques et économiques, plutôt que de vous acharner sur le code du travail ? Votre gouvernement prend une responsabilité historique en transformant le code du travail en code de la sécurité des employeurs,…
Mme Marie-George Buffet et M. Marc Dolez. Très juste !
Mme Jacqueline Fraysse. …autrement dit en niant sa raison d’exister, qui est de protéger le salarié parce qu’il est en situation de faiblesse, soumis au pouvoir de la direction et à la dépendance économique.
M. Marc Dolez. Évidemment !
Mme Jacqueline Fraysse. Pour parvenir à cette fin, toutes les stratégies ont été utilisées.
D’abord le silence sur le bilan de vingt ans de dérégulation et d’attaques contre le code du travail. Où sont passés les emplois que ces réformes devaient engendrer ? À quoi ont servi les milliards d’euros d’argent public engloutis pour « alléger les charges des entreprises » ?
Ensuite les mensonges sur le code du travail, dont la « complexité » serait supposée constituer un frein à l’emploi. Non seulement aucun lien n’a jamais pu être prouvé entré dérégulation et recul du chômage, mais c’est tout le contraire que nous constatons aujourd’hui.
M. Marc Dolez. Bien sûr !
Mme Jacqueline Fraysse. Mais aussi les manipulations, avec cette farce dans laquelle Gouvernement et patronat se répartissent cyniquement les rôles : le second en faisant mine de s’indigner des quelques concessions faites alors qu’aucune d’entre elles ne remet en cause la philosophie de ce texte, le premier en répétant que son projet est forcément équilibré puisqu’il est autant critiqué par le MEDEF que par la CGT.
Mme Marie-George Buffet. Eh oui !
Mme Jacqueline Fraysse. Personne n’est dupe de ce mauvais théâtre, comme le montrent les milliers de nos concitoyens qui, en inventant de nouvelles formes de débat et d’expression, rejettent l’idéologie dominante dont ce texte est porteur.
Car l’essentiel de ce qui était exigé par le MEDEF a été conservé.
C’est d’abord la remise en cause de la hiérarchie des normes et du principe de faveur pour le salarié, sur lesquels s’est construit notre droit du travail et qui empêchaient qu’un accord soit adopté s’il était moins favorable que ce que dit la loi. En faisant de l’accord d’entreprise la pierre angulaire de la détermination des règles, vous détournez le sens du dialogue social et vous livrez le monde du travail à un face-à-face totalement déséquilibré, vu la faiblesse des forces syndicales à ce niveau et surtout les moyens de pression dont disposent les employeurs, particulièrement dans cette période de chômage de masse. (Approbations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Les fameux accords offensifs de l’article 11, dits « de préservation et de développement de l’emploi » alors que, de fait, ils remettent en cause le contrat de travail, illustrent le hold-up opéré sur le sens des mots.
M. Marc Dolez et M. Philippe Martin. Absolument !
Mme Jacqueline Fraysse. Ces accords permettraient d’imposer aux salariés de travailler plus, tout en gagnant autant, autrement dit de baisser leur rémunération par simple accord, sans avoir à justifier d’une quelconque difficulté économique. Et les salariés qui refuseraient cette remise en cause de leur contrat de travail seraient licenciés ! Licenciés en dehors de tout contrôle du juge puisque leur licenciement serait fondé sur un motif économique,…
Mme Marie-George Buffet. C’est une honte !
Mme Jacqueline Fraysse. …mais aussi en dehors de toute obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, puisqu’ils seraient licenciés selon la procédure individuelle, donc à l’abri de tout contrôle des représentants du personnel et du juge administratif. Quelle meilleure démonstration de l’objectif fondamental de ce texte, celui de sécuriser les employeurs en écartant les deux gêneurs essentiels que sont le juge et les représentants du personnel ?
Mme Marie-George Buffet. Eh oui, quelle démonstration !
M. André Chassaigne. Une vraie mesure de gauche !
Mme Jacqueline Fraysse. Nous aurons l’occasion de revenir, au cours du débat, sur ces dispositions et bien d’autres, telles que le référendum, qui procèdent de la même inspiration. Si nous rejetons ce texte, il ne s’agit pas pour autant de rester dans lestatu quo. De nombreuses propositions existent, y compris en convergence avec certains de nos collègues des groupes socialiste et écologiste.
Certaines d’entre elles font d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi « visant à protéger et équilibrer le temps de travail ». De quoi s’agit-il concrètement ? De simplifier le code du travail non pas en lui substituant un texte au rabais, mais en en supprimant les redondances et les lourdeurs – notons au passage que, selon de nombreux juristes, votre texte augmentera de près de 30 % le volume dudit code !
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Bernard Accoyer. Il est déjà énorme, pourtant !
Mme Jacqueline Fraysse. Il s’agit de le moderniser en le purgeant de toutes ses sources de complexité, d’ailleurs essentiellement issues des multiples dérogations obtenues par le patronat.
Il s’agit aussi d’en renforcer certains aspects tels que la sécurité et la santé au travail, là où vous faites le choix de réduire comme peau de chagrin les prérogatives de la médecine du travail en supprimant notamment la visite médicale obligatoire préalable à l’embauche pour en faire un simple entretien d’information.
Il s’agit de favoriser la réduction et un meilleur partage du temps de travail, quand vous faites, vous, le choix d’allonger la durée du travail même pour les apprentis mineurs.
Il s’agit de garantir une rémunération convenable des heures supplémentaires, quand vous proposez qu’elles puissent être moins bien rémunérées.
Il s’agit de reconnaître le temps libre comme un droit à part entière des salariés, quand vous créez un « droit à la déconnexion » qui n’est ni plus ni moins que du temps de repos qu’il faudrait désormais revendiquer sous une autre appellation.
Il s’agit de garantir des droits applicables à tous, sur tout le territoire, quelle que soit la taille de l’entreprise, avec des dispositions favorables aux TPE et PME et des obligations renforcées pour les plus grandes entreprises.
Il s’agit d’adapter notre code aux nouvelles formes d’organisation du travail en assurant la promotion de nouveaux droits sociaux et démocratiques.
Il s’agit enfin d’encourager la présence syndicale effective dans toutes les entreprises et de protéger ceux qui s’engagent pour la défense des intérêts communs.
Voilà quelques-unes des propositions que nous défendrons.
Les hommes et les femmes de ce pays – qu’ils soient ou non dans la rue – sont de plus en plus nombreux, et nous nous en félicitons, à dire qu’il faut en finir avec cette spirale infernale qui produit toujours plus de précarité, d’isolement, de désespoir, de pauvreté, au seul bénéfice du monde de la finance et du vote d’extrême droite.
Ils sont prêts à participer à l’élaboration d’un droit du travail ambitieux et ouvert sur l’avenir, un code du XXIe siècle. Allez-vous enfin, madame la ministre, accepter de les entendre et de travailler avec eux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe écologiste.)

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