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Loi montagne

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, en débutant l’examen en séance publique de ce projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, je me réjouis tout d’abord de revoir sur le devant du travail parlementaire un projet de loi touchant directement aux problématiques d’aménagement du territoire, et spécifiquement à nos territoires ruraux de montagne. Nous sommes nombreux ici à être des élus de la montagne : de sensibilités différentes, nous n’en sommes pas moins des « frères de planète », comme l’écrivait Albert Camus à René Char malgré leurs divergences.
Pour autant, je ne me limiterai pas à cette envolée lyrique, parce que nous savons bien que tout finit en politique – fort heureusement ! Aussi n’aborderai-je pas ce débat sans rappeler le très douloureux triptyque gouvernemental de la réforme territoriale, qui marquera profondément la vie et la dynamique de l’ensemble de nos territoires ruraux. Je parle bien entendu de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, de la loi relative à la délimitation des régions et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, dont les effets se font maintenant connaître sans que l’ensemble des élus locaux et des populations n’aient eu leur mot à dire.
Comment pourrait-on également aborder un texte qui entend constituer l’acte II de la loi Montagne de 1985 et faire du « développement équitable et durable de ces territoires » un « objectif d’intérêt national », sans faire référence aux terribles coups portés ces dernières années aux moyens financiers de ces mêmes territoires ? La baisse de 11 milliards d’euros des dotations aux collectivités, d’ailleurs plutôt évaluée à 28 milliards de pertes par l’Association des maires de France,…
M. Jean-Pierre Vigier. Il a raison !
M. André Chassaigne. …contraint aujourd’hui l’immense majorité des communes rurales et de montagne à revoir de façon drastique leurs investissements et les moyens assurant les services du quotidien aux administrés. Il s’agit d’une injustice flagrante : les collectivités de proximité ne sont pas responsables de l’endettement public, mais sont au contraire moteurs de l’activité économique en réalisant 70 % de l’investissement public.
Cette double peine infligée aux collectivités de proximité est d’autant plus économiquement inefficace et socialement injuste qu’elle est la conséquence directe des orientations du pacte de responsabilité, avec le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE –, dont les premières évaluations sont sans appel : près de 30 milliards d’euros engagés, octroyés sans contrepartie, en priorité versés aux grands groupes, et sans effet sur l’emploi dans notre pays !
M. Laurent Wauquiez. Très bien !
M. André Chassaigne. Imaginons un instant que ces 30 milliards d’euros aient été utilisés au service du développement de nos territoires ruraux et de montagne et de l’activité économique locale. Les effets sur l’emploi auraient été immédiats, au service de la qualité de vie et de l’attractivité de ces territoires qui éprouvent aujourd’hui tant de difficultés !
Mais, monsieur le ministre, il n’est jamais trop tard pour revenir aux fondamentaux ! Pour citer René Char, après avoir cité Albert Camus, « il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. » Je me réjouis donc de ce temps de débat sur un texte dans lequel l’aménagement du territoire peut reprendre quelques jours – et même plus longtemps, je l’espère – le pas sur les seuls principes libéraux de concurrence territoriale et de concentration des richesses dans les territoires les plus compétitifs.
Je ne vous cache pas cependant que le contenu du projet de loi qui nous est présenté ne répond pas totalement au volontarisme affiché autour d’un acte refondateur au service des territoires de montagne. Certes, le travail qui a été le vôtre – celui des rapporteures comme le travail en commission – a permis de l’enrichir, en reprenant certaines propositions déjà formulées grâce à l’excellent travail mené par nos rapporteures en 2015 et présenté dans leur rapport Un acte II de la loi Montagne pour un pacte renouvelé de la Nation avec les territoires de montagne. Tous les élus de la montagne conviendront toutefois qu’il y a un véritable besoin de prendre en compte concrètement le vécu dans nos communes classées en zone de montagne pour répondre aux besoins des populations.
Ayant conduit sur le terrain un travail préparatoire avec une participation citoyenne, j’ai relevé des avis partagés et même des inquiétudes sur la portée limitée du texte. La coconstruction avec les élus de la montagne est une réalité, mais aboutit finalement à un texte de consensus qui a naturellement écarté, de par son élaboration même, certaines problématiques. Fort heureusement, à la suite du passage en commission, quelques problématiques très concrètes ont pu trouver un débouché législatif, même si certains sujets restent abordés de façon très parcellaire.
Je pense ainsi à la question centrale de la présence et du maintien de nos services publics en zone de montagne. Un chapitre III spécifique a été introduit, avec une avancée importante en faveur de la carte scolaire en zone de montagne. Cette avancée mérite d’être confortée en faisant clairement référence aux temps de parcours des élèves entre leur domicile et leur établissement scolaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de nos débats, puisque j’ai souhaité déposer, comme d’autres parlementaires, un amendement en ce sens. Mais il aurait été tout aussi indispensable de faire des propositions concrètes en matière d’accès aux soins et de maintien des hôpitaux de proximité dans le cadre de la création des groupements hospitaliers de territoire, tout comme en matière d’accès aux services déconcentrés de l’État ou encore en matière de présence postale et d’amplitude horaire des points de contact.
La question de l’adaptation des règles d’urbanisme aux spécificités et à la diversité des territoires de montagne a aussi occupé très largement nos débats en commission. Il s’agit en effet d’une préoccupation constante des élus et des habitants de la montagne – en particulier des élus de la moyenne montagne, qui est la mienne. Ainsi, les conditions particulièrement strictes d’élaboration et de révision des plans locaux d’urbanisme ne correspondent pas toujours aux problématiques réelles des territoires ruraux éloignés et souvent en perte de démographie.
J’ai déposé plusieurs amendements relatifs à cet enjeu, par exemple en ce qui concerne les possibilités de changement de destination de certains bâtiments pour faciliter la reprise d’activité. Un bâtiment agricole qui n’a plus cet usage ne peut pas être repris par une entreprise artisanale, ni même par une entreprise forestière : c’est un véritable problème, qu’il faut évoquer.
J’ai également déposé des amendements pour la prorogation de la validité des plans d’occupation des sols existants, afin d’éviter certaines dérives déjà constatées du fait du retour à l’application du règlement national d’urbanisme, dans l’attente des plans locaux d’urbanisme intercommunaux, ou PLUI.
Un autre enjeu longuement abordé par la commission des affaires économiques est celui des modalités de la gestion de l’eau potable en zone de montagne. Il s’agit d’une préoccupation très forte des élus des communes concernées, qui vivent avec beaucoup d’inquiétude le transfert obligatoire de cette compétence aux intercommunalités, transfert acté par la loi NOTRe, au regard des conséquences probables pour le service rendu aux habitants et les futurs prix de l’eau. J’y reviendrai dans le débat sur les articles avec plusieurs propositions d’amendements, mais j’appelle d’ores et déjà l’attention de l’ensemble de la représentation nationale sur ce point.
Monsieur le ministre, sans vouloir défaire ce qui a été voté hier, il apparaît indispensable que nous sachions collectivement faire acte de réalisme et de raison dans ce domaine au regard de ce qui est en jeu sur le terrain et des conséquences très concrètes que nous font remonter tous les élus municipaux dévoués au quotidien à une gestion d’un bien commun fondamental pour leurs concitoyens.
Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, sans rien renier du travail effectué sur ce texte – je l’ai d’ailleurs salué –, je regrette qu’une série d’enjeux concernant directement les territoires de montagne fassent figure de grands absents.
Tout d’abord, la question de l’accessibilité en termes d’infrastructures de transports, tout comme en matière d’offre et de services de transports collectifs pour nos zones de montagne : alors que des coups très rudes sont portés à la continuité du service public ferroviaire et que des largesses exorbitantes sont une nouvelle fois accordées aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’absence de ces thématiques dans le texte est saisissante. Il s’agit pourtant d’un sujet prioritaire pour qui cherche à favoriser l’attractivité de ces territoires ruraux par l’accueil de nouveaux actifs, parallèlement au problème du déploiement du numérique – j’aurai l’occasion d’y revenir.
Il est tout aussi regrettable de ne pas aborder de façon approfondie l’enjeu central du réchauffement climatique et de ses incidences sur les activités et l’attractivité des territoires de montagne. Quelques mois seulement après la COP21 de Paris, nos politiques publiques doivent clairement marquer une attention et consacrer des moyens spécifiques aux territoires de montagne dans ce domaine. Ils figurent en effet parmi les espaces les plus impactés : hausse des températures, contrastes pluviométriques accrus, diminution de l’enneigement, hausse des phénomènes météorologiques violents, évolution et érosion accélérée de la biodiversité, la montagne est en première ligne à travers les activités agricoles, forestières et touristiques. Or ce texte n’y fait quasiment pas référence, ou du moins très peu, ou indirectement. À travers l’amendement que je propose, je souhaite a minima que nous fassions figurer cet enjeu central parmi les objectifs généraux de cette loi.
J’ajouterai, pour conforter mon propos, que cet enjeu est crucial pour toute la filière forestière, comme je l’ai souligné dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Forêt » du projet de loi de finances pour 2016. Le changement climatique aura en effet des répercussions majeures sur l’état de nos forêts, dont il convient de prendre, dès maintenant, toute la mesure en raison de l’inscription de la gestion forestière dans le temps long. C’est aujourd’hui que se préparent la forêt et les récoltes de l’après-2050, période qui devrait voir, selon les prévisions, les changements les plus importants de notre environnement.
Une autre problématique n’a pas trouvé directement de traduction législative dans ce texte : le soutien aux activités commerciales et artisanales de proximité. Il aurait mérité un travail concerté avec l’ensemble des acteurs concernés pour parvenir à assurer un minimum de ressources aux professionnels installés sur des territoires très peu peuplés – je pense une nouvelle fois à tous nos territoires de moyenne montagne, comme dans le Massif central.
Enfin, et sans vouloir abaisser le travail fourni présenté aujourd’hui, il y a un autre absent : il s’agit bien entendu du nerf de la guerre de l’aménagement du territoire, en l’occurrence les moyens financiers spécifiques accordés à ces politiques différenciées.
M. Laurent Wauquiez. Les Auvergnats sont d’accord !
M. André Chassaigne. Comment ne pas voir un risque flagrant d’aboutir à un acte II manqué, malgré notre engagement commun et, je le crois, partagé en faveur de la montagne ? Quand près d’un quart du territoire national fait l’objet d’une ambition législative spécifique, l’on ne peut raisonnablement faire fi du volet financier qui devrait accompagner cette ambition – d’autant plus quand nous connaissons, comme je l’ai rappelé en introduction, les sommes colossales qui viennent d’être soustraites aux moyens de l’État à travers le CICE, dont une part certaine a sans doute filé vers des territoires bien éloignés de nos massifs, lesquels fondent pourtant une partie de l’histoire et de l’identité singulière de notre pays.
Mes chers collègues, vous connaissez mon attachement particulier aux politiques publiques en faveur de la ruralité et de la montagne. C’est donc une nouvelle fois dans un esprit constructif et au service du bien vivre de tous leurs habitants que je souhaite que nous puissions enrichir ce projet de loi au regard de ses avancées comme de ses nombreuses insuffisances.
Pour l’essentiel, les amendements que j’aurai l’occasion de défendre lors de l’examen des articles sont issus de la réflexion partagée avec les élus et habitants de la circonscription dont je suis élu, qui compte pas moins de 108 communes classées en zone de montagne sur un total de 132. Je formule ainsi le vœu que nos travaux puissent réellement prendre en compte le vécu de tous ces élus et habitants si attachés à « leur montagne » et qui en sont souvent, malgré les vents contraires, de si ardents défenseurs. C’est le cas des Auvergnats, grands défenseurs de la montagne. Certes, pour reprendre Alexandre Vialatte, que je cite souvent, « l’Auvergnat vend son torrent au détail ».
M. Laurent Wauquiez. Il le fait gratuitement !
M. André Chassaigne. Mais il sait également que, face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non par la force, mais par la persévérance. Aussi, même si le lyrisme et le consensus sont en vogue cet après-midi, nous serons d’une fermeté persévérante et montagnarde pour apprécier les réelles avancées de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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