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lutte contre la fraude et l’évasion fiscales grande priorité nationale 2020

Tous les ans, il manque 80 à 100 milliards d’euros d’impôts au budget de l’État à cause de la fraude et de l’évasion fiscales. C’est la plus grosse fuite dans nos finances publiques. Que dis-je, une fuite ? C’est un trou, c’est un gouffre, c’est un abîme, dirait Cyrano de Bergerac. (Sourires.) C’est autant d’argent qui manque pour financer nos écoles ou nos hôpitaux, pour être à la hauteur du défi climatique. C’est pourquoi nous faisons de ce thème une priorité, et vous proposons d’en faire la priorité de l’État.
Je ne dirais pas que rien n’a été fait. Nous avons quand même réussi à faire sauter le verrou de Bercy ! Mais il reste encore trop de choses à faire pour se permettre le moindre relâchement. Ce n’est plus l’heure de jouer au chat et à la souris avec ces délinquants en col blanc, ces tricheurs qui siphonnent nos recettes et sapent la notion même de consentement à l’impôt. Or quel est le message actuellement envoyé par le Gouvernement ? Pas un mot dans la bouche du Premier ministre, pas une seule référence en une heure et quart de discours de politique générale pour détailler l’acte 2 de la majorité. Le travail serait-il fini ? La pelle est-elle dans le sable ?
En demandant un énième rapport sur le sujet, le Président de la République donne même l’impression de jouer la montre, une nouvelle fois. Toutes les données sont connues, archi-connues, et je ne vous ferai pas l’affront de vous égrener tous les rapports et études qui existent sur le sujet – certains sont encore tout chauds sur les étagères de l’Assemblée nationale.
Les Français attendent de nous des actes forts car ils n’en peuvent plus du sentiment d’impunité que traduit la succession des scandales, d’ailleurs révélés par des journalistes ou des lanceurs d’alerte mais jamais par l’État. Oui, les Français réclament des actes forts. L’enjeu dépasse de très loin une taxe sur les entreprises du numérique censée rapporter entre 300 et 500 millions d’euros par an. Franchement, vous savez bien que cette taxe ne réglera rien ! Elle s’attaque aux seules entreprises du numérique et ne porte que sur la publicité, même pas sur leurs bénéfices. De plus, les entreprises pourront déduire cette taxe de leurs impôts, qui sont déjà très bas ! Bref, elle rapportera des cacahuètes : c’est la taxe peanuts par excellence.
Tout cela laisse le champ libre aux financiers, aux géants de l’alimentaire et de l’industrie, aux pollueurs qui délocalisent leurs bénéfices dans les paradis fiscaux. À titre d’exemple, parlons du scandale McDonald’s, qui revient sur le devant de la scène.
En 2013, sur dénonciation des syndicats de salariés, que je salue ici, notre administration fiscale a initié une enquête contre la multinationale américaine en raison d’un transfert de bénéfices de la société vers le Luxembourg. Six ans plus tard, que constate-t-on ? Aucune sanction n’est tombée à ce jour ! Le litige serait en cours de négociation avec vos services, monsieur le secrétaire d’État. D’après nos informations, McDonald’s France se prépare à payer, car l’entreprise a enregistré une provision pour risques de 1,021 milliard d’euros dans ses comptes pour les exercices 2016 et 2017. Pendant ce temps, la Commission européenne a elle aussi ouvert une enquête, clôturée en septembre 2018, qui confirme que McDo n’a payé aucun impôt sur les bénéfices en cause. La Commission demande aux États membres de prendre leurs responsabilités. Notre gouvernement est donc directement interpellé. Où en est-on dans cette affaire, monsieur le secrétaire d’État ?
Franchement, si une telle négociation était confirmée, elle serait un scandale de plus. Rappelons-nous la transaction pénale négociée par HSBC en 2017 : plus de 1,6 milliard d’euros d’avoirs soustraits à l’impôt de solidarité sur la fortune et à l’impôt sur le revenu, pour quelle sanction ? Une amende de 300 millions d’euros pour prix d’un abandon des poursuites judiciaires à l’encontre de la banque ! Monsieur le secrétaire d’État, quand vous êtes flashé sur l’autoroute parce que vous roulez à 200 kilomètres heure, vous ne négociez pas : vous êtes sévèrement condamné, et en plus on vous retire votre permis – c’est normal, car il est criminel de rouler à une telle vitesse ! Cela devrait être pareil pour la fraude fiscale : si vous êtes pris, il faut que vous soyez condamné sévèrement, sans négociation, et soumis à une interdiction de gérer à nouveau des entreprises. Lorsqu’une banque triche, on doit lui retirer sa licence, car à ce niveau-là, la triche aux impôts est aussi criminelle !
C’est pourquoi il faut donner plus de moyens à la justice, au fisc et à la police pour traquer et condamner ces fraudeurs. Sinon, c’est trop facile ! Pour eux, il est toujours possible de négocier, mais pour la petite boîte du coin, c’est loin d’être le cas.
Nous, citoyens, élus, attendons de la République qu’elle soit à la hauteur, c’est-à-dire intraitable avec les tricheurs. Sinon, elle perd toute crédibilité.
Telle est l’ambition de la présente proposition de résolution, celle d’afficher un objectif ambitieux : 0 % de fraude fiscale, zéro impunité.
Nous formulons pour cela une série de propositions très concrètes.
D’abord, faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale la grande priorité nationale de l’année 2020. Mobilisons l’ensemble de la société – citoyens, élus, entreprises, associations, ONG, syndicats et médias – pour sensibiliser, informer et mener des actions de prévention. La fraude et l’évasion fiscales sont des coups de poignard portés au pacte républicain, au bien commun, à la fraternité, à l’égalité et à la liberté. Mobilisons donc le plus largement possible pour que cesse ce mal qui ronge notre société.
D’abord, en ayant les coudées franches pour agir. C’est le sens de notre proposition : une réforme constitutionnelle pour donner à la lutte les moyens qu’elle exige.
Il s’agit, d’abord, de faire primer l’éthique fiscale sur la sacro-sainte liberté d’entreprendre. De fait, en l’état, le Conseil constitutionnel a déjà censuré des mesures de lutte contre les paradis fiscaux au motif qu’elles portaient atteinte à la liberté d’entreprendre – je pense ici aux mesures de transparence fiscale des grands groupes, que nous avons adoptées ici, mais qui ont été censurées ensuite, ou encore à ma proposition d’interdire aux banques de s’installer dans les paradis fiscaux, rejetée au nom de ce même principe.
Monsieur le ministre, je vous invite à lire le récit palpitant d’un fiscaliste travaillant pour un cabinet d’investissement à Jersey, qui s’est mis au service de la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure : Là où est l’argent, Un espion français au cœur des paradis fiscaux, de Maxime Renahy. Cet espion raconte qu’il a personnellement assisté, à Jersey, dans ce cabinet, à la vente de l’usine Samsonite par un fonds d’investissement américain géré par Mitt Romney, le sénateur républicain : 106 millions d’euros de mise au départ ; deux ans plus tard, 950 millions récupérés, 200 salariés sur le carreau en 2007 et, entre nous soit dit, Marine Le Pen élue en 2012.
L’auteur de ce livre révèle que nous confions nos enfants aux crèches Babilou, financées par le fonds Alpha, implanté lui aussi à Jersey. Il raconte que nos parents sont accueillis dans les EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – appartenant aux groupes EMERA ou DomusVi, dont les actionnaires sont les Émirats arabes unis et dont le siège est lui aussi à Jersey. Comme vous le voyez, nous sommes tous concernés par ces zones offshore, ces paradis fiscaux. C’est pourquoi nous proposons la création d’un ministère dédié à la lutte contre l’évasion fiscale. Il ferait travailler ensemble des services qui peuvent aujourd’hui être éclatés, notamment, entre Bercy et le ministère de la justice. Ce tout nouveau ministère prendrait ses fonctions en présentant une loi-cadre qui concrétiserait la grande priorité publique nationale pour 2020.
Cette loi ambitionnerait de donner de nouveaux pouvoirs à l’administration fiscale et à la justice.
Elle donnerait aussi des moyens aux associations en matière d’investigation. Elle donnerait des pouvoirs nouveaux aux représentants des salariés et aux syndicats pour lutter contre les pratiques fiscales nocives. Je pense ici aux syndicats mobilisés chez McDonald’s et bien d’autres, qui voient les richesses produites par leurs salariés s’évaporer vers les paradis fiscaux par le biais de ces prix de transfert. Cela doit cesser !
D’autres projets de loi pourraient être présentés dans la foulée, proposant des solutions innovantes et ambitieuses, telles que le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales. Vous l’avez fait pour les ménages : faisons-le pour les grandes entreprises, avant qu’elles n’aillent placer leur argent là où la fiscalité est faible ou nulle. Nous en avons déjà parlé ici mais, à chaque fois, vous répondez que cette disposition serait compliquée à mettre en œuvre à cause des nombreuses conventions fiscales établies avec tous les pays de l’Union européenne. Eh bien ! commençons par un bout : les pays de l’Union européenne reconnus comme des paradis fiscaux notoires, tels que l’Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg.
Nous devons également renforcer la protection des lanceurs d’alerte, qui parfois risquent leur vie, et aller de l’avant à propos des aviseurs fiscaux, à la lumière des travaux réalisés par notre collègue Christine Pires Beaune.
Par ailleurs, paradis fiscaux et défense de l’environnement sont intimement liés, d’abord parce que l’évasion fiscale nous prive de moyens financiers pour relever le défi climatique, mais aussi parce que les entreprises qui sont à l’origine de la déforestation de l’Amazonie, des marées noires ou de l’exploitation illégale de certaines de nos ressources naturelles – leur principale activité – ont souvent leur siège dans ces zones offshore reconnues pour leur opacité. Impossible, lors des catastrophes naturelles, de retrouver les propriétaires et de traquer les responsables !
Ces paradis fiscaux doivent donc être interdits et clairement inscrits sur une liste noire, afin de pousser ces pays à se conformer à un minimum de règles. En l’état, en effet, la liste française, calée sur la liste européenne, est bidon, nulle – mais vous le savez et nous l’avons assez dénoncé ici. Quand serons-nous enfin à la hauteur et à la pointe de ce combat ? Notre droit donne par ailleurs de la valeur à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Avançons pour définir des critères de responsabilité fiscale, qui pourraient être pris en considération, par exemple, dans les marchés publics. Mettons en jeu la réputation de ces entreprises : ce serait terriblement efficace !
Nous proposons ensuite d’instaurer, non pas une police, mais bien une armée fiscale. Il faut augmenter les effectifs des finances publiques et des douanes, et former ces personnels. Cela ne coûtera rien aux finances publiques, car ces postes rapportent plus qu’ils ne coûtent !
Nous proposons ensuite la création d’un observatoire indépendant, composé d’experts de divers horizons, afin d’appuyer le Parlement dans ses missions. Le ministre Darmanin s’est montré ouvert à cette proposition. Ou en est-on ?
Au niveau mondial, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, travaille et avance sur ces questions, mais les pays en développement restent encore bien trop souvent sur le bord de la route. Ils perdent chaque année 125 milliards d’euros du fait de la fraude et de l’évasion fiscales. Associons-les au niveau des Nations unies, organisons une COP fiscale sur le modèle de la COP environnementale et rénovons nos conventions fiscales pour mettre ces pays sur un pied d’égalité.
Il est temps, mes chers collègues, de nous attaquer enfin à ce fléau qui ronge le vivre-ensemble. Il nous revient de faire vivre le principe d’égalité de tous face à l’impôt et de mettre les richesses produites au service de l’être humain et de la planète. Tel est le sens de cette proposition de résolution que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.)

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