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Maintien administration et politiques publiques dédiées aux Français rapatriés d’Outre-mer

Monsieur Aboud, je vous ai compris ! Mais je ne lèverai pas les bras. J’ai beaucoup de reconnaissance pour le Général de Gaulle.
Plus de cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, vous nous présentez une résolution pour flatter ce que vous croyez être une réserve électorale, harkis et nostalgiques de l’Algérie française !
S’agissant des harkis, l’exposé des motifs évoque leur désarroi et celui de leurs familles. Revenons un instant sur leur histoire. Parias en France, où ils furent parqués dans des camps, parfois pendant plusieurs dizaines d’années, massacrés en Algérie pour collaboration avec l’ennemi après le départ des troupes françaises, ignorés des responsables politiques pendant plus de quarante ans, les harkis ont beaucoup souffert. Mais nous devons rappeler la responsabilité de la droite dans le drame qu’ils ont vécu et la situation scandaleuse dans laquelle leurs descendants ont été maintenus. Rappelons que c’est le gouvernement en place en 1962 qui a désarmé les harkis et les a laissés, eux et leurs familles, se faire massacrer par les partisans du nouveau pouvoir algérien. D’autre part, des ordres étaient donnés de la part de Louis Joxe pour éviter un afflux massif en métropole. Cela fait dire à nombre d’intellectuels que l’épisode des harkis constitue l’une des pages honteuses de l’histoire de France, comme l’ont été l’instauration du statut des Juifs ou la rafle du Vél’d’Hiv.
Ce sont les mêmes gouvernements de droite qui ont relégué les harkis dans des camps et qui, pendant vingt ans, ont refusé de satisfaire leurs revendications matérielles en matière d’indemnités, d’aides à l’emploi et au logement ; ce sont eux aussi qui ont refusé de mettre fin aux discriminations, notamment sociales et économiques, auxquelles ils étaient confrontés. Désormais, les harkis ont obtenu des réparations matérielles et morales, en vertu de lois que personne ne songe à remettre en cause.
S’agissant des rapatriés, le texte évoque une centaine de réinstallés « dans une profession non salariée qui, notamment, en raison de l’âge, sont en situation de détresse sociale ».
Cinquante ans après, ne peut-on pas légitimement penser que ces rapatriés ont eu le temps de se refaire et de se reconstruire dans leur pays, la France ?
Il est maladroit de mettre aujourd’hui en cause la décolonisation pour expliquer la situation sociale des intéressés. C’est à se demander si l’UMP a quelque chose à dire sur les difficultés sociales de l’écrasante majorité des personnes âgées en France ! Parlons réellement des aspirations de la masse des personnes âgées et des retraités de France, qui se comptent par millions. La semaine dernière, à l’appel de plusieurs organisations, dont la CGT et la FSU, les retraités se sont mobilisés pour leur pouvoir d’achat, mais aussi pour un modèle de société solidaire. Cela n’a rien à voir avec le fait de se plaindre d’un sort qui leur aurait été fait il y a de cela plus de cinquante ans.
M. Élie Aboud. Ils sont tous retraités, quand même !
M. Jean-Jacques Candelier. Il s’agit de vivre dignement quand on a travaillé toute sa vie. Les retraités dénoncent la baisse de 15 à 20 % de leur pouvoir d’achat ces dix dernières années. Trop de retraités, et particulièrement des femmes, vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Cette situation de pauvreté découle des réformes des gouvernements successifs. Aujourd’hui, le Gouvernement, avec l’appui de l’UMP qui voudrait faire encore plus d’austérité, entend geler les pensions jusqu’en octobre 2015 : c’est inacceptable ! Il faut, au contraire, un rattrapage significatif et immédiat des retraites, à hauteur de 300 euros. Il faut mettre un terme à la politique de déremboursement des médicaments, supprimer les participations forfaitaires, les franchises médicales, les dépassements d’honoraires et la taxation des mutuelles.
Revenons sur la volonté commune du PS et de l’UMP de supprimer les services publics de proximité assurés par les conseils généraux.
M. Élie Aboud. Quel est le rapport ?
M. Jean-Jacques Candelier. Je vous ai écouté, monsieur Aboud. Écoutez-moi !
Ce sont la création d’emplois, la revalorisation des salaires, l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, l’arrêt des exonérations de cotisations et l’élargissement de l’assiette à tous les revenus distribués par les entreprises qui créeront les ressources nécessaires pour satisfaire les besoins, notamment des plus âgés.
Les moyens existent pour indexer les pensions sur les salaires et non sur les prix, pour qu’aucune retraite ne soit inférieure au SMIC à 1 700 euros bruts, pour instaurer une pension de réversion égale à 75 % de la pension de base pour les veuves et les divorcées, ou encore pour assurer l’égalité des soins pour tous et la prise en charge de la perte d’autonomie. Voilà les revendications du monde du travail, que les pouvoirs publics doivent prendre en compte.
Cette proposition de résolution passéiste et orientée – je ne vous ai pas oublié, monsieur Aboud – n’a strictement rien à voir avec le vécu de la majorité des personnes âgées, et même, disons-le franchement, des rapatriés. Ce sont leurs enfants et petits-enfants qui sont aujourd’hui dans la vie active : ils ne demandent rien de spécial. Ce texte incantatoire n’apporte strictement rien de positif. Je prendrai quelques exemples.
Si l’ONAC assure désormais la gestion des affaires relatives aux rapatriés et anciens combattants harkis, c’est uniquement suite à une simplification administrative. Il est inutile de changer son nom.
S’agissant de la création d’une action sociale destinée aux réinstallés, je note que l’UMP, toujours prompte à dénoncer les régimes spéciaux qui apportent des droits sociaux, notamment ceux conquis par des luttes du monde du travail, entend créer un régime spécial pour services rendus pour les ex-colons.
M. Élie Aboud. Ce n’est pas cela !
M. Jean-Jacques Candelier. J’ai bien compris que le but était de flatter certains milieux, mais cela n’a rien à voir avec la satisfaction de l’intérêt général.
S’agissant du dispositif des emplois réservés pour les enfants d’anciens supplétifs qui sont encore à la recherche d’un emploi stable ou d’une formation, personne ne songe à le remettre en cause. Il est donc inutile d’agiter des peurs à ce sujet.
Je passe sur des points qui me paraissent secondaires. Le plus important me paraît la provocation qui consisterait à affirmer qu’il reviendrait aujourd’hui à l’Algérie de rembourser les biens perdus par les rapatriés. L’Algérie est la victime de la colonisation. Elle a payé un lourd tribut. Rappelons aussi les 300 000 à 400 000 morts algériens, en très grande partie des civils. Près de 30 000 soldats français ont payé de leur vie cette guerre absurde. La France s’est servie économiquement et financièrement sur la bête pendant la colonisation, monsieur Aboud.
Aujourd’hui, il faut rejeter catégoriquement les provocations et tentatives de division des Français, et prôner l’amitié entre les peuples. Cette proposition, tout au contraire, fleure bon l’impérialisme. Comment ne pas voir la résurgence du colonialisme économique dans la mise en avant d’un axe Paris-Alger et, aux termes de l’exposé des motifs, de « partenariats novateurs avec le sud de la Méditerranée » ?
Nous proposons une toute autre perspective sociale et économique, qui s’appuie sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le juste partage des richesses en faveur du monde du travail. Il faut regarder lucidement le passé colonial, mais aussi toutes les nouvelles formes de colonialisme et de négationnisme qui oppriment encore de nos jours ou pervertissent les esprits : soutien à des dictatures, poursuite du pillage des richesses naturelles des anciennes colonies, engagement de nos soldats dans de lointains conflits, réhabilitation de l’OAS par une frange dure de la droite. Il faut instaurer une compréhension et un respect mutuels entre les deux rives de la Méditerranée.
« Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre », disait Karl Marx. Parce qu’il n’aspire qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le vrai patriotisme s’oppose au colonialisme, au capitalisme, à l’impérialisme, ainsi qu’à leurs instruments idéologiques, les défouloirs du racisme et de la xénophobie.
Nous profitons de l’occasion pour souhaiter que notre proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la République française dans le massacre du 17 octobre 1961, jour où plusieurs centaines de travailleurs algériens manifestant pacifiquement furent froidement tués, soit inscrite à l’ordre du jour et votée.
Nous profitons également de ce débat pour honorer la mémoire de Maurice Audin, assassiné comme des milliers d’autres. Dans la nuit du 10 au 11 juin 1957, le jeune militant communiste Maurice Audin était kidnappé par des parachutistes à son domicile situé à Alger. Il fut emmené puis torturé pendant dix jours au centre de tri et de transit d’El Biar. Le 21 juin, il fut froidement assassiné à coups de poignard par l’aide de camp de Massu, le sous-lieutenant Gérard Garcet.
Maurice Audin était brillant. Il avait 25 ans et était père de trois enfants, enseignant-chercheur en mathématiques à la faculté d’Alger. Son combat pour la liberté d’un peuple était la première phase pour abolir les discriminations raciales et religieuses, mais aussi pour supprimer l’exploitation et la domination entretenues depuis environ un siècle par l’armée coloniale française. Comme ce fut le sort de milliers d’autres patriotes enlevés en 1957 et torturés à mort par l’armée durant la bataille d’Alger, le corps de Maurice Audin n’a jamais été retrouvé. Cela ne me fait pas rire, monsieur Aboud.
M. Élie Aboud. Je ne ris pas à cause de cela, vous le savez bien !
M. Jean-Jacques Candelier. C’est avec émotion que nous avons une pensée pour lui aujourd’hui.
Vous l’avez compris, mes chers collègues : bien entendu, les députés du Front de gauche voteront contre cette proposition de résolution.

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