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Majoration des droits à construire

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le caractère inacceptable de nos conditions de travail. Sachez que je partage le constat dressé par mon collègue Jean-Pierre Brard dans sa motion de renvoi en commission
Lors de son show télévisé du 29 janvier dernier, Nicolas Sarkozy, dans un de ces numéros d’acteur qu’il affectionne particulièrement, s’est offusqué des prix de l’immobilier, feignant de dénoncer une situation dont il s’exonérait d’ailleurs de toute responsabilité. Ce soir-là, monsieur le secrétaire d’État, vous avez reçu l’absolution.
En quelques minutes, le Président de la République a balayé d’un revers de manche tout rapport de causalité entre la situation actuelle du logement et les dix années de politique de droite marquées par les milliards d’argent public gaspillés à nourrir la spéculation immobilière.
M. Alain Cacheux. Ils n’y sont pour rien, c’est sûr !
M. François de Rugy. Comme pour le reste !
M. Jean-Paul Lecoq. Le Président a tout de même été contraint de reconnaître les difficultés rencontrées par nos concitoyens pour se loger.
M. Alain Cacheux. Eh oui !
M. Jean-Paul Lecoq. Comment aurait-il pu faire autrement ? Les prix de l’immobilier ont flambé. Vous aurez beau jouer avec les chiffres, présenter des moyennes nationales en mettant sur le même plan la Lozère et la région parisienne,…
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est justement l’inverse !
M. Jean-Paul Lecoq. …comme c’est le cas dans l’étude d’impact que vous nous présentez, vous ne changerez pas le ressenti légitime des Français.
Nos concitoyens déplorent un renchérissement exorbitant du coût du logement. À Paris, les loyers ont doublé, les prix à la vente dépassent en moyenne les 10 000 euros au mètre carré. Plus aucun arrondissement n’est en dessous de 8 000 euros. Rendez-vous compte : un treize mètres carrés est vendu 130 000 euros à Paris, autant dire un montant inaccessible pour un smicard !
Face à cette situation, le Président de la République a sorti de son chapeau la majoration des droits à construire. Après la TVA anti-sociale, la remise en cause des 35 heures et la remise en cause aggravée du repos dominical, voilà le droit à construire ! Pas un mot sur le logement social, la loi SRU ou encore les aides à la pierre, rien, si ce n’est une ultime mesure de libéralisation de l’urbanisme.
Dès cette annonce, les ministres de l’écologie, du logement et du budget ont mobilisé tous leurs efforts pour démontrer l’extrême nécessité d’une telle mesure. Cette dernière serait « la » solution face à la pénurie de logements. Il n’y en aurait pas d’autres, et surtout pas le soutien au logement social !
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est valable aussi pour le logement social.
M. Jean-Paul Lecoq. La majoration des droits à construire permettrait, selon les dires ministériels, de faire sortir de terre 40 000 logements. Ce serait, paraît-il, imparable.
Dès lors, une question me taraude : pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Si cette mesure est magique et apporte les réponses adéquates à la crise du logement, pourquoi ne pas l’avoir fait adopter en début de législature ?
M. Alain Cacheux. Très bonne question !
M. Jean-Paul Lecoq. La crise du logement ne date pourtant pas d’hier. Vous avancez, monsieur le secrétaire d’État, le chiffre de 40 000 logements. Or c’est en deçà des seuls objectifs de construction fixés par la loi du Grand Paris pour l’Île-de-France. C’est dire ! Qui plus est, cette estimation reste très fantaisiste. Pour s’en rendre compte, il suffît de se référer à l’étude d’impact. Les 37 000 logements seront atteints si – écoutez bien – 66 % des communes concernées appliquent cette majoration à 50 % des projets en l’utilisant à 100 % de ses capacités pour des habitations de 100 mètres carrés en moyenne. Avouez que cela fait beaucoup d’hypothèses successives et de conditions à remplir !
Dans leurs déclarations élogieuses, les ministres oublient bien vite de mentionner que le dispositif de majoration des droits à construire existe déjà pour le logement social et les logements à haute performance énergétique et que, dans les faits, cela n’a eu que très peu d’impact sur le volume de constructions. Pourquoi ? Tout simplement parce que la crise du logement dépasse la seule question de l’offre de logements. Elle pose la problématique des types de logements mis sur le marché et celle, ô combien significative en cette période, du pouvoir d’achat de nos concitoyens. Or ce projet de loi ne pose à aucun moment la question de la qualité des logements qui seront construits, comme il s’exonère de toute réflexion sur les financements nécessaires.
Cela est particulièrement vrai pour le logement social. Aujourd’hui, la demande s’établit à 1,2 million de foyers. Le Gouvernement peut bien majorer les droits à construire, pas un HLM supplémentaire ne sortira de terre s’il maintient sa politique d’assèchement des finances publiques. En cinq ans, la baisse cumulée des aides à la pierre représente 1,3 milliard d’euros. Vous ne cessez de vous satisfaire des chiffres de la construction d’HLM. Mais ces lauriers que vous vous décernez, monsieur le secrétaire d’État, vous ne les méritez pas !
M. Alain Cacheux. Eh non !
M. Jean-Paul Lecoq. L’État ne finance plus qu’à hauteur de 4 % les programmes de construction de logements sociaux.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est faux !
M. Alain Cacheux. C’est vrai !
M. Jean-Paul Lecoq. Toute votre action est marquée par la baisse des concours de l’État. Cela est très clairement mentionné dans l’étude d’impact, qui se rapproche plus des conclusions d’une convention UMP sur le logement que d’un travail administratif sérieux.
M. Alain Cacheux. Il faut bien le reconnaître.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est gentil pour les fonctionnaires qui y ont travaillé !
M. Jean-Paul Lecoq. Je cite : « La politique du logement doit moins reposer sur la dépense publique et davantage sur la libération de l’offre ».
M. Jean Dionis du Séjour. Mais oui !
M. Jean-Paul Lecoq. Tout un programme !
La majoration des droits à construire est une articulation d’une idée aussi simpliste qu’illusoire : il suffirait d’augmenter les capacités de construction pour stimuler l’offre de logements et faire baisser instantanément les prix. Cette approche libérale repose sur la théorie de l’offre et de la demande, défendue par Jean Dionis du Séjour,…
M. Alain Cacheux. C’est désolant de sa part !
M. Jean-Paul Lecoq. …et dont tous les exemples démontrent l’inexactitude.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Ah bon ?
M. Jean-Paul Lecoq. Cette mesurette est un trompe-l’œil bien grossier. Au-delà des intentions affichées, nous ne sommes pas dupes de la manœuvre. Nous savons tous, sur ces bancs, que cette mesure n’est pas à la hauteur des enjeux de la crise et qu’elle n’est, en réalité, comme Jean-Pierre Brard l’a démontré, qu’un cadeau supplémentaire offert au secteur de l’immobilier, sans aucune contrepartie. Elle entraînera une succession d’effets d’aubaine, sans faire aucunement baisser les prix.
En commission, le secrétaire d’État a lui-même reconnu que cette mesure engendrera une hausse du prix du foncier, pourtant déjà à l’origine de la cherté des logements. Tous les acteurs de terrain, élus, bailleurs, promoteurs, citoyens, dénoncent l’inflation du foncier. Or le prix des terrains est fonction du prix de vente global du bien bâti sur sa surface. Accroître les droits à construire revient à augmenter le prix de vente global du programme et donc le prix du foncier.
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Et donc, pour faire baisser les prix, il faut baisser les droits à construire ?
M. Jean-Paul Lecoq. Non, nous vous proposons d’encadrer, alors que vous, vous laissez le marché librement décider. Il ne s’agit pas, comme nous le fait dire Jean Dionis du Séjour, de tout geler, mais de réguler. Même dans votre camp, on utilise parfois ce verbe. Acceptez donc, quand il sort de nos bouches, de le considérer comme une solution, y compris lorsqu’il s’agit de lutter contre la spéculation immobilière.
Vos affirmations, monsieur le secrétaire d’État, laissent sous-entendre que, au mieux, les prix n’augmenteront pas, donc qu’ils ne baisseront pas non plus. Cependant, le plus probable est que, soumis à l’augmentation de la TVA sur la construction et aux risques liés à la crise économique, les promoteurs répercuteront cette hausse du foncier. L’augmentation des prix des terrains aura de lourdes conséquences pour les collectivités locales et les bailleurs sociaux. Ces derniers verront le coût de leurs programmes fortement alourdi. Dans un contexte de désengagement financier de l’État, et même des banques qui ont du mal aujourd’hui à soutenir les futurs investisseurs, cette mesure réduira d’autant leurs capacités de construction de logements sociaux.
L’augmentation du prix du foncier sera d’ailleurs une aubaine pour l’État. La majoration des droits à construire a été accompagnée d’une autre annonce, beaucoup moins reprise par les médias : la vente par l’État de terrains sur lesquels pourraient être construits jusqu’à 100 000 logements : 384 terrains répartis sur 880 hectares seront mis directement sur le marché du foncier ou mis en location dans le cadre de baux emphytéotiques. Il n’a nullement été mentionné que ces terrains seraient laissés à la disposition des collectivités à des conditions préférentielles pour favoriser le logement social. Décidément, vous ne faites pas confiance aux maires ! L’État compte, au contraire, tirer une plus-value conséquente de leur vente. La hausse de 30 % du COS lui permettra d’engranger des sommes substantielles qui ne seront pas réinvesties dans le logement social. C’est d’un cynisme froid !
Vous le voyez bien, monsieur le secrétaire d’État, votre mesure sera, au mieux, un cadeau juteux offert aux promoteurs, au pire, une disposition contre-productive et inflationniste qui attisera la crise.
Pour toutes ces raisons, les député-e-s communistes, républicains, citoyens, du parti de gauche ne cautionneront pas cette manœuvre et voteront contre votre projet de loi.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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