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Marché transitoire gaz et électricité

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, le projet de loi soumis ce soir à notre examen s’inscrit dans la continuité des dispositifs visant la fin effective des TRV d’électricité et de gaz pour les clients non résidentiels. Il porte sur la situation bien particulière des clients qui, bien qu’étant devenus inéligibles aux tarifs réglementés au 1er janvier 2016, n’ont toujours pas souscrit d’offre de marché, qu’il s’agisse d’entreprises, d’industriels, d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs, de professions libérales, de copropriétés, d’associations ou de personnes publiques.
Le dispositif intéressait environ 30 000 clients et n’en concernerait plus que 15 000 – dans votre présentation, Madame la secrétaire d’État, vous avez avancé le chiffre de 10 000.
C’est pour eux que l’ordonnance prévoit un mécanisme d’accompagnement de la fin des tarifs réglementés.
Pour notre part, vous le savez, nous avons combattu sans concession le processus de la libéralisation des marchés de détail de l’électricité et du gaz impulsée par l’Union européenne.
Nous ne reprendrons pas ici la discussion que nous avons eue lors de l’examen de la loi relative à la consommation de 2014, qui a fixé le calendrier de la fin progressive des tarifs réglementés pour les consommateurs professionnels dont la consommation annuelle excède 30 mégawattheures.
Le texte de l’ordonnance du 10 février 2016 illustre néanmoins l’acharnement avec lequel l’Union européenne s’attache à démanteler les tarifs réglementés de l’énergie et à casser les reins des opérateurs historiques. Suivant la logique qui a imposé à EDF de vendre le quart de sa production à ses concurrents, à des tarifs défiant toute concurrence, dans le cadre de la loi NOME, cette ordonnance propose d’imposer la concurrence là où elle n’existe pas, par choix des consommateurs.
Le Gouvernement a opté pour une réallocation des clients restés inertes au 1er juillet 2016 chez des fournisseurs retenus selon une procédure de mise en concurrence organisée par la CRE. Afin de forcer les clients concernés à rechercher une offre de marché, le mécanisme leur impose un contrat dégradé, puisque le prix payé sera majoré par rapport aux tarifs usuellement pratiqués. Certes, on nous a expliqué que cette solution représente un moindre mal, puisque la suppression légale des tarifs a rendu caducs les contrats qui liaient ces clients à leurs fournisseurs, les exposant à une interruption de fourniture.
J’en conviens, cette menace est bien réelle, mais elle est précisément l’illustration de l’approche idéologique adoptée par la Commission européenne : on n’hésite pas à piétiner la liberté contractuelle, au nom d’une concurrence dont plus personne ne devrait désormais questionner la dangerosité ou les prétendues vertus.
Comble de l’absurdité, on nous présente comme concurrentiel un mécanisme qui interdit explicitement aux fournisseurs historiques de candidater à tous les appels d’offres. On marche sur la tête !
L’Autorité de la concurrence, peu suspecte d’obédience marxiste, a elle-même émis des réserves sur le mécanisme proposé, le considérant contraire aux règles de la concurrence. Elle a souligné les limites d’une « répartition administrative » des clients inertes, ainsi que « l’incertitude des résultats » et le « risque juridique non négligeable ».
Il est vrai que le mécanisme présente quelques étrangetés. Pour éviter la sur-rémunération des fournisseurs, l’ordonnance prévoit ainsi que la majoration de 30 % sera reversée pour partie à l’État, ce qui transforme de fait les opérateurs en collecteurs d’impôt, sans que cette majoration soit par ailleurs fléchée pour financer, par exemple, la transition énergétique. N’est-ce pas, madame la secrétaire d’État ?
Décidément, le texte que vous nous proposez ce soir augure mal de l’avenir. Il met clairement en relief la difficulté persistante des gouvernements à tenir tête aux tenants du libéralisme à tous crins et à leur visée hégémonique.
Sans l’expression d’une volonté politique forte, la pérennité des tarifs réglementés pour les particuliers sera prochainement sur la sellette, cela ne fait aucun doute, et nous risquons de voir fleurir le type de mécanisme que vous nous proposez : des bricolages, fruit ou rançon de renoncements successifs.
Partout en Europe où les tarifs réglementés ont été supprimés, les consommateurs ont vu leur facture s’envoler : un ménage italien paie son électricité 45 % plus cher qu’un ménage français, un ménage belge 40 % plus cher et un ménage allemand plus de 80 % plus cher. Quant à la précarité énergétique, elle progresse en Europe ; elle toucherait même entre 75 et 150 millions de personnes.
Il serait temps de dresser le bilan de la libéralisation du secteur énergétique et de s’interroger sérieusement sur la compatibilité du sacro-saint principe de libre concurrence avec la poursuite de l’intérêt général, oui, l’intérêt général, qui doit demeurer l’unique boussole des responsables politiques.
Le zèle – il faut bien prononcer le mot – employé à appliquer des principes ou à mettre en œuvre des décisions qui ne procèdent pas du débat démocratique participe de ce climat de défiance, de désarroi et de colère qui règne aujourd’hui parmi nos concitoyens. Lourde responsabilité que cette dérive libérale !
Compte tenu de ces remarques, vous comprendrez sans aucun doute que nous ne votions contre ce texte, qui exacerbe une nouvelle fois la concurrence, qui plus est une concurrence artificielle, s’exerçant au détriment des usagers et du service public…
Je vous remercie pour vos applaudissements !

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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